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Camille Loiseau








 gerontoprevention.free.fr

Conseils de lecture
Ces articles sont parus dans la revue NPG

Dans cette rubrique, nous vous proposerons régulièrement une sélection d’ouvrages littéraires (romans, policiers, essais, récits biographiques, bandes dessinées…), dont la publication n’est pas forcément récente, mais qui ont tous un rapport avec la médecine. A chacun d’y puiser selon ses centres d’intérêts.


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Conseil numéro 1 :
Mangas
Conseil numéro 2 : Maladie d'Alzheimer
Conseil numéro 3 : Utopies médicales
Conseil numéro 4 : Médecine-fiction
Conseil numéro 5 : Joris-Karl Huysmans

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Conseil numéro 5 [retour haut de page]

Cette fois-ci, nous allons aborder le thème de la médecine dans la littérature classique, à travers deux ouvrages d’un auteur du XIXe siècle : Joris-Karl Huysmans (1848-1907). Huysmans, qui a été le premier président de l’Académie Goncourt, a connu différentes périodes littéraires : une première totalement naturaliste avec Zola et les autres membres des « Soirées de Médan », une période décadente puis satanique et enfin une période catholique. C’était aussi un grand spécialiste des primitifs flamands (Grunwald) et de « l’art moderne » de la deuxième partie du XIXe siècle (Gustave Moreau, Odilon Redon et les Impressionnistes). Ses analyses picturales sont exceptionnelles, et il est arrivé à transcrire avec des mots les tableaux d’une façon telle qu’après l’avoir lu, on a l’impression d’avoir réellement vu l’oeuvre. La médecine est très présente dans l’œuvre de Huysmans, et de son premier à son dernier roman, ses personnages sont tous malades, que se soit physiquement ou mentalement.


Joris-Karl Huysmans

A rebours (1884)

Folio – 6,20 €

Ce livre est maintenant un classique (« la Bible de l’esprit décadent ») et il est édité dans toutes les collections de poche (folio, livre de poche, 10/18, Garnier-Flammarion…), avec le plus souvent un appareil critique (en ce sens, la meilleure édition est probablement celle de Marc Fumaroli en folio) permettant de se resituer à l’époque et surtout de comprendre le vocabulaire de Huysmans. Ce vocabulaire qui fait son style est souvent très riche et très complexe.

Le duc Jean des Esseintes qui a une lourde hérédité consanguine, nous est présenté comme un malade névropathe et neurasthénique. La névrose ou spleen est la maladie à la mode chez les riches, c’est la maladie décadente par excellence. Des Esseintes est le prototype du dandy (ce livre va beaucoup influencer Oscar Wilde qui y fait explicitement référence dans « Le portrait de Dorian Gray »). Il est rongé par l’ennui, il souffre de migraine, il est plus ou moins dépressif et va essayer de se « distraire » par tous les moyens possibles : livres, arts, parfums, fleurs, pierres précieuses, liqueurs, voyages, amours déviants… Il alterne des phases d’abattement, de léthargie au cours desquelles il a des visions cauchemardesques et des phases d’hyperexcitation : « Les excès de sa vie de garçon, les tensions exagérées  de son cerveau, avaient singulièrement aggravé sa névrose originelle, amoindri le sang déjà usé de sa race ; à Paris, il avait dû suivre des traitements d’hydrothérapie, pour des tremblements des doigts, pour des douleurs affreuses, des névralgies qui lui coupaient en deux la face, frappaient à coups continus la tempe, aiguillaient les paupières, provoquaient des nausées qu’il ne pouvait combattre qu’en s’étendant sur le dos, dans l’ombre.

Ces accidents avaient lentement disparu, grâce à une vie plus réglée, plus calme ; maintenant, ils s’imposaient à nouveau, variant de forme, se promenant par tout le corps ; les douleurs quittaient le crâne, allaient au ventre ballonné, dur, aux entrailles traversées d’un fer rouge, aux efforts inutiles et pressants ; puis la toux nerveuse, déchirante, aride, commençant juste à telle heure, durant un nombre de minutes toujours égal, le réveilla, l’étrangla au lit : enfin l’appétit cessa, des aigreurs gazeuses et chaudes, des feux secs lui parcoururent l’estomac ; il gonflait, étouffait, ne pouvait plus, après chaque tentative de repas, supporter une culotte boutonnée, un gilet serré. »

 Aujourd’hui, ce tableau clinique pourrait faire évoquer une maladie bipolaire ou psychose maniaco-dépressive (PMD). Il faut d’ailleurs noter, que Huysmans était lui-même cyclothymique.

Ce livre pose le problème du rapport de l’art et de la médecine. Des Esseintes essaye de vaincre la maladie dont il souffre non par la science médicale, mais par l’Art. Le lecteur est convié à passer de chapitre en chapitre comme un visiteur de musée passe de salle en salle. D’une certaine manière, on peut considérer que Huysmans a inventé ce qu’on appelle maintenant l’arthérapie. Mais, si pour le lecteur ce musée imaginaire est un enrichissement, pour des Esseintes, c’est un échec, et le livre se termine sur une prière.

 

 Joris-Karl Huysmans

En rade (1886)

Folio – 6,20 €

Jacques Marles, un riche parisien ruiné à cause de la “faillite d’un trop ingénieux banquier”, se réfugie au château de Lourps avec sa femme, Louise. Huysmans s’attache dans En Rade à un thème que les naturalistes ont négligé jusque là et tente de déterminer les liens qui unissent le corps et l’esprit. On y voit se dessiner une ébauche de la théorie du rêve, avant même que Freud ne soit lu en France, à travers l’omniprésence du rêve, décliné sous toutes ses formes dans le récit. On assiste ainsi à trois longs rêves de Jacques qui sont relatés dans leurs moindres détails : le rêve d’Assuérus (chapitre III) qui surgit lors de la première nuit de Jacques à Lourps, le rêve de la lune (chapitre V), la nuit suivante et enfin le rêve des Tours de Saint-Suplice (chapitre X), deux chapitres avant la fin du roman. Jacques s’interroge sur les origines de ce phénomène, cette “vie de songes qui était, depuis son arrivée à Lourps, si singulièrement accrue”, ces rêves deviennent une obsession, une énigme qu’il lui faut résoudre à tout prix. Ils sont considérés comme une véritable “maladie spirituelle”, une infection de l’âme. Une autre forme dominante du rêve dans le roman est celle de la rêverie, Jacques se perdant nombre de fois dans des pensées lointaines de la réalité. Une de ces rêveries a d’ailleurs beaucoup marquée les surréalistes et en particulier André Breton qui l’a reprise dans son « Anthologie de l’humour noir » en 1966. Elle concerne la ptomaïne, un alcaloïde issu de la décomposition des cadavres. Dans sa rêverie, Jacques imagine qu’«on pourrait convertir les cimetières en usines qui apprêteraient sur commande, pour les familles riches, des extraits concentrés d’aïeuls, des essences d’enfants, des bouquets de pères. » 

Ce roman alterne des chapitres naturalistes avec des descriptions souvent très sordides de la vie à la campagne ou de la maladie de Louise. Et des chapitres très riches, très colorés, dans le style symbolique, décrivant les rêves de Jacques. Sa femme souffre d’une maladie neurologique qui évolue par poussées, avec « des douleurs semblables à des commotions électriques (qui) filaient dans les jambes », et qui aboutie petit à petit à un état grabataire (ataxie locomotrice, SEP, SLA ou syphilis tertiaire ?). A de nombreuses reprises dans le roman Jacques se prend à penser aux méthodes médicinales qui sont parfaitement impuissantes face à la mystérieuse maladie de Louise. Leur chat semble souffrir du même mal, et on assiste à son agonie :

« Tout à coup, elle  tira, terrifiée, son mari par la main.

-         Ah ! vois, les douleurs fulgurantes !

Et en effet, le chat agitait en des soubresauts désordonnés ses pattes et des fumées couraient dans ses poils dont les ondes titillaient sans qu’il bougeât.

D’une voix changée, elle ajouta : il les a aussi, c’est la paralysie qui vient !

Jacques sentit un grand froid le glacer.

-         Mais non, que tu es bête ! Et vivement, il expliqua que ces secousses à fleur de peau n’avaient aucun rapport avec les douleurs fulgurantes dont elle parlait. Tu as une maladie de nerfs, toi, rien de plus ; que diable ! de là à l’ataxie locomotrice, il y a loin ! Au reste, la meilleure preuve, la voici : le chat a ces douleurs depuis une minute et il meurt ; toi, tu les as depuis des mois et tu es cependant ingambe ! Et puis, quelle sottise que de vouloir établir des similitudes entre des maladies d’animaux et des affections de femmes !

Mais sa voix était mal assurée. En un éclair, il revoyait les médecins silencieux, se rappelait leurs mines fermées, leurs regards contrits et prudents… Eh non ! ils n’y connaissaient rien, pas plus que lui ! c’était la métrite, suivant les uns, de la névrose, suivant les autres ! C’était ils ne savaient quoi ! une de ces chloroses nerveuses devant lesquelles, à l’heure présente, si savant qu’il soit, chacun bafouille ! »

 

Deux livres au moins ont été écrit sur ce thème : « Huysmans et la Médecine » de Georges Veysset (Société d’édition « Les belles lettres », 1950) et « La médecine dans l’œuvre de J.K. Huysmans » de Charles Maingon (Librairie A.G. Nizet, 1994). Pour les lecteurs intéressés, il existe une société littéraire JK Huysmans fondée en 1927 qui édite un bulletin annuel très complet, et dont le siège social est : Centre de recherche sur la littérature française du XIXe siècle, Université Paris-Sorbonne, 1 rue Victor Cousin, 75005 Paris.



Conseil numéro 4
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Cette fois-ci, nous allons aborder le thème de la « médecine-fiction » à travers 2 ouvrages. Le premier a été écrit par un médecin qui a eu le prix Goncourt en 2001 pour son livre « Rouge Brésil ». Le deuxième a la particularité d’avoir été publié pour la première fois en 1985, et ce qui était alors de la « politique-fiction » ressemble beaucoup à notre réalité quotidienne. Par ailleurs il s’agit aussi d’un roman policier.

Globalia,

Jean-Christophe Rufin

Gallimard, 2004, 21,00 euros.

(folio n°4230 : 7,50 euros)

Ce roman d’anticipation, qui se voudrait à la hauteur du 1984 d’Orwell (la « novlangue » globalienne baptise les vieux « Personnes de Grand Avenir » et le RMI le « Minimum Prospérité »), rappel malheureusement beaucoup plus souvent les ouvrages de Barjavel.

GLOBALIA est un monde qui pourrait ressembler au nôtre dans un futur proche : un espace sécurisé, protégé par de grandes parois en verre, où il fait toujours beau et où il n’y a plus de pollution. Les individus, qui n'hésitent pas à recourir à la chirurgie esthétique afin de rester éternellement jeunes, y sont heureux grâce aux « Centres de Promotion du Bonheur » et à leur armada de psychologues : « Globalia, c’est la liberté ! Globalia, c’est la sécurité ! Globalia, c’est le bonheur ! » A cette société « parfaite » où la richesse et la puissance dominent s'oppose un autre monde : celui des non-zones (on peut penser à Mad Max) où la pauvreté est partout visible et où sévissent les vestiges de notre monde actuel : guerres, famines, pollution, individus vieillissants et ridés… Les Globaliens, devenus quasi immortels (ce qui impose un contrôle strict des naissances) semblent se satisfaire de leur monde artificiel mais il en va différemment pour Baïkal, jeune homme qui rêve de fuir ce paradis contrôlé pour aller découvrir le monde extérieur, en entraînant son amie Kate. La première tentative échoue mais son cas intéresse un membre de l’élite politique. Exilé avec l'accord des autorités qui voient en lui l'homme idéal pour incarner l'autre, « le Nouvel Ennemi » dont a besoin Globalia, il s'aventurera dans ce monde dangereux mais où il semble encore exister une certaine liberté.

L’histoire en elle-même est relativement simpliste (« un grand roman d’aventures et d’amour » annonce la quatrième de couverture) et le lecteur perçoit aisément les dérives actuelles de nos sociétés mises en avant par l’auteur. Parmi les plus visibles :
l’avenir de la démocratie en lien avec une société de plus en plus inculte,  l’obsession sécuritaire allant jusqu’à créer de fausses menaces, la négligence des problèmes environnementaux avec le rejet des pollutions dans les non-zones, les difficiles relations intergénérationnelles dans un monde où l’espérance de vie est prolongée à l’infini grâce à la médecine et où les naissances doivent donc être limitées. Les jeunes sont ainsi devenus très minoritaires et mal acceptés. Ainsi, beaucoup de thèmes sont abordés, mais la plupart des pistes de réflexion ne sont souvent qu’esquissées...

Extraits

« Ses lunettes ! Encore un accessoire d’un autre temps. Bien qu’il eût lui-même près de quatre-vingt-sept ans, Sisoes n’aurait jamais eu l’idée de porter des lunettes. Tous les cinq ans, il subissait une petite opération correctrice et y voyait mieux qu’un jeune homme. »

« Toutes les ressources étaient mobilisées vers le maintien en santé et en activité d’individus à l’avenir de plus en plus grand. Plutôt qu’une multiplication sociale désordonnée par des naissances anarchiques, l’Harmonie sociale avait pour fonction d’achever la grande révolution démographique jusqu’à atteindre peu à peu l’objectif « mortalité zéro, fécondité zéro ». »

 « De toutes les célébrations quotidiennes, c’était la principale, la fête des fêtes en quelque sorte. Elle commémorait la mise au point du premier vaccin efficace contre la maladie d’Alzheimer (…) Célébrer le 17 juillet était une obligation pour tous. L’occasion était ainsi donnée aux Globaliens d’exalter les valeurs de la maturité et de l’expérience. Mais c’était aussi un moyen de dépistage. Ceux qui oubliaient l’anniversaire étaient immédiatement convoqués pour subir des tests de mémoire approfondis et recevoir un rappel du vaccin anti-sénilité. »

 

Carton blême

Pierre Siniac

Rivages/Noir 2003, 6,40 euros

Une oeuvre décapante de Pierre Siniac disparu en mars 2002. Lors de sa parution originale, ce livre pouvait sembler une politique-fiction. Lors de sa réédition en 1995, cette politique-fiction prenait corps, et en 2003, c'est presque devenu un roman réaliste. Pour le coup, la comparaison avec Orwell, pour qui futurisme rime avec pessimisme, est totalement méritée.

A Paris en 2005, la criminalité augmente de manière alarmante et la police reste impuissante ; de plus, le déficit de la sécu est abyssal. Face à ces deux problèmes, le nouveau gouvernement a institué le check-up mensuel obligatoire pour tout citoyen âgé d'au moins 16 ans. À l'issue de cette visite, le citoyen reçoit une carte de sécurité sociale informatisée : carton bleu pour les bien-portants, carton blême pour les malades. En cas d'agression, de cambriolage, etc., le titulaire du carton bleu a droit à l'aide de la police. En revanche le porteur du carton blême se voit opposer un refus d'assistance tout à fait légal (loi du 28 oct. 02).

Comme le dit le ministre de l'intérieur Salvanty: « Il nous a paru sinon normal, acceptable, que les personnes les plus enclines à grever le budget de la Sécurité sociale (budget dont la normalisation est toujours si difficile à obtenir) se voient, dans une période très préoccupante du fait de l'insécurité, retirer le droit à l'assistance de la police. Les populations en bonne santé, disposant potentiellement d'un avenir de longue durée, étant les mieux en harmonie avec une société moderne, stable, saine et performante, étant à coup sûr plus viables, plus productives au plan socio-économico-physico-intellectuel, doivent, en bonne logique, bénéficier de cette action sélective de la police. Droits que ne peuvent plus posséder, hélas! sous peine d'on ne sait quelle déstabilisation sociale et de prémices certaines de chaos anarchique, les populations « diminuées » et en principe sous-performantes, dont la durée de vie est potentiellement minorée. » Toutes les situations sont bien sûre envisagées par la loi : couples, familles, groupes, ressortissants étrangers…

C'est dans ce contexte, que le nouveau patron de la crim', Paul Héclans, doit affronter un serial killer, «le dingue au marteau». Au fil de cette enquête, il va s'immiscer dans les méandres des magouilles médico-sociales engendrées par cette nouvelle loi… et va en payer les conséquences. Alors à quand une carte vitale informatisée avec des critères de soins basés sur l’efficience ?


Conseil numéro 3 [retour haut de page]

Pour cette fois-ci, j’ai choisi le thème des « utopies médicales », à travers 2 ouvrages très différents. Le premier a beaucoup fait parler de lui, car son auteur est un polémiste très connu. La diffusion du deuxième a été beaucoup plus discrète, à la fois parce que c’est un livre qui s’adresse plus directement aux médecins, mais aussi parce qu’il s’agit d’un « petit » éditeur difficile d’accès.


Régis Debray

Le plan vermeil. Modeste proposition

Gallimard, 2004, 5,50 euros

Quel est l’intérêt de ce texte de 62 pages ? Même l’éditeur se pose des questions sur ce livre, puisqu’il met en 4ème de couverture : « Pamphlet pathétique que ce Plan vermeil, ou impubliable et savant rapport administratif sur le vieillissement des populations en Europe ? À chacun d'en juger, selon son âge, son humour ou son humeur ».

L’opuscule est découpé en deux parties : 1ère partie « les problèmes » - 40 pages – 2ème partie « la solution ?» - 22 pages. La première rapporte des données statistiques réelles qui correspondent à celles répétées régulièrement par les démographes et les gériatres pour alerter nos politiques sur les évolutions à anticiper compte tenu du futur (mais très proche) papy boom. Cette partie vise à montrer que les vieux sont de trop, de plus en plus nombreux, et coûtent à la société. Le constat est impitoyable. Le problème est désormais posé : que faire de tous ces vieillards ?

La deuxième partie apporte la solution sous la forme d’un rapport très administratif (le Plan Vermeil) qui se veut aussi percutant que le livre de Jonathan Swift : « Modestes propositions pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public ». La solution, c’est une espèce de Parc National pour vieillards baptisé « Bioland », que l’auteur situe en Ardèche et qui « devrait pouvoir accueillir au moins un million de personnes chaque année, par rotation (en fonction des résultats obtenus) ». Tout serait prévu pour faciliter « l’évolution contrôlée d’une médecine transitive à une médecine palliative, destinée à faciliter la dernière délivrance, d’une façon indolore et respectueuse de l’intégrité des personnes ». Ce qui « devrait permettre de ramener, par étapes, l’âge moyen de la population mâle aux alentours de soixante dix ans, et femelle de soixante quinze ans ». Une mesure incitative avec la « prime au supprimé » (1000 euros par famille). Des mesures préventives avec une liste d’exemptés. Et toute une série d’actions éducatives et de communication, pour faire bonne mesure. Pourtant, tout cela manque d’ampleur et Régis Debray ne va pas assez loin dans l’humour noir.

On est loin de Swift (1667-1745) qui, pour remédier au problème des 120 000 enfants irlandais qui naissaient de parents pauvres, rapportait le fait suivant : « Un jeune Américain de ma connaissance, homme très entendu, m'a certifié à Londres qu'un jeune enfant bien sain, bien nourri, est, à l'âge d'un an, un aliment délicieux, très nourrissant et très sain, bouilli, rôti, à l'étuvée ou au four, et je ne mets pas en doute qu'il ne puisse également servir en fricassée ou en ragoût. »

On est loin aussi du livre de Jean-Michel Truong, « Eternity Express » (Albin Michel 2003,  Pocket 2005). L’Europe ne pouvant plus faire face à la quantité de personnes âgées, n’a d’autre choix que de sous-traiter leur prise en charge. C’est l’avènement des lois dites de « décentralisation du troisième âge » : les vieillards sont envoyés en Chine en TGV (d’où le titre), où ils finiront leurs jours dans des villages idylliques bénéficiant de tout le confort que la science permet... Mais, comme le dit un des personnages : « Les seuls soins qu’il convient de rembourser après 65 ans sont les soins palliatifs ».

Ou encore du film  "Soleil Vert " de Richard Fleischer (1973, avec Charlton Heston ). En 2022, la nature a été totalement détruite et la planète est surpeuplée. Dans les mégapoles où règnent la misère et le chaos, seule une élite peut encore acheter des aliments naturels, fruits, salades, viandes ou poissons. Le reste de la population est nourrie par des aliments industriels en forme de cube vert, fabriqués en secret à partir des cadavres humains recyclés. Ces cadavres sont fournis en abondance par les centres d'euthanasie où se rendent volontairement tous ceux qui ne peuvent plus supporter leur vie misérable...

L’intérêt de ce livre reste donc très … modeste. Sans parler des tics d’écriture avec, en particulier, au moins un anglicisme par page.

 

Hippocratie,

Théophraste Bombaste

Glyphe et Biotem éditions, 2003, 16,50 euros

Le pouvoir médical a toujours existé : pouvoir personnel et, de plus en
plus souvent, pouvoir décisionnaire dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Une société dirigée exclusivement par des médecins peut-elle être envisagée ? C'est le thème de ce conte satirique (dans le style du « Candide » de Voltaire) qui donne à réfléchir sur notre pratique médicale.  Pour laisser libre cour à son imagination, l’auteur, médecin, a pris un pseudonyme. La République Méridionale de Vasconie est donc dirigée par des médecins, avec pour seul objectif « une vie sans histoire de la conception à la mort ». Une fois admis ce principe, il est alors facile à l’auteur d’aborder tous les grands thèmes de société (procréation, prévention, toxicomanie, jeunisme, euthanasie…) dans un contexte de médicalisation extrême. Certains chapitres sont en prise directe avec des événements récents : «  l’épidémie de prionite, l’électronique et sa magie, papaye verte et crédulité »… En voici un extrait sur « la mort en douce » : « La définition de la mort est arbitraire. Quinze ans plus tôt on avait cessé de la rattacher à une pompe, au mieux à un muscle, le cœur, pour la faire dépendre de la destruction du cerveau n’émettant plus d’ondes électriques. Il était logique d’aller plus loin, de rattacher la vie, plutôt qu’à un signal électrique, à un message articulé […] Que serait la syllabe « la » isolée si son encadrement n’était pas là pour en faire un adverbe, un article défini ou un pronom féminin, une note de musique, la partie d’un lapin ou d’un paladin ?[...] Comme un jour on avait décidé d’arrêter le cœur de sujets privés de cerveau, il était logique de mettre fin aux cerveaux qui n’émettaient plus de messages audibles ou significatifs. »

Bien entendu, ce système hyper médicalisé est voué à l’échec.



Conseil numéro 2 [retour haut de page]

Nous allons aborder cette fois-ci la problématique de la maladie d’Alzheimer à travers la littérature. Depuis quelques années, les personnages atteints de cette maladie se multiplient, sans parler des nombreux récits ou chroniques familiales sur le sujet (un exemple intéressant : Françoise Laborde, « Pourquoi ma mère me rend folle », Ramsay 2002 ; et la suite qui comporte de nombreux éléments pratiques : « Ma mère n’est pas un philodendron », Fayard 2003). J’ai choisi, pour cette rubrique, de présenter deux ouvrages totalement différents sur ce sujet, l’un est une comédie gériatrique anglaise et l’autre un roman finlandais.

 

Arto Paasilinna                                                         

La cavale du géomètre

Folio 2003, prix 6,20 euros

Il s’agit de l’histoire surprenante de Taavetti Rytkönen, un Finlandais de 70 ans, géomètre amnésique. Il est recueilli au beau milieu d'une rue par Seppo Sorjonen, un chauffeur de taxi, qui ne sait où le déposer, et pour cause, le client ne le sait pas lui-même. Commence alors sur un fond d’insouciance déroutante leur quête de vérité. En tentant d’aider ce pauvre vieillard amnésique à retrouver son identité comme l’on tente de résoudre une énigme, ils nous embarquent dans un voyage rocambolesque, une sorte de « road book », à travers la Finlande. Il s’agit d’un véritable roman picaresque qui n’est pas sans rappeler, par le caractère absurde des situations, l’auteur anglais Tom Sharp (Wilt 1, 2, 3 en 10/18). Au fur et à mesure, Seppo Sorjonen se documente sur les caractéristiques de la maladie d’Alzheimer (extrait 1). Une multitude de personnages des plus inattendus (dont un architecte albanais, un interprète bosniaque et douze naturistes françaises) se côtoient dans une aventure originale qui vous fait découvrir la Finlande et son système de santé (extrait 2). Le roman finit en apothéose sur une chasse miraculeuse dans les forêts et marécages finlandais. Dans ce livre, Paasilinna pose les problèmes de l’époque : le vieillissement, les campagnes et l’intégration dans l’Union européenne (le passage sur la politique agricole européenne est désopilant). Beaucoup de ces problèmes sont identiques aux notre, et le système de santé finlandais doit nous interroger sur les choix à ne pas faire pour notre Sécurité sociale.

Extrait 1 : « D’après le médecin, Rytkönen n’avait pas besoin pour l’instant d’être placé dans un établissement de soins (…). Il expliqua que les personnes atteintes de démence avaient des problèmes de mémoire. Elles ne parvenaient pas à retenir les événements les plus récents. La caractéristique de cette maladie était que le malade lui-même n’en avait pas conscience et refusait d’admettre son état ; c’était très pénible pour la famille et les proches. En général, les troubles apparaissaient progressivement, de façon presque imperceptible. Le diagnostic est difficile à faire au début (…). La maladie ne guérit pas, mais le bon côté des choses est que, plus la maladie s’aggrave, moins le malade s’en plaint. »

Extrait 2 : « Seppo Sorjonen appela le centre de soins le plus proche et demanda conseil. Il expliqua que son camarade avait attrapé la grippe. Devait-il l’amener pour qu’on s’occupe de lui ? – Quel est son numéro de Sécurité sociale ? – Je ne sais pas. Il doit être né en 1923, ou dans ces eaux-là. – Demandes-le-lui ! – Il ne sait pas, enfin il ne s’en souvient pas. Où est-il inscrit ? A Espoo, je suppose. Son nom est Taavetti Rytkönen. Son interlocuteur lui expliqua alors, en des termes très administratifs, que le malade en question n’avait pas le droit de venir se faire soigner au mauvais endroit. Il fallait le conduire à l’hôpital d’Espoo. »


Bryan Stanley Johnson                               

R.A.S. Infirmière-Chef                                           

Quidam Editeur 2003, prix 20 euros.

Ce livre qui date de 1971 (mais n’a été publié en France qu’en 2003), est, dans sa forme comme dans son sujet, un livre atypique qui n’est pas forcément d’un abord facile. C’est le cinquième roman de l'écrivain anglais Brian Stanley Johnson, né en 1933 et qui se suicida en 1973. Contrairement à ce qu’indique la couverture - "Comédie gériatrique"- ce livre est plutôt construit comme une véritable tragédie classique. Ce sous-titre est là uniquement pour nous rappeler qu’il s’agit de la forme la plus sombre de l’humour anglais

Nous sommes dans une maison de retraite. Ils sont huit, huit vieillards menés à la baguette par une Infirmière-Chef despotique, vénale et quelque peu lubrique. On ne connaît d'eux que ce qu'en dit la fiche (sorte de mini évaluation gérontologique standardisée) qui les présente : nom, âge, situation de famille, pathologies, mobilité, état de leur cinq sens et note obtenue à un test de sénilité (à la place du TS on aurait mis aujourd’hui le MMS) correspondant au nombre de réponses exactes données à dix questions du genre : "Où êtes-vous actuellement? Comment s'appelle cet endroit? Quel jour sommes-nous? (...) Quel âge avez-vous? Quel est votre jour de naissance? En quelle année êtes-vous né(e)?..." Cette fiche médicale est également remplie pour l’Infirmière-Chef.

Chaque pensionnaire a droit au même traitement romanesque. Une séquence de vingt-et-une pages (monologue intérieur) qui se déroule suivant la même chronologie, ligne par ligne. Chacun d'entre eux mange, chante, travaille, joue, fait un peu d'exercice, participe à une sorte de joute, et pour finir assiste au numéro de divertissement proposé par l'Infirmière-Chef en personne. D’un personnage à l’autre, il est souvent difficile de reconnaître ce qui c’est réellement passé pendant l’épisode raconté. L’idée originale de l’auteur est d’avoir essayé de nous décrire les choses de l’intérieur, en se mettant à la place de chaque patient. Plus la « sénilité » est évoluée et plus le texte s’appauvrit pour laisser petit à petit des pages blanches. La maladie semble d’ailleurs évoluée directement avec l’âge, puisque le plus jeune (74 ans) à un TS à 10/10 et la plus âgée (94 ans) un TS à 0/10. Pour cette dernière, Rosetta Stanton, dont la fiche indique qu’elle a une démence vasculaire, la plupart des 21 pages sont blanches avec quelques mots par-ci par-là, le plus souvent incompréhensibles. Les seules phrases finalement lisibles sont quand même pleines de sens : « Je suis prisonnière en moi-même. C’est épouvantable. Chaque geste est un supplice. Laissez-moi sortir, sinon je vais mourir. »

L’intérêt de ce roman, est donc d’arriver à faire visualiser au lecteur le lent processus de désintégration de la mémoire au cours de la maladie d’Alzheimer. Il nous interroge aussi sur les problèmes de maltraitance par les soignants, ce qui renvoie d’ailleurs au R.A.S. ironique du titre : rien à signaler.



Conseil numéro 1 [retour haut de page]

Pour débuter cette rubrique, il nous a paru intéressant de commencer par une bande dessinée d’un format particulier puisqu’il s’agit d’un manga. C’est une bonne occasion pour ceux qui n’en n’ont jamais lu de découvrir cet univers particulier très apprécié des adolescents. Il faut rappeler qu’ils se lisent à l’envers (on commence à la dernière page) et de gauche à droite, ce qui demande un peu de concentration au départ. Par ailleurs, il faut aussi s’habituer aux dessins qui sont parfois assez caricaturaux.

 

Say Hello to Black Jack

Tome 1 - Chroniques du service de chirurgie

Tome 2 - Chroniques du service de médecine interne

Tome 3 – Chroniques du service de réanimation néonatale

Editeur : Glénat Collection Seinen Manga. Auteur : Syuho Sato

Prix France métropolitaine : 6€40

Dans "Say Hello to Black Jack" le lecteur suit le parcours d’Eijirô Satô au cours de son internat. Le type de formation qu'il entreprend au sein du CHU d'Eiroku implique qu'il passe d'un service à l'autre pendant deux ans, avant de choisir sa spécialité. Ce changement continuel constitue le principe narratif de ce manga. En étant affecté dans un nouveau service, Eijirô est confronté à des patients et des situations renouvelés. Dans le premier tome, il est ainsi assigné au service de chirurgie puis à la médecine interne (tome 2) et en réanimation néonatale (tome 3). Par la suite il exercera auprès de patients âgés ou encore dans des services dédiés à une pathologie particulière. Dans chacun de ses postes, il doit composer avec sa nature spontanée (assez naïve) et les rigidités de l'organisation. Son implication personnelle et émotionnelle avec les patients l'amène fréquemment à s’opposer aux médecins titulaires. Par ailleurs, il est confronté à des dilemmes éthiques universels. Malgré toutes les difficultés qu’il rencontre, il reste fermement accroché à sa  résolution : « trouver ce qu'est un bon médecin ».

"Say Hello to Black Jack" a pour ambition de décrire le système de soins japonais de façon quasi documentaire (l’aspect médical est très détaillé et bien documenté). L'histoire d'Eijirô est l'occasion de brosser un portrait précis d'une organisation parfois kafkaïenne (hiérarchie médicale, opposition public/privé, relations soignants/médecins, système de tarification…). Cette charge dénonciatrice a eu des effets concrets au Japon, la situation décrite dans le manga ayant suffisamment ému l'opinion publique (deux millions d'exemplaires vendus par volume ) pour que des réformes soient engagées. Le gouvernement japonais s’est ainsi attaqué directement à ce dossier sensible, en commençant par revoir la question des salaires à la hausse (le salaire des internes était de 280 euros par mois, les obligeant à multiplier les gardes de nuit dans le privé payées 600 euros par garde !).

La situation de l’hôpital public décrite par Syuho Sato présente de nombreux points communs avec celle d'autres pays industrialisés, et doit nous faire réfléchir sur l’évolution actuelle du système de santé français. C’est la cas par exemple de tout ce qui concerne l'arbitrage entre la santé d'un patient particulier et la maîtrise globale des dépenses de santé (le système de tarification est très bien expliqué dès le premier tome). Très vite, Eijirô Satô se rend compte que les priorités de l'hôpital japonais sont devenues purement mercantiles, les patients étant considérés comme autant d'occasions de gagner de l'argent. A tel point que la survie des malades ne semble pas être toujours le premier souci des médecin !

Cette bande dessinée médicale est donc un bon moyen de découvrir simultanément l’univers des mangas et le système de santé japonais.

Au 2 juillet 2007, il y a 13 volumes publiés.



Site édité par le Docteur Christophe TRIVALLE

Cette page est dédicacée à ma grand-mère Paulette 

qui est décédée le 8 juillet 2007

et qui adorait la lecture