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Conseils de lecture
Ces articles sont parus dans la revue NPG

Dans cette rubrique, nous vous proposerons régulièrement une sélection d’ouvrages littéraires (romans, policiers, essais, récits biographiques, bandes dessinées…), dont la publication n’est pas forcément récente, mais qui ont tous un rapport avec la médecine. A chacun d’y puiser selon ses centres d’intérêts.


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Conseil numéro 6 : Polar médical (Thierry Jonquet)
Conseil numéro 7 : Le suicide
Conseil numéro 8 : Médecine légale
Conseil numéro 9 : Bande dessinée
Conseil numéro 10 : Psychiatrie
Conseil numéro 11 : Mutuelle et littérature policière
Conseil numéro 12 : Industrie pharmaceutique


Conseil numéro 12
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Nous allons cette fois nous intéresser aux rapports entre l’industrie pharmaceutique et la littérature. En effet, il est souvent difficile pour les journalistes de dénoncer les travers des grands groupes internationaux du médicament, et la fiction est un bon moyen d’y parvenir tout en évitant les procès. Le livre de John Le Carré, grand spécialiste de la guerre froide et des romans d’espionnage (L'Espion qui venait du froid), a d’ailleurs fait scandale lors de sa parution. Nous reparlerons également de Martin Winckler, grand pourfendeur des laboratoires pharmaceutiques.

 

John Le Carré

La constance du jardinier

Points seuil, 7,95 euros

Tessa Quayle, jeune et belle avocate anglaise, est sauvagement assassinée près du lac Turkana dans le nord du Kenya. Son compagnon de voyage et amant supposé, médecin africain d'une ONG (Arnold Bluhm), a disparu de la scène du crime. Justin, l'époux de Tessa, jardinier amateur  et diplomate au haut-commissariat britannique qu'il représente au C.E.D.A.O. (un organisme chargé de contrôler l'action humanitaire en Afrique) à Nairobi, se lance dans une quête solitaire à la recherche des tueurs et de leur mobile, une quête qui l'entraîne à Londres puis à travers l'Europe et au Canada, pour le ramener en Afrique jusqu'au Sud-Soudan et se terminer sur les lieux mêmes du crime. Cet homme effacé oublie sa nonchalance pour marcher sur les traces de sa femme et faire la lumière sur sa mort. Au long de son périple, il se heurte à la violence et aux machinations des multinationales pharmaceutiques, mais sa plus grande révélation est la découverte de cette épouse qu'il n'a guère eu le temps d'aimer. John Le Carré reconnaît qu'il aurait aussi bien pu s'attaquer aux multinationales du tabac ou aux compagnies pétrolières, mais il a préféré dénoncer le trafic de médicaments vers l'Afrique et la corruption du corps médical par l’industrie pharmaceutique.

Une traque, une recherche, comme toujours chez John Le Carré, mais cette fois, sur les traces d’une morte, Tessa, personnage féminin assez nouveau chez l’écrivain. Qu’avait-elle découvert avant son assassinat ? Qui gênait-elle dans sa croisade humanitaire ? Comme son mari, diplomate jusque-là sans tache, on cherche à comprendre, on découvre progressivement les malversations des multinationales du médicament. Du coup, la charge de John Le Carré contre l’industrie pharmaceutique, symbole d’un capitalisme et d’une mondialisation qui ne respecte plus aucune valeur, passe au second plan. Cette révolte, parfois convenue, n’est pas toujours convaincante. Le rythme de ce livre est beaucoup trop lent (mais c’est aussi le style de John Le Carré de développer de façon extrêmement minutieuse ses intrigues). On fini par s’y ennuyer et on aurait tendance à sauter certains passages extrêmement fastidieux. On attend sans cesse que cela commence, mais cela n'arrive pas. Si l'intrigue ne manque pas d'intérêts, la fastidieuse quête du jardinier pour reconstituer le puzzle de la vie de sa femme nous harasse. Car non seulement nous sommes convaincus de la justesse de son combat, mais nous devinons également qu'il est voué à l'échec.

Ce roman a été porté à l’écran en 2005 par Fernando Meirelles avec RConseil numéro 1alph Fiennes, Rachel Weisz, Danny Huston et Arnold Bluhm sous le titre anglo-saxon : The Constant Gardener. Il vient de sortir en DVD.
 

Extrait :

« Plusieurs des médicaments qu’il a examinés se sont avérés périmés depuis longtemps et donc dégradés, même s’ils avaient encore une certaine efficacité. D’autres étaient inadaptés à la pathologie qu’ils étaient censés soigner. Nous avons aussi pu corroborer un phénomène déjà constaté en Afrique, à savoir que les indications et contre-indications de certains emballages sont réécrites pour le marché du tiers-monde dans le but d’élargir le champ d’action du médicament bien au-delà de son application brevetée dans les pays développés… »

« Ca tuait les gens. Dans les villages, les bidonvilles. (…) On ne pouvait rien trouver à redire au concept : le traitement était court, bon marché et facile à suivre. Mais ils avaient brûlé les étapes. Les tests avaient été conçus de façon sélective. Sans que tous les effets secondaires aient été étudiés. Ils avaient fait des tests sur des femelles enceintes, rates, guenons, lapines et chiennes : aucun problème. Quand ils sont passés à l’homme, là il y en a eu des problèmes, d’accord, mais il y en a toujours. C’est cette zonConseil numéro 1e d’ombre que les compagnies pharmaceutiques exploitent. Elle tombe sous le coup des statistiques, et les statistiques prouvent tout ce que vous voulez qu’elles prouvent. D’après Arnold, ils étaient obnubilés par le souci de lancer leur produit avant la concurrence. Ca paraît impossible tellement il y a de lois et de réglementation, mais Arnold a dit que ça arrive tout le temps. »

 

Martin Winckler

Collection Le Poulpe

Baleine (juin 2001) - Le Poulpe - 194 pages - 5,95€

Collection : Librio noir et policier - 127 pages - 2€

Nous avons déjà parlé de Martin Winckler lors de notre précédent conseil de lecture. L’intérêt ici est de pouvoir présenter un personnage de roman très particulier : Gabriel Lecouvreur dit le Poulpe. Il s’agit d’un personnage créé par Jean-Bernard Pouy pour la collection Baleine. Celui-ci a écrit une bible avec les principales caractéristiques à respecter, et par la suite, environ 200 écrivains de tous horizons ont raconté chacun à leur manière les aventures de ce héros des temps modernes (polar, BD, science-fiction… et il y a même un film avec Jean-Pierre Daroussin dans le rôle du Poulpe). Malheureusement, cette série s’est terminée aussi brutalement qu’elle avait commencée, et si un certain nombre de volume n’ont qu’un intérêt très limité, certains méritent de rester dans les annales de la littérature policière (les meilleurs sont d’ailleurs réédités dans la collection Librio). A noter que chaque titre de la collection fait appel à un jeux de mot digne de l’Almanach Vermot : « Parkinson le glas », « Papy end », « Allons au fond de l’apathie » ou encore « Le crépuscule des vieux ».

Comment Bruno Sachs, le héros de La maladie de Sachs, en vient-il un jour à croiser le chemin du Poulpe ? Que peuvent avoir en commun ces deux personnages ? Le premier, tourmenté, malade des abus que ses confrères médecins effectuent dans l’exercice de leur profession, dénonce les injustices en écrivant. Le second puise dans les injustices que le monde entier génère, le ressort de ses activités.

31 décembre 1999. La mort brutale du Professeur Goffin, grand patron hospitalier, plonge Gabriel Lecouvreur dans ses souvenirs. Au début des années 80, parti rendre visite à un vieil ami, relieur de son état, dans la bonne ville provinciale de Tourmens, Gabriel a croisé quelques personnages aussi curieux que lui : Jean, étudiant en droit homosexuel ; Alice et Luciane, soeurs jumelles inscrites aux Beaux-Arts ; Charly, étudiant en médecine défroqué reconverti dans "l'action directe". Mais voilà, trois malades de Charly décèdent de façon inexpliquée, et Alice se découvre une tumeur au sein.... Pris dans les derniers soubresauts de la révolution sexuelle, Gabriel a fait à Tourmens l'expérience amoureuse de sa vie, avant de la voir se transformer en cauchemar surmédicalisé, sur fond d'expérimentations truquées et de décès suspects. Un médecin un peu plus âgé mais aussi libertaire que lui, nommé Bruno Sachs, l'a alors aidé à y voir plus clair... et à se sortir en un seul morceau du pétrin où il s'était fourré. Vingt ans plus tard, pendant qu'un juge d'instruction recueille toutes les pièces du dossier Goffin, de l'autopsie à la mise en examen du suspect numéro un en passant par l'interrogatoire des témoins, Gabriel renoue avec Bruno. Les deux hommes reconstituent le puzzle des vies qu'ils ont côtoyées et découvrent ce qu'il est advenu de leurs camarades de jeunesse.

Dans Touche pas à mes deux seins, Martin Winckler parvient à rapprocher deux personnages mythiques, à leur inventer une rencontre qui ne les déracine ni de leurs tons ni de leurs domaines respectifs. La narration de l’un et de l’autre alterne, entrecoupée par celle d’un troisième personnage qui rend compte de l’enquête en cours. L’auteur entraîne un Poulpe d’habitude plutôt actif dans une investigation immobile. Il y a donc moins d'action que dans un Poulpe « classique ». A noter encore une fois, un découpage quasi cinématographique auquel viennent s’adjoindre en clin d’œil, les titres de chapitres comme autant de références à des films.

 Avec cette incursion dans l'univers particulier du Poulpe, Martin Winckler a fait son entrée dans le roman policier, se coulant avec facilité dans le moule préformé créé par Jean-Bernard Pouy. Il a réussi à y provoquer la rencontre, à distance, de deux justiciers des temps modernes: Gabriel Lecouvreur, l'anar redresseur de torts, et Bruno Sachs, médecin écrivain et militant pour une médecine plus humaine. Même si la partie médicale reste un peu au second plan, il s’agit toujours, comme dans les autres romans de Martin Winckler, de dénoncer les dérives des médecins et des laboratoires pharmaceutiques.

 

Extrait (les 10 premières lignes) :

« CHU de Tourmens,

Bloc opératoire n°2, 13h15

- Bien... Allez mon garçon, cette fois-ci je vous laisse terminer... Vous ferez le compte rendu et nous le relirons ensemble, n'est-ce pas ?

L'interne qui vient de lui servir d'aide opératoire n'en croit pas ses oreilles. Le Pr Goffin lui laisse terminer l'intervention ! Il regarde la panseuse qui lui tend déjà de quoi faire un surjet. Pendant que son interne referme la cicatrice abdominale, Edouard Goffin, cinquante ans, professeur agrégé de gynécologie-obstétrique à la faculté de médecine de Tourmens, jette ses instruments dans le haricot métallique et tend les bras à l'horizontale... »

 A noter un livre en anglais sur l’histoire de l’utilisation des médicaments proposés contre la dépression au cours des 150 dernières années, en allant de l’opium aux IRS et en passant par les benzodiazépines. Ce livre dénonce les complicités actives entre les différents pouvoirs (firmes, agences du médicament et sociétés savantes) et les enjeux financiers qui ont conduit à étouffer les informations sur les effets secondaires, y compris pour les molécules les plus récentes. Charles Medawar et Anita Hardon : « Medicines out of control ? Antidepressants and the conspiracy of goodwill. » Aksant ed, 2004, 258p, 29 euros. 


Conseil numéro 11 [retour haut de page]

Nous allons aborder cette fois le thème « Mutuelle et littérature policière ». En effet, la Mutualité Française a lancé une collection de roman policier à thématique médicale. Dans l’avertissement de chaque ouvrage de cette collection, on peut lire : « Face à la commercialisation rampante de la santé, la Mutualité Française défend un système de santé et de protection sociale plus solidaire et plus efficace. En créant la collection Polar Santé avec Fleuve Noir, elle entend porter à la connaissance de chacun des dossiers qui ne doivent pas rester dans l’ombre. Ces polars restent évidemment des œuvres de fiction à part entière qui laissent toute leur place à la liberté d’imagination des auteurs et au traitement satirique nécessaire au plaisir du genre. » Mais la question qu’on peut se poser reste quand même : quel est l’objectif au final de ces romans ? En effet, ils présentent la médecine sous ses pires travers et tous ses aspects négatifs, mais sans proposer de solution. Pour rendre vraiment service « à la population », il aurait était nécessaire d’ajouter après chaque polar un petit dossier pratique sur le sujet traité avec des conseils « à faire » et « à éviter ». Actuellement, la formule choisie donne plutôt une impression de « complot médical généralisé » et de « tous pourris ». Nous avons choisi de présenter 2 volumes de cette collection.

 

Retraite anticipée

Gérard Delteil  

Policier, Pocket, 6,20 euros.

Gérard Delteil, connu comme auteur de romans policiers (N’oubliez pas l’artiste, Mort d’un satrape rouge, Balles de charité), est aussi un journaliste d’investigation avec des livres d’enquêtes sur la prison, le trafic de viande, les risques de l’industrie chimique (avant AZF) et la médecine.

Cet ouvrage est un prétexte pour faire découvrir au lecteur le secteur fort lucratif des maisons de retraite en mettant à nu les conduites peu scrupuleuses de certains gestionnaires qui semblent plus préoccupés par les bénéfices que par la qualité des soins : main-d'œuvre très insuffisante et sous-qualifiée, fausses promesses lors de l'admission des pensionnaires, mensonges aux proches... Dans certaines maisons de retraite, on laisserait une seule aide-soignante la nuit pour s'occuper de dizaines de vieillards souffrant de maladies incapacitantes, on emploierait des gens sans formation ignorant la psychologie des personnes âgées et les traitant comme des enfants voire comme des objets, on supprimerait les animations et les services paramédicaux et on servirait des repas infâmes, tout cela pour augmenter les profits… Certains intervenants dans ces établissements, comme le coiffeur, le médecin, le pharmacien, l'entrepreneur des pompes funèbres, paieraient parfois un « droit d'entrée » pour bénéficier d'un monopole sur la clientèle. L’industrie pharmaceutique ferait même des expérimentations médicamenteuses sur les pensionnaires sans qu’ils le sachent. Il s’agit là de quelques éléments du dossier qui servent de base à ce roman policier.

Huit personnes ont trouvé la mort au cours de l'incendie qui a ravagé la résidence des Cèdres Bleus, une luxueuse maison de retraite située dans le sud de la France. Acte criminel ou accident résultant de la négligence des gestionnaires ? Juges et policiers sont d'autant plus discrets que l'établissement appartient à un puissant groupe industriel, la Française des services. Peu après, le corps de Julio Lebowski, ancien pensionnaire des Cèdres Bleus transféré dans un hôpital psychiatrique deux ans plus tôt, est retrouvé dans un fossé.
L'ex-légionnaire, réputé pour son franc-parler, se serait répandu peu de temps auparavant sur les pratiques fort peu déontologiques du groupe Aliamed : personnel peu nombreux et sous-qualifié, mais surtout brimades et mauvais traitements infligés aux personnes âgées, qui serviraient de cobayes pour d'obscures expériences médicales.

Le journaliste Raoul Walberg du quotidien Le Journal, est chargé de faire un papier sur ce banal fait divers. Son enquête est semée d'embûches et les responsables des établissements qu'il doit visiter ne sont guère coopératifs. Il va se retrouver en plein milieu d’une affaire criminelle avec son lot de pots de vin, de pressions, de rackets, d’accidents maquillés. Parallèlement, la juge Mireille Frémont et la police enquêtent.

Avec une maison de retraite incendiée, un ancien légionnaire mystérieusement écrasé, une municipalité bien corrompue, une multinationale spécialisée dans les services (maisons de retraites de luxe, restauration, sécurité et quelque part dans le fameux Journal), vous devriez obtenir une intrigue efficace.

Les jeux de pouvoir se tissent à mesure que l'enquête avance. Histoire de gros sous, implication du milieu pharmaceutique pour tester les nouveaux médicaments, cotation en bourse, nominations multiples à différents postes, les collusions sont nombreuses mais frôlent souvent la caricature. Au final, on a du mal à y croire, et après une centaine de pages, malheureusement,  le roman s'essouffle.

Extraits :

« Auparavant, on leur avait fait faire le tour du propriétaire : la salle de kinésithérapie et de maintien en forme, les cabines de soins réservées à l’esthéticienne, la salle d’animation, le grand salon où quatre vieilles dames disputaient une partie de bridge et le petit salon de télévision où un unique spectateur visionnait un reportage sur la culture du quinoa, mais chaque résident pouvait aussi disposer de son propre appareil.

- Chez nous, même dans la section de cure médicale, on ne parle pas de patients ou de pensionnaires mais de résidents, avait souligné Kerfati. Nous commençons par dresser un bilan gérontologique et étudier un plan de vie avec le nouveau résident. Chaque semaine il a la possibilité de s’inscrire à toutes sortes d’activités, à la manière d’un club de vacances. Il y a par exemple la sortie marché chaque mercredi, les visites de musées, les excursions… »[…]

« Tiens, elle n’avais pas encore vu celle-là. C’était une brune, épaisse, avec un front buté et des avant-bras musclés. Elle avait l’air revêche. Pas de bonjour, pas d’excusez-moi-de-vous-déranger, rien. Denise aurait aussi bien pu être un chien. Les premières paroles qu’elle prononça furent :

- Mémé, faut qu’on ait une petite explication toutes les deux. (…) Il y a qu’il paraît que tu pisses au lit. (…) Parce que c’est moi qui vais m’occuper de toi, à partir d’aujourd’hui, consentit à expliquer l’autre, alors faudrait pas t’imaginer que je vais m’amuser à changer tes draps plusieurs fois par jour. On va te mettre des couches ou alors te faire dormir sur une housse en plastique. A moins que tu préfères rester dans tes draps pleins de pisse. C’est comme ça. »

 

Mort in utero

Martin Winckler

Policier, Pocket, 6,20 euros

Martin Winckler, auteur prolifique, est très connu grâce à la publication de “La Maladie de Sachs”, adaptée il y a quelques années au cinéma (avec Albert Dupontel remarquable). De son vrai nom Marc Zaffran, c’est un médecin militant qui a longtemps travaillé à la Revue Prescrire. Il a maintenant son site Internet (http://martinwinckler.com), c’est un spécialiste également des séries TV, et il a même une rubrique dans le magazine pour enfants Spirou.

Martin Winckler renoue avec deux des personnages qu'il avait crée pour la saga du Poulpe (« Touche pas à mes deux seins » dont nous reparlerons dans une prochaine chronique) : Charly Lhombre, médecin généraliste remplaçant, et Jean Watteau, juge d'instruction aux méthodes très personnelles. Lhombre et Watteau vont mener deux enquêtes apparemment distinctes ; le premier est confronté à la mort d'un célèbre professeur de pharmacologie retrouvé mort suite à un accident de voiture. Mais les experts sont formels, le professeur était mort d'une balle dans le crâne avant qu'il n'ait son accident. Comment cet homme a-t-il donc pu être au volant de sa voiture à 140 km/h sur la rocade de Tourmens?
Le second est intrigué par le décès étrange d'une jeune femme enceinte : le diagnostique, posé par le médecin légiste, annonce une hémorragie interne due à un placenta accreta, autrement dit un développement excessif du placenta qui transperce les parois de l'utérus. Cela ne pourrait être qu'un tragique accident, si il n'y avait pas eu au cours des 6 dernières semaines 3 autres diagnostiques similaires... Bien évidemment les deux enquêtes vont se rejoindre.

Martin Winckler dresse un portrait de l'influence que peut avoir le lobby pharmaceutique sur la santé en général et les prescriptions des médecins en particulier. D'énormes intérêts économiques sont bien sûr en jeu qui poussent, dans la fiction, à tuer, mais le réalisme du récit, la description des mécanismes mis en œuvre, des méthodes employées, font froid dans le dos à eux tous seuls. C'est un véritable pamphlet contre l'industrie pharmaceutique, plus âpre au gain qu'à sa mission de soin. C'est également une attaque en règle des médecins peu scrupuleux, profitant de la souffrance et de l'impatience de certains jeunes couples désirant un enfant.

Il faut signaler l’écriture rapide (souvent au dépend du style qui laisse parfois à désirer) avec une narration éclatée qui, en chapitres extrêmement courts, nous promène de personnages en personnages, de situations en rapports de commission (le style rapport d’AMM est probablement assez rebutant pour les non médecins) avec de multiples allusions cinématographiques à travers les titres de ses chapitres qui reprennent ceux de films célèbres (« La maison du Dr Edouard », « Trois hommes et un coup fin »…). D'ailleurs, le découpage et le montage du roman, s'apparentent beaucoup à celui d'un scénario. Alors, à quand le film ou la série télé ?

Extraits :

« - Vous pensez  que c’est grave, docteur ?

Laura, dont l’angoisse est brusquement attisée, se redresse sur l’inconfortable fauteuil que lui a désigné le Dr Garches. Elle s’est un peu étonnée de se voir donner rendez-vous à la clinique des Dents-de-Lion, juste à la sortie de Tourmens, alors qu’elle pensait obtenir une consultation au CHU, mais la secrétaire lui a indiqué clairement que la seconde solution l’obligerait à patienter plusieurs mois.

- Evidemment, le Dr Garches prend des honoraires plus élevés à sa consultation privée, a-t-elle précisé, mais être rassurée et soignée, ça n’a pas de prix. (…)

- Grave ? Non, bien sûr, mais sérieux.

- Je voulais aussi vous dire…

-  C’est inutile, l’interrompt le médecin. Votre histoire ressemble certainement à celle de toutes les patientes qui me sont confiées. Alors, comme le temps presse, je vois que vous avez déjà vingt-sept ans, nous allons faire vite. Ce que vous avez à me dire a certes son importance, mais moins que les éléments proprement médicaux que je dois rassembler pour vous tirer de ce mauvais pas. (…)

En sortant du cabinet de consultation, Laura regarde machinalement sa montre. Elle est arrivée à 10 heures. Après s’être présentée à la secrétaire, elle a passé un petit quart d’heure dans la salle d’attente. La consultation, elle, a duré sept minutes. (…) La note est salée. Quatre fois le prix d’une consultation chez son gynécologue habituel et comme le Dr Garches est en honoraires libres, la plus grande partie ne sera pas remboursée. Mais Laura est résolue à avoir un enfant. »

 

Parmi les autres titres parus dans cette collection, on peut citer : "La quatrième plaie" de Patrick Bard, "Pannes de coeur" d'Eric Giacometti,  "Requiem en eau trouble" de Paul Couturiau et « Le Masque de Chair » de Christine Cognat.


Conseil numéro 10
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Nous allons aborder cette fois-ci le domaine de la psychiatrie (et de l’antipsychiatrie) à travers un thriller et un roman policier. Ces deux ouvrages donnent à voir la folie : le premier la folie d’un tueur en série, le deuxième insiste plutôt sur la folie des médecins et de l’institution. Par le plus grand des hasards, le commissaire du premier ouvrage a le même patronyme que l’auteur du second. Il est difficile en lisant ces livres de ne pas penser au double meurtre de l’hôpital de Pau en 2004.


Pavillon 38

Régis Descott

Jean-Claude Lattès, 2005, 18 euros

Il s’agit d’un très bon thriller avec assassin en série, qui se passe dans l’univers de la psychiatrie française. C’est dans le Pavillon 38 qu’exerce Suzanne Lohmann, épouse d’un chirurgien plasticien avec lequel elle a deux filles. La découverte de cadavres de femmes atrocement “mis en scène” par un tueur en série, amène le Dr Lohmann à se pencher sur le cas de Dante, un nouvel arrivant dans son service. Il raconte des “histoires” atroces en évoquant un mystérieux serpent. S’agit-il d’un simulateur, d’un vrai malade mental ou d’un tueur en série ? Finalement, après une période de suivi, elle le laisse retrouver « le monde normal » sous une solide couverture chimique, persuadée d’avoir établi le bon diagnostic. C’est toute l’histoire, toute l’enquête, conduite à trois niveaux par trois des personnages du roman : la psychiatre, le docteur Lohmann, François Müller, un reporter-photographe spécialisé dans le fait-divers et le commissaire Steiner.

Le titre, Pavillon 38, fait référence à l’UMD Henri-Colin de l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif (1910). Il s’agit de l’une des 4 unités pour malades dangereux (UMD) en France (les autres se trouvent à Avignon, Cadillac et Sarreguemines soit 400 places). Le Pavillon 38 accueille les fous dangereux pour eux-mêmes et pour la société : tueurs psychopathes, détenus psychiatriquement perturbés - il y en a de plus en plus en milieu carcéral - et qui refusent tout traitement, mais aussi des psychotiques qui sont refusés par les services de psychiatrie, toujours plus débordés par le manque d'effectifs et de lits. Parmi ceux que la Justice a reconnu « irresponsables » (article 122-1, 1er alinéa du Code pénal), le plus difficile est pour les psychiatres qui doivent faire le tri entre simulateurs, manipulateurs et vrais malades… Le turnover des patients - plus de 100 passent par cette UMD chaque année - fait peser une lourde responsabilité sur les médecins. Les chiffres des pavillons scandent un parcours thérapeutique. Pavillon 38: c'est là qu'on garde les entrants en crise qui, une fois calmés, passeront au 37, s'ils acceptent le traitement. Ils finiront au 35, avant de regagner leur établissement d'origine. Le 36, lui, est réservé aux femmes.

Le travail dans cette UMD semble très particulier et l’auteur y a mené une enquête « approfondie ». Il est dommage que rien ne ressorte de cette enquête et que l’ambiance de cette unité et ses spécificités ne soient pas plus abordées. Finalement, l’intrigue aurait pu se passer ailleurs sans que ça ne change rien à l’histoire. Le livre aurait tout aussi bien pu s’appeler « Le serpent » ou « L’anaconda ».

Extraits :

« Comme l’exigeait la procédure, il était assis sur son lit scellé au sol au milieu de la pièce, encadré par quatre infirmiers, deux derrière lui, deux devant, prêts à le maîtriser au moindre geste suspect. Ses anges gardiens, comme elle les surnommait, grâce à la présence desquels elle pouvait tendre la main à son interlocuteur sans appréhension.

Elle l’aperçut voûté dans le pyjama couleur ciel des nouveaux arrivants, puis à son entrée redressé, pour un peu danseur, la tête paraissant soutenir les cieux. Il hésita devant la main tendue, avant de la serrer à contrecœur. »

« N’était le cadre, le lit scellé, les vitres incassables, le lavabo dans un placard fermé à clef, les verrous, l’ampoule encastrée dans le mur et protégée par une plaque de plexi, et les infirmiers gantés de plastique, seuls les pansements trahissaient sa détresse. »

« Révolue l’époque pas si lointaine où les nouveaux se faisaient tabasser par les infirmiers dès leur arrivée. Les médecins avaient repris le pouvoir aux infirmiers, et les traitements mis en œuvre, aux dosages constamment modifiés en fonction des résultats obtenus, étaient suivis de près par les laboratoires concepteurs de neuroleptiques. Petit à petit, à de rares exceptions près, on parvenait à circonvenir ces maladies. Pour leur partie métabolique tout du moins, le pourquoi de l’éclosion de la maladie – « folie » disait-on autrefois – chez tel sujet plutôt que chez tel autre, demeurant souvent un mystère. »

« L’étudiante appliquée qu’elle était se rappelle une phrase de Levine, spécialiste américain, retenue vingt ans plus tôt : « Le vrai psychopathe résout ses conflits en rendant autrui malheureux, alors que le névrosé résout ses conflits en se rendant malheureux. » (…) A l’affirmation de Levine, il faut ajouter celle de Horney : « A chaque victoire sur les autres, le psychopathe gagne un sentiment de triomphe exalté qui masque sa propre défaite sans issue. » »

 

Petites morts dans un hôpital psychiatrique de campagne

Michel Steiner

Folio policier, N°315, 2003, 6,40 euros

Il s’agit d’un un roman noir antipsychiatrique écrit par Michel Steiner qui « clame que les neuroleptiques soignent les institutions et non les fous » comme le signale la quatrième de couverture. Michel Steiner est docteur en psychologie, ancien membre du laboratoire de psychologie sociale expérimentale du CNRS, ancien animateur de conférences à HEC et à Paris VII et Paris VIII, et maintenant psychanalyste.

Lorsque Oscar Lepgorin, psychanalyste aux maigres ressources et grand joueur de poker, rentre chez lui, un "cadeau surprise", l’attend dans sa salle à manger. On y a déposé un homme grossièrement travesti, drogué à mort, proche de l'overdose, bavant, écumant et se relâchant de partout. Une carte l'accompagne signifiant à Lepgorin sa mort prochaine et lui indiquant que la réponse à cet acte se trouve "dans la nuit de Frémont". Il décide donc de s’y rendre, chez son vieil ami Koberg qui n'est autre que le médecin-chef de l'asile de Frémont, un obscur hôpital psychiatrique de campagne. Et quand on identifie le travesti comme une sommité de la psychiatrie qu'Octave a connu quand il était représentant d'un laboratoire pharmaceutique, il comprend que la mise en scène ne doit rien au hasard. Un drôle de flic féru d'Histoire médiévale, Mathieu Gambié, mène l'enquête. Mais, quel est le lien entre un manuel de l'Inquisition du XVe siècle, les pratiques insensées des aliénistes du XIXe et les traitements modernes de la folie ?

Michel Steiner signe là un polar à la construction redoutable. Il nous emmène dans le gouffre vertigineux des soins psychiatriques et c'est un véritable musée des horreurs qui s'ouvre devant nous. Et si les lecteurs pouvaient avoir des doutes sur les  pratiques décrites dans ce livre, l’auteur précise dans son avertissement que : "Seule la réalité m'a inspiré. Et si les lieux et les personnages de ce roman sont les fruits de mon imagination, les soins fous et les tourments infligés aux "malades", eux, ne le sont pas".

Extrait :

« Gambié se refusait obstinément à tout commentaire. Les questions fusaient concernant le droit des internés. La loi de 1838 et l’insuffisance de ses amendements de 1990 étaient sous le feu des projecteurs. Les causeries allaient bon train. Un infirmier qui avait rendu son tablier expliquait que la « toute-impuissance » des médecins-chefs des hôpitaux psychiatriques découlait de leur rage à ne rien comprendre à la folie. « Ils commencent par souffler de plus en plus fort dans l’oreille des fous, comme on cherche à dépoussiérer une mécanique d’horloge, puis en viennent aux coups de tatane rageurs. Voilà la logique des chocs, voilà résumée toute l’histoire de la thérapeutique psychiatrique du XIXè siècle à nos jours ! Le Cogécinq, c’est comme une droite dans la tronche, mais elle arrive de l’intérieur ! » J’aimais. « Le jour où ils ne dépendirent plus du ministère de l’Intérieur, mais de celui de la Santé, les asiles d’aliénés furent tous changés, mais sans que pourtant rien ne change, en hôpitaux psychiatriques » dit un psy atypique, qui ajouta : « L’aliéniste réfléchissait l’aliéné comme un miroir, remplacé par un vrai docteur, ça a forcément fait de l’autre un vrai malade ! » « Il n’y a pas de remède à la folie, n’empêche qu’il y a des médicaments ! Qu’est-ce qu’on soigne avec ? » demanda un ancien interné. »

Le domaine de la folie a donné lieu à de nombreux livres. Les ouvrages sur l’histoire de la psychiatrie sont aussi très instructifs sur l’imagination sans limite des « médecins ». Pour n’en citer qu’un : « Les médecines de la folie » de Pierre Morel et Claude Quétel, Hachette Pluriel, 1985 (épuisé). On peut citer quelques exemples : extraction de la pierre de folie, fumigations du vagin, ceinture compressive des ovaires, irritants, malariathérapie, fauteuil rotatoire, pneumochoc, choc insulinique… On comprend mieux après le roman de Michel Steiner.


Conseil numéro 9
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Nous allons cette fois ci aborder le thème de la médecine à travers la bande dessinée. Dans notre première rubrique de « conseils de lecture », nous avions proposé une série de mangas (« Say hello to Black Jack ») qui en est maintenant à son dixième volume. Aujourd’hui, il s’agit d’une bande dessinée classique sur la vie d’un chirurgien ORL (mini histoires autobiographiques) et un récit en 3 volumes sur une mission en Afghanistan de Médecins sans Frontières. Cette trilogie est très originale car elle mélange dessins et photographies.

 

Le photographe (Tomes 1, 2 et 3)

Guibert, Lefèvre et Lemercier

Dupuis, (14 euros pour les tomes 1 et 2, 19 euros pour le tome 3 qui comporte un DVD)

Fin juillet 1986. Didier Lefèvre quitte Paris pour sa première grande mission photographique : accompagner une équipe de Médecins Sans Frontières au coeur de l'Afghanistan, en pleine guerre entre Soviétiques et Moudjahiddins. Depuis seuls les belligérants ont changé dans ce coin du globe. L’histoire se base sur le récit et les centaines de photographies de Didier Lefèvre, et l'album est pour moitié composé de photos et pour moitié des dessins de Guibert. Le dessin très épuré se fond bien avec les photos en noir et blanc. Les dialogues donnent de la vie à la voix off qui raconte le quotidien de ce voyage, de cette caravane, de telle sorte qu'on s'y croit presque. La bande dessinée intervient pour combler les vides entre les photos et raconter ce qui se passe quand le personnage, pour une raison ou une autre, n'a pas pu photographier. Cet aspect "expérimental" permet vraiment de bien se positionner, on est encore dans de la bande dessinée mais on entre aussi dans du vrai reportage photo avec témoignage à l'appui. Le dessin se met au service du récit, avec un cadrage et un découpage parfait. Les photos, dont certaines sont difficilement soutenables par l’horreur qu’elles décrivent, sont à l’avenant : pas besoin de faire des gros plans sanguinolents sur des blessures d’enfants pour montrer le mal que le genre humain se fait à lui-même.

En plus des photos "narratives", qui servent de base au récit, on a droit de temps en temps à des agrandissements de photos particulières, apportant par leur symbolique ou leur simple beauté, une dimension supplémentaire au récit.

Le tome 1 raconte le voyage long, pénible et périlleux pour arriver au fin fond de l’Afghanistan, le tome 2 présente la mission proprement dite des médecins de MSF. D’un point de vue médical, on y découvre des pathologies oubliées, de la chirurgie de guerre et on assiste à des opérations « comme si on y était ». Le tome 3 raconte les périples du voyage de retour du photographe. Il contient un DVD de 40 minutes qui retrace également cette mission de MSF. La BD est tellement réussie qu’on a l’impression d’avoir déjà vu le film !

Didier Lefèvre est décédé en 2007.

Extrait (tome 2) :

« Depuis hier, le téléphone afghan fonctionne et la nouvelle de l’ouverture de l’hôpital a couru. La salle d’attente est pleine. Un afghan, auquel les missions précédentes de MSF ont appris des rudiments de médecine, est chargé de classer les patients en fonction de la gravité de leur cas. Mahmad, fidèle au poste, fait l’interprète. (…) Le premier patient sérieux n’a rien à voir avec la guerre. C’est un petit garçon qui s’est salement brûlé le pied en tombant dans un four à pain. Accident domestique courant en Afghanistan. Son père et sa soeur l’accompagnent. Pendant que Régis prépare l’anesthésie du garçon, Robert ausculte la fillette. Il est obligé de le faire en s’accommodant des vêtements car, comme toutes les femmes, les petites filles ne peuvent pas être dénudées par le docteur. (…) Le lendemain, les Moudj’ nous amènent Amrullah sur un brancard. Amrullah, seize ans, qui a le bas du visage arraché par un éclat d’obus. Il est semi-comateux et ça vaut mieux pour lui. Sa plaie est effroyable. Elle pétrifie tout le monde, sauf les médecins. Ils accomplissent déjà les premiers gestes pour le soigner. »

 

Charles Masson

Bonne Santé

Casterman, 12,95 euros

« Je maudis le connard qui a décidé de souhaiter « Bonne santé » pour le nouvel an. » Cette citation reprise en quatrième de couverture résume à elle seule la tonalité de l'album. Au moyen de 6 récits, fruits de l’expérience de l’auteur en tant que médecin au CHU de Lyon (avant de quitter la métropole pour la Réunion), Bonne Santé  évoque sans fioritures les «mensonges pieux» faits aux malades en phase terminale pour qu’ils ne perdent pas espoir, la « carapace » de vulgarité dans laquelle chaque interne s’enferme pour résister au stress des gardes et des interventions chirurgicales, «l’aide» apportée aux patients en « fin de vie ».

«Je mettrai ça sur ma plaque quand je m'installerai: médecin et menteur professionnel». Le ton est donné. Toutes situées le jour de l’an (d’où le titre...), ces courtes histoires racontent les "mensonges nécessaires", les vœux de "bonne année", les faux espoirs que l’on entretient plus particulièrement ce jour-là aux mourants. Chaque histoire est rythmée par le fil narratif d'une visite de chambres de malades un jour de l'An, sous forme de textes d’une à 2 pages qui séparent les passages dessinés. Ces textes off sont des extraits de dialogues des médecins et des infirmières qui font leur tournée lors du passage à la nouvelle année.

Charles Masson navigue sans arrêt du tragique au poétique, nous donnant une vision sans concession de son métier. L’auteur ne nous épargne rien de tout ce qui fait le quotidien d’un médecin hospitalier. Les gardes qui tournent mal, les opérations entre stress et humour potache des chirurgiens charriant les externes, le chef de service seul face à son échec, la patiente sauvée mais presque déçue de ne pas se retrouver en face de saint Pierre: du rire aux larmes, du défoulement adultère aux chambres communes, de la poésie à l'implacable réalité, Charles Masson évoque son milieu professionnel entre souvenirs et allégories.

Il nous parle de son travail, des soignants, mais aussi de ces gens, notamment des vieux de la campagne, qui entrent dans les hôpitaux, désemparés, si loin de leur environnement habituel et qui en oublient parfois même d'apporter... leurs pantoufles. Et surtout du rapport du praticien à la maladie, à la souffrance... et in fine de la relation à la mort. Et malgré la noirceur qui émane de ces pages, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a bien de l’espoir derrière cet ouvrage. Le cynisme, les mensonges et l’impuissance des médecins apparaissent alors comme autant d'échos d'une profonde humanité.

Charles Masson pratique en permanence le décalage entre le narratif et l'image. Peu de dialogues chez lui mais plutôt une litanie illustrée. Ce décalage pourra dérouter les lecteurs, car le dessin évoque souvent une histoire en train de se réaliser alors que le texte décrit un épisode plus ancien.

Cette BD très pessimiste, n’est pas sans rappeler le livre d’Antoine Sénanque (pseudonyme d’un neurologue parisien) paru en 2004 chez Grasset et intitulé « Blouse ». Ce récit racontait les doutes et le « blues » d’un médecin neurologue après 20 ans de pratique. A lire uniquement sous Prozac.

Extrait :

« Chambres 8-9

-Ah ! Papy. Alors, comment ça va ? Houlà ! Doucement avec le gavage. Ha Ha ! On a mis du champagne dedans.

Oui, je sais, je me répète, mais bon… Le papy, il s’en fout, tant qu’on lui parle. 85 ans le papy. Enfin, j’irai pas aussi loin, moi avec ce que je fume.

-Oui, et bonne année ! Et surtout bonne santé ! Ah ! Et oui, c’est le troisième millénaire.

Ah, Ah ! Vous ne pensiez pas y arriver… Dame, ça se fête… C’est pour cela qu’on a mis le champagne. A la place du gavage.

-Ho, non ! Pas moi, j’étais d’astreinte, alors j’ai pas picolé. Non, pas cette année. Oh ! L’an prochain.

Enfin, l’an prochain, j’suis le seul ici qui serai encore vivant, hein. Toi, si t’es encore là, c’est carrément le miracle.

-Juste une coupe à minuit et je suis allé me coucher.

Et un petit coup pour la bonne année et au dodo.

-Oui, bonne année à vous… Et bonne santé.

Allez, vite, on se sauve, on détaille pas, la bonne santé. »

 

A signaler, l’existence d’un site internet qui recense les BD à thématique médicale : http://www.bdmedicales.com/textes/liste.htm Ce site mis à jour en 2005, comporte 198 références. On peut notamment recommander le tome 7 des Bidochons de Binet : « Assujettis sociaux » qui donne une vision assez juste de l’hôpital, et les 2 volumes du « Docteur Ventouse, Bobologue » de Claire Bretecher qui illustre bien la vie quotidienne d’un médecin généraliste.

A noter également un autre médecin dessinateur de bandes dessinées  (DUF, dont NPG a déjà publié un dessin pour illustrer  le dossier sur la maladie de Parkinson, N°6, décembre 2001, page 28) qui a maintenant sont site internet : http://docduf.free.fr/ . Vous pouvez commander ses ouvrages à : DUF Éditions. 18, rue Saint-Benin. 58000 NEVERS France.

Le + d'internet Sortie fin 2006 de la dernière BD de Martin Veyron (très connu pour son personnage de Bernard Lermite) chez Albin Michel : "Papy plouf". "Des seniors ont pris le large à bord de l'Espoir des Mers II pour une croisière de non-retour". Humour grinçant garanti.


Conseil numéro 8
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Nous allons aborder dans cette rubrique un aspect de la médecine très particulier puisqu’il intervient après le décès du patient, il s’agit de la « médecine légale ». Avec l’explosion du thriller et des tueurs en série, le rôle du médecin légiste est devenu prédominant dans la littérature policière. Nous en avons choisi deux parmi les plus réputés.

 

Herbert Lieberman

La trilogie : Nécropolis, Le tueur et son ombre, La nuit du solstice

Collection Points du Seuil, 7, 95 euros le volume.

Nécropolis (Grand Prix de littérature policière 1978) est le premier roman noir où l'enquête est conduite par un médecin-légiste. Pour l'écrire, Herbert Lieberman a suivi pendant plus d'un an l'équipe de l'Institut médico-légal de Manhattan. La qualité de l'intrigue, l'ambiance des salles d'autopsie, la personnalité complexe des personnages en font un chef d'oeuvre de la littérature policière américaine.

La citation en exergue de Nécropolis donne d’emblée le ton : « Le psychiatre sait tout et ne fait rien. Le chirurgien ne sait rien et fait tout. Le dermatologue ne sait rien ni ne fait rien. Le médecin légiste sait tout, mais un jour trop tard. (Vieil adage) ». Nous sommes en 1976. Paul Konig est le médecin-chef de l'Institut médico-légal de New York, la "ville des morts". Avec plus de quarante ans d'expérience, c'est une sommité au diagnostic parfait ; son jugement fait loi et tous le respectent. L'implacable médecin n'a qu'une faille : le naufrage de sa vie de famille. Sa femme, morte d'un cancer, sa fille disparue et qu'il sait en danger. Noyant sa peine dans un travail acharné, Konig doit résoudre une affaire peu ordinaire : un véritable cimetière a été retrouvé sur les berges du fleuve. La marée a tout brassé et pêle-mêle se trouvent bras, jambes, doigts, orteils et débris anatomiques. Combien de corps, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, comment sont-ils morts et pourquoi sont-ils là ? Hanté par la disparition de sa fille, Konig reconstitue patiemment les corps mutilés.

Ambiance sombre, reconstitutions fidèles et glauques d'autopsies à 5 heures du matin, on ressentirait presque l'odeur de formol et le bruit froid et métallique du scalpel sur les planches à découper, les ultimes gémissements de chairs maltraités, recousus, recomposés à l'heure du café et des baggels.

Dans La nuit du solstice et Le tueur et son ombre, on retrouve bien sûr le même médecin légiste et la ville de New York. Ils sont tout aussi passionnants et se lisent d’une traite, comme les autres romans d’Herbert Lieberman.

Extraits de Nécropolis

« L’odeur d’une salle d’autopsie est bizarre. Odeur de mort et d’assa foetida. De formol et de peur. Qui la sent une fois ne l’oublie jamais. »

« A travers la lentille grossissante de la loupe, Konig constate que l’épiderme a subi des dégâts considérables sur toute la surface. Aucun doute qu’un objet fortement abrasif – un grattoir, ou peut-être une lime – a été utilisé pour oblitérer le relief digital et palmaire. Mais en découpant soigneusement et en soulevant la couche épithéliale totalement lacérée, il parvient à prélever de petites bandes de la membrane conjonctive qui porte encore d’imperceptibles traces de sillons et de crêtes.

Ce n’est pas la première fois que Konig se trouve confronté à une situation de ce genre, une situation où les doigts ont été dépouillés de leur épiderme par putréfaction ou encore mutilation délibérée. Et il sait quelque chose qu’ignore celui qui a mutilé les doigts – que les caractéristiques de la couche externe du derme sont identiques à celles des empreintes digitales elles-mêmes. »

Patricia Cornwell 

Post mortem, Mémoires mortes, Et il ne restera que poussière…

Collection du livre de poche, 6,95 euros le volume.

Patricia Cornwell au fil de ses romans nous a fait découvrir Kay Scarpetta (la médecin légiste), Pete Marino (le policier), Benton Wesley (l’agent du FBI) et l’univers des salles d’autopsie. Elle a d’ailleurs travaillée 6 ans dans une morgue (aux programmes informatiques) avant de publier son premier roman. C’est Post Mortem, publié en 1990 en version anglaise, (Edgar Poe Award  et prix du Roman d’aventures 1992), qui lui a donné une reconnaissance mondiale. Elle a même été la première américaine a remporter la consécration anglaise suprême : le prestigieux « Gold Dagger Award » en 1993. Dans cette première histoire, toute l’intrigue repose sur une particularité médicale du tueur. Depuis, elle nous livre pratiquement chaque année un nouveau polar.  Le 14ème volume de la série des Kay Scarpetta est paru aux Etats-Unis et le 13ème vient de paraître en France. Autant les premiers volumes étaient originaux et faisaient découvrir des aspects ignorés de la médecine légale et des méthodes du FBI (en particulier la ferme des corps qui étudie la décomposition des cadavres en fonction du temps et de l’environnement), autant au fil du temps, les intrigues sont devenues de plus en plus improbables, la psychologie des personnages et leur vie amoureuse prédominantes ; avec une vision très américaine du combat du Bien contre le Mal. C’est maintenant devenue une véritable industrie avec son entreprise la Cornwell Establishment. 

Cette série doit bientôt être adaptée pour le cinéma.

Extrait de « Et il ne restera que poussière… »

« La première question que je me pose lorsque je découvre une lésion sur un os ou dans un tissu musculaire, c’est de savoir si elle a été provoquée avant ou après la mort. Car si l’on ne connaît pas les altérations pouvant intervenir après la mort, on risque de graves erreurs.

Les gens carbonisé dans des incendies présentent souvent des os éclatés ou des traces d’hémorragies épidurales ce qui peut donner l’impression que quelqu’un les a torturés avant de mettre le feu à la maison pour maquiller le meurtre, alors que ces blessures sont intervenues après la mort en raison de la chaleur intense. L’aspect des cadavres échoués sur les plages ou repêchés dans des rivières ou des lacs peut souvent faire croire qu’un malade mental a mutilé visages, organes génitaux, pieds et mains, alors que c’est là l’œuvre des poissons, des crabes et des tortues. Les restes osseux sont mordus, rongés, déchiquetés par les rats, les chiens, les rapaces et les ratons laveurs.

Les prédateurs à quatre pattes, à écailles ou ailés infligent des dommages spectaculaires, certes, mais heureusement postérieurs au décès de la victime. La nature entreprend alors son grand recyclage. La cendre redevient cendre, la poussière retourne à la poussière

 

En dehors du médecin-légiste, un autre personnage a aussi fait son apparition pour mener des enquêtes post-mortem : le croque-mort. Tim Cockey a situé le sien à Baltimore, et 3 aventures sont parues en français. Pourtant, nous avons l’antériorité sur ce sujet avec la série d’Alexandre Terrel « Le croque-mort » parue aux éditions du Masque dans les années 1980 (malheureusement, on ne peut les trouver que chez les bouquinistes). Comme les auteurs américains, si la partie scientifique est très précise (le métier de thanatopracteur n’aura plus de secret pour vous), il y a évidemment beaucoup d’humour noir. L’aspect comique est renforcé par la description de la vie quotidienne dans une petite ville de province, telle qu’on peut se l’imaginer lorsqu’on habite… Paris. Sous le nom d’Alexis Lecaye, Alexandre Terrel a aussi écrit la série des Julie Lescaut.



Conseil numéro 7
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Nous allons nous intéresser cette fois-ci au thème du « suicide » qui est très souvent abordé dans la littérature. Apparemment le suicide est un acte complexe, qui peut demander une formation spécifique (c’est le cas dans l’ouvrage de Martin Page) ou de l’aide, comme dans le roman d’Arto Paasilinna. Nous avons déjà parlé dans une précédente rubrique de cet auteur finlandais à l’humour ravageur. Si le sujet est sérieux, ces ouvrages nous font réfléchir entre deux crises de fou rire.

Martin Page

Comment je suis devenu stupide

Le Dilettante (2000) 15,09 euros

En poche, J’ai lu (2003) 4 euros.

Dans ce premier roman férocement drôle, Martin Page fait un pamphlet contre l’abrutissement de la vie moderne, en partant du postulat que l'intelligence ne fait pas le bonheur…

« L'intelligence est une maladie. Une tare. La pensée conduit à l'exclusion.» A vingt-cinq ans, Antoine, cultivé, fin et bardé de diplômes aussi exotiques qu'inutiles, le sait déjà depuis longtemps. Il décide donc de se noyer dans les vapeurs de l'alcool. Devenir alcoolique d'accord, mais intelligemment et méthodiquement. Comme on ne peut pas être génial en tout, Antoine échoue lamentablement. Il prend alors comme «remède de substitution la résolution de se suicider». Après un bref apprentissage technique sur la façon de se donner la mort (cours donnés par la SPTPTM, Suicide Pour Tous et Par Tous les Moyens, association fondée en 1742), Antoine reconnaît que s’il ne veut pas vivre, il ne veut pas mourir non plus. Reste une solution: devenir stupide. D'abord tenté par une demi lobotomie, il espère se faire contaminer par un professeur et une journaliste qui, semble-t-il, ont consacré leur vie entière au renoncement à l'intelligence. Et puis il tâte des vertus décérébrantes de la télévision, des Grands Magasins, des salles de musculation avant qu'un job dans une société de courtage l'entraîne au-delà de ses plus périlleuses ambitions. Finalement, la solution, car il y en a une, s'appelle Heurozac : deux petites pilules par jour et l'apprenti stupide peut ingurgiter des Big Mac, s'enrichir en boursicotant, s'offrir un loft branché et une grosse voiture sans culpabiliser. Bref, la vraie vie, enfin !

Extraits

« …moi je voulais être alcoolique, mais ça n’a pas marché. Maintenant, le suicide me semble la solution la plus abordable. Là, au moins, j’ai toutes mes chances. – Détrompez-vous : rien n’est plus difficile que de se supprimer. Il est plus facile d’avoir son bac, le concours d’inspecteur de police ou l’agrégation de lettres que de se suicider. Le taux de réussite est en dessous de huit pour cent. »

« Ma théorie… Ma théorie est qu’il vaut mieux mourir tant que la vie ne nous a pas tout pris. Il faut garder des munitions, de l’énergie pour la mort et ne pas y arriver complètement vide comme ces vieillards aigris et malheureux. Peu m’importe que vous soyez croyants, athées, agnostiques ou diabétiques, ce n’est pas mes oignons. Je pense certaines choses, et je vais vous en parler, mais je ne suis pas là pour vous convaincre de mourir ou de ce que peuvent être la vie et la mort. C’est votre expérience, ce sont vos raisons, vos choix. Notre point commun, c’est que la vie ne nous satisfait pas, et que nous voulons en finir, c’est tout. Je vais vous apprendre comment vous suicider de manière efficace, pour ne pas vous louper, de manière belle, originale. Mon enseignement porte sur la façon de se donner la mort, pas sur les raisons. »

A noter qu’il existe une version BD de ce livre par Nikola Witko  (éditions 6 pieds sous terre, collection Plantigrade).

Arto Paasilinna

Petits suicides entre amis

Éditions Denoël, 2003, 20 euros

Folio (2005), 6,20 euros

Ce roman est paru en Finlande en 1990, mais n’a été traduit en français qu’en 2003. Il s’agit là encore d’un « road book » désopilant à travers toute l’Europe.

Un beau matin, Onni Rellonen, petit entrepreneur dont les affaires périclitent, et le colonel Hermanni Kemppainen, veuf éploré, décident de se suicider. Le hasard veut qu'ils échouent dans la même grange. Dérangés par cette rencontre fortuite, ils se rendent à l'évidence : nombreux sont les candidats au suicide. Dès lors, pourquoi ne pas fonder une association et publier une annonce dans le journal ? Le succès ne se fait pas attendre, et ils organisent, avec les centaines de personnes qui ont répondu à l'appel, un symposium et un banquet. Une trentaine de suicidaires de tous poils décident de s’embarquer dans l’aventure, dans un car de tourisme flambant neuf. S'ensuit, à travers l'Europe, une folle équipée de joyeux désespérés, une quête existentialo-rocambolesque dans la pure tradition des romans de Paasilinna. Un périple loufoque mené à un train d'enfer, des falaises de l'océan Arctique jusqu'au cap Saint-Vincent au Portugal, où l'autocar kamikaze finira par se précipiter dans l'Atlantique. Ce roman est l'occasion d'une réflexion férocement drôle sur le suicide : "Rater son suicide n'est pas forcément ce qu'il y a de pire dans l'existence."

Extraits

« Le colonel Kemppainen et le président Rellonen rédigèrent une annonce à l’intention d’un quotidien national. En termes succincts, on pouvait y lire :

SONGEZ-VOUS AU SUICIDE ?

Pas de panique, vous n’êtes pas seul.

Nous sommes plusieurs à partager les mêmes idées, et même un début d’expérience. Ecrivez-nous en exposant brièvement votre situation, peut-être pourrons-nous vous aider. Joignez vos noms et adresse, nous vous contacterons. Toutes les informations recueillies seront considérées comme strictement confidentielles et ne seront communiquées à aucun tiers. Pas sérieux s’abstenir. Veuillez adresser vos réponses Poste restante, Bureau central de Helsinki, nom de code « Essayons ensemble ». »

 

A noter que ce thème du suicide « collectif » et « d’entraide » a inspiré de nombreux auteurs. On peut citer l’auteur de « L’île au trésor » et le célèbre romancier de la trilogie des « Fourmies ».

« Le club du suicide », Robert Louis Stevenson, Folio, 2 euros.

Avec cette nouvelle, Stevenson (1850-1894) ouvre un ensemble de récits fantaisistes et rocambolesques, Les Nouvelles Mille et une Nuits. « Nous savons désormais que la vie n’est qu’une scène où faire le pitre aussi longtemps que le rôle nous divertit. Il manquait encore une commodité au confort moderne ; une manière convenable et facile de quitter la scène ; l’escalier de service vers la liberté ; ou, si vous voulez, comme je l’ai dit à l’instant, l’escalier de service vers la Mort. Tout cela, mes chers compagnons de révolte, est fourni par le club du Suicide. » C’est un luxe rare qu’offre cette société secrète aux jeunes gentlemen Londoniens ruinés par le jeu et les femmes ou simplement désenchantés : le luxe de se suicider en toute discrétion, la garantie d’une mort “honorable”. Un suprême raffinement au Progrès déjà mis en marche par l’invention du chemin de fer ou du télégraphe. Moyennant 40 livres, les désespérés de bonne famille sont reçus par le président du club pour un entretien préalable où ils doivent faire la preuve de leur désir de mort. C’est une partie de carte qui décide de qui verra son souhait réalisé parmi l’assemblée des membres. Le principe est simple : celui qui tire l’as de pique obtient son passeport pour un au-delà sans scandale tandis que celui qui tire l’as de trèfle est désigné pour être son bourreau. Tout candidat au suicide est donc également candidat au meurtre.

Bernard Werber, « EXIT », éditeur Albin Michel (3 volumes, 9 euros chaque).

Mourir, oui, mais comment ? La jeune et jolie Amandine Wells, journaliste dans un magazine de jeux vidéo, perd son job, son petit ami et son appartement dans la même journée. Désespérée, elle décide de mettre fin à ses jours. Mais le courage lui manque. Sur Internet, elle tombe alors sur un site lui proposant un étrange marché (www.sos.dprim.fr) : "Vous avez raté votre vie ? Réussissez votre mort ! EXIT, le premier service d'aide à la sortie". "On" l'aidera à mourir si elle-même accepte de tuer un autre désespéré. Amandine accepte. Et, bien sûr, reprend rapidement goût à la vie. Mélangeant polar et fantastique moderne, dessiné de manière très réaliste par Alain Mounier (auteur d'une autre série fantastique, Dock 21 chez Dargaud), Exit joue avec les peurs modernes : dépression, sectes, nouvelles technologies.

Le + d'internet : A noter la sortir fin 2006 d'un petit roman de Jean Teulé (éditeur Julliard) intitulé "Le Magasin des Suicidés". Une perle d'humour noir. Comme le rappel la quatrième de couverture : "Vous avez raté votre vie ? Avec nous, vous réussirez votre mort !"


Conseil numéro 6
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Nous allons nous intéresser cette fois-ci au « polar médical » à travers les principaux romans de Thierry Jonquet. Presque tous ont en effet une trame médicale qui s’explique par les premiers métiers de l’auteur. Il a d’abord été ergothérapeute dans un service de gériatrie à l'hôpital Draveil. Des « petits vieux », il passe aux enfants mutilés de l'hôpital Saint-Maurice. Puis il change d'orientation pour devenir instituteur. Mais le voilà pour son premier poste dans un autre hôpital, avec des malades mentaux. A la fin des années 1970, il découvre le polar, et il était tout naturel que son premier livre, en 1982 (Le Bal des Débris), soit un roman noir qui se passe dans un hôpital gériatrique. Pour cette rubrique, je vais surtout m’intéresser au dernier roman paru (qui est loin d’être son meilleur) et à Mygale qui est probablement le plus abouti.

Thierry Jonquet

Mon vieux

Seuil Policiers, 2004, 17 euros

(Points Seuil, 2005, 7,50 euros)

C’est l’été, l’été 2003. La chaleur commence à faire des ravages chez les plus démunis, vieillards, malades et rejetés de la vie. Quelques années plu tôt, à La Courneuve, un vieillard qui titube au milieu de la route à 11 heures du soir est récupéré par la BAC. Pas moyen de savoir son nom, l’inconnu a la maladie d’Alzheimer. Il est placé en soins de longue durée à l’hôpital Lyautey à Draveil.

Pour Alain Colmont, la canicule risque de tourner au cauchemar… Élevé dans la misère, il a quand même réussi à devenir professeur, puis scénariste pour la télé. Mais un jour sa fille, Cécile, a un accident de scooter qui la défigure. Alain, qui l’adore, se ruine pour lui redonner un visage.

À Belleville, une bande de SDF se retrouve régulièrement pour boire et se livrer à de petites combines. Cette vie-là, Daniel Tessandier, Rmiste, n’en veut pas. Mais comment l’éviter lorsqu’on perd son appartement et qu’il n’y a pas de travail ?

Thierry Jonquet enchevêtre les destins de ces deux hommes en galère. Le premier, Alain Colmont, est rattrapé par les « tuiles » de la vie, étouffé par les dépenses et glisse lentement vers le crime ; le second, Daniel Tessandier, s’engouffre dans la spirale de la précarité, la clochardisation, puis, lui aussi, du crime. Deux mondes qui coexistent sans se voir et où un meurtre peut en cacher un autre...

Ce roman, à travers le prétexte de la canicule, aborde plusieurs sujets de société actuels : le chômage, les SDF, les personnes âgées, la maladie d’Alzheimer... Tout repose sur la problématique de « l’obligation alimentaire » qui met le personnage principal devant un dilemme : doit-il s’occuper de son père qu’il ne connaît pas et qui l’a abandonné ou de sa fille qu’il aime par-dessus tout ? Cette situation paraît tellement artificielle qu’on n’arrive jamais à y croire. Tout est très caricatural dans ce livre, et même la description des SDF ressemble à celle d’un film de série B. Encore pire, le portrait du directeur de l’hôpital gériatrique. Même si les nouveaux directeurs n’ont plus que des objectifs économiques de rentabilité, ils ne vont quand même pas jusqu’à rechercher avec acharnement l’identité d’un patient Alzheimer pour pouvoir encaisser le forfait hébergement ! Où sont passés l’imagination et le style de Jonquet ? Malheureusement cette baisse de qualité était déjà très présente dans son précédent roman « Ad Vitam Aeternam ». Par ailleurs, pas un seul instant le lecteur n’a la sensation de la canicule (chaleur, sueur, étouffement, fatigue, épuisement…). C’est purement un alibi qui aurait pourtant pu être mieux exploité par cet écrivain de talent.

Extrait :

 « Dès le lendemain matin, Alain se rendit à l’hôpital Lyautey. Il prit un train de banlieue à la gare de Lyon, descendit à Villeneuve-Saint-Georges et, peu disposé à emprunter un des bus qui desservaient Draveil, patienta dans l’attente d’un taxi. La voiture le déposa devant l’entrée de l’hôpital. La gorge nouée, il scruta l’édifice, trois blocs de béton lugubres disposés en H au beau milieu d’un parc abondamment fleuri. Alain se demanda pourquoi on baptise parfois les hôpitaux du nom de massacreurs galonnés : Foch, Joffre, Lyautey. Mais les généraux en sont souvent les meilleurs fournisseurs, après tout.

Il se rendit au guichet d’accueil et, sitôt entré dans le hall où se trouvaient le kiosque à journaux et la cafétéria, il eut un rapide aperçu de ce qui l’attendait. Des vieillards des deux sexes erraient en robe de chambre, agrippés à leur déambulateur. D’autres végétaient sur des bancs, le regard vide et le menton dégoulinant de bave, leur bouche édentée grande ouverte. Sans le moindre signe d’agacement, de révolte. Ils tuaient le temps en attendant que le temps les tue.

Perdu au milieu d’eux, Alain eut l’impression d’avoir été convoqué pour une figuration dans un clip gore inspiré d’un tableau de Goya. Il lui était souvent arrivé d’effectuer une rapide apparition dans des téléfilms dont il avait signé le scénario, juste pour s’amuser, tantôt chauffeur-livreur, tantôt gendarme, tantôt infirmier… Il sentit un frisson lui parcourir l’échine. Erreur de casting ! L’espace d’un instant, l’envie lui prit de déguerpir au grand galop et d’oublier cette vision de cauchemar. »


Mygale

Gallimard, Folio Policier, 156 pages, 4,60 €

Réédition 1999

Mygale tisse son énigme autour de personnages à la fois fascinants et repoussants. Plusieurs histoires sont racontées en parallèle et rien a priori ne les raccorde tant elles sont différentes dans le temps, l’espace et les personnages qui semblent être étrangers les uns aux autres.

Le roman débute dans le boudoir privé d’une femme, Ève, objet sexuel d’un riche chirurgien (Richard), confinée dans sa chambre dans une somptueuse villa du Vésinet en banlieue parisienne. Régulièrement, Richard rend visite à Viviane qui est devenue folle. Puis le récit passe à Alex, un homme en cavale, blessé après avoir tué un policier lors d’un casse raté et qui se cache dans un mas provençal. Dernier tableau : il fait nuit et Vincent sur sa moto est pourchassé par un fou en voiture dans la forêt normande. Il est fait prisonnier et drogué. On le retrouve attaché dans une cave et il devient le jouet d’un inconnu. "Dans ta tête, tu avais donné un nom au maître. Tu n’osais l’employer en sa présence, bien entendu. Tu l’appelais « Mygale », en souvenir de tes terreurs passées."

Peu à peu ces histoires convergent vers une seule et unique. Mygale a tissé sa toile pour faire sienne ses proies avec lesquelles il joue longuement. Mygale leur inspire la haine puis le désir. Successivement les bourreaux deviennent les victimes et les victimes les monstres. Le jeu de séduction/répulsion se développe tout au long du livre dans une ambiance malsaine. Jonquet plonge aux tréfonds de l’horreur : les corps mutilés, les rapports malsains, obscènes et violents, l’auto justice, les relents des sévices, la perfection des supplices... Dans un style concis, sans fioriture, cette épouvante, orchestrée avec brio, frise carrément le sublime : une perfection de sadisme. Par ailleurs, d’un point de vue purement médical, les traitements et les opérations sont décrits avec une extrême précision.

Avec pareil thème, pas étonnant que le réalisateur Pédro Almodovar se soit saisi des droits pour l’adapter au cinéma. Il devrait commencer à tourner sa Tarantula  avec deux de ses fidèles acteurs : Antonio Banderas et Penelope Cruz. On devine aisément ce qui a pu plaire au réalisateur espagnol : un univers qu’il a souvent abordé, celui de la confusion des genres et de la manipulation.

Extrait

« La salle était surmontée d'un amphithéâtre en gradin, séparée du bloc par une vitre. Les spectateurs, médecins et étudiants, attendaient en nombre; ils écoutèrent la voix de Lafargue, déformée par le haut-parleur, exposer le cas.

- Bien, nous avons, sur le front et les joues, de larges placards chéloïdiens: il s'agit d'une brûlure par explosion d'une "bouillotte chimique", la pyramide nasale est pratiquement inexistante, les paupières sont détruites, vous voyez donc ici une indication typique de traitement par lambeaux cylindriques... Nous allons mettre à contribution le bras ainsi que l'abdomen...

A l'aide d'un scalpel,  Lafargue incisait déjà de larges rectangles de peau sur le ventre du patient. Au-dessus de lui, les visages des spectateurs se pressaient contre la vitre. Une heure plus tard, il pouvait montrer un premier résultat : des lambeaux de peau, cousus en cylindre, partaient du bras de l'opéré et de son ventre pour venir se rattacher à son visage ravagé par les brûlures. Leur double amarrage permettrait de régénérer le revêtement facial, totalement délabré.

On emportait déjà l'opéré au-dehors. Lafargue arracha son masque et termina ses explications.

-Dans ce cas, le plan opératoire était conditionné par la hiérarchie des urgences. Il va de soi que ce type d'intervention devra être réitéré à plusieurs reprises avant d'obtenir un résultat satisfaisant. »


En dehors de ces deux livres, Jonquet a une œuvre très abondante (romans, nouvelles, livres pour enfants, théâtre, BD, séries télé…) et la plupart de ses autres romans policiers ont un point de départ médical (syndrome de Munchausen, syndrome de Diogène…) ou une intrigue qui se passe dans cet univers.  Les personnages de ses livres « Les orpailleurs » et « Moloch » ont inspiré la télévision avec la série « Boulevard du palais ». On peut aussi citer les titres suivants :

Le Bal des débris (Spécial-Police, Fleuve Noir, 1984, réédité dans la collection Librio noir n° 413 à 2€). Tout a changé dans la vie de Frédo, qui pousse des chariots dans un hôpital pour vieux, le jour où Alphonse Lepointre, plombier-zingueur dans le civil mais resté truand dans l'âme, a été admis aux urgences. Ensemble, ils décident de monter le coup de leur vie : c'est le soir du bal, le bal des « débris », qu'ils vont soulager de ses diamants une riche pensionnaire, par ailleurs bien gardée... Rebondissements, panique, prise d'otages, Jonquet met en scène une époustouflante course-poursuite au terme de laquelle les diamants sortiront bien de l'hôpital. Mais dans quelles conditions ! Et pourquoi ?

Mémoire en cage (Gallimard, Folio policier, 1999, 4.70 euros). Quand sa vie est foutue, on peut toujours essayer de réussir la mort de celui qui a tout gâché !
Cynthia, une adolescente lourdement handicapée délaissée par ses parents, rêve d'assouvir une vengeance : tuer le médecin qui est responsable de son état misérable. Ce faisant, elle commet presque le crime parfait.

La bête et la belle (Gallimard, Folio policier, 1999, 4.70 euros).
C’est l’histoire du Coupable et du seul témoin de ses forfaits, le vieux Léon (silencieux, complaisant). Au début, cela fleure bon la médiocrité : la vie banale d’un enseignant banal (le Coupable) marié à une Garce ordinaire (La Belle). Puis bien sûr, ce petit monde " idyllique " dégénère. Les cadavres et les ordures s’amoncellent. Très vite, cela devient voyant et surtout odorant. Au point d’attirer le curieux. Court mais dense, ceux qui atteindront la fin tomberont certainement des nues
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Site édité par le Docteur Christophe TRIVALLE

Cette page est dédicacée à ma grand-mère Paulette 

qui est décédée le 8 juillet 2007

et qui adorait la lecture