Dans cette
rubrique, nous vous proposerons régulièrement
une sélection d’ouvrages littéraires
(romans, policiers, essais, récits
biographiques, bandes dessinées…), dont la
publication n’est pas forcément
récente, mais qui ont tous un rapport avec la
médecine. A chacun d’y puiser
selon ses centres d’intérêts.
Conseil
numéro 12 [retour haut de page]
Nous allons
cette fois nous intéresser aux rapports entre l’industrie
pharmaceutique et la littérature. En effet, il est
souvent difficile pour les journalistes de dénoncer les
travers des grands
groupes internationaux du médicament, et la fiction est un
bon moyen d’y
parvenir tout en évitant les procès. Le livre de
John Le Carré, grand
spécialiste de la guerre froide et des romans
d’espionnage (L'Espion qui
venait du froid), a
d’ailleurs fait scandale lors de sa parution. Nous
reparlerons également de
Martin Winckler, grand pourfendeur des laboratoires pharmaceutiques.

John
Le Carré
La
constance du jardinier
Points
seuil, 7,95 euros
Tessa
Quayle, jeune et belle avocate anglaise, est
sauvagement assassinée près du lac Turkana dans
le nord du Kenya. Son compagnon
de voyage et amant supposé, médecin africain
d'une ONG (Arnold
Bluhm),
a disparu de la scène du
crime. Justin, l'époux de Tessa, jardinier amateur et diplomate au
haut-commissariat britannique qu'il
représente au C.E.D.A.O. (un
organisme chargé de contrôler l'action humanitaire
en Afrique) à
Nairobi, se lance dans
une quête solitaire à la recherche des tueurs et
de leur mobile, une quête qui
l'entraîne à Londres puis à travers
l'Europe et au Canada, pour le ramener en
Afrique jusqu'au Sud-Soudan et se terminer sur les lieux
mêmes du crime. Cet
homme effacé oublie sa nonchalance pour
marcher sur les traces de sa femme et faire la lumière sur
sa mort. Au
long de son périple, il se heurte à la violence
et aux
machinations des multinationales pharmaceutiques, mais sa plus grande
révélation
est la découverte de cette épouse qu'il n'a
guère eu le temps d'aimer. John
Le Carré reconnaît qu'il aurait aussi bien pu
s'attaquer
aux multinationales du tabac ou aux compagnies
pétrolières, mais il a
préféré
dénoncer le trafic de médicaments vers l'Afrique
et la corruption du corps
médical par l’industrie pharmaceutique.
Une
traque, une recherche, comme
toujours chez John Le Carré, mais cette fois, sur les traces
d’une morte,
Tessa, personnage féminin assez nouveau chez
l’écrivain. Qu’avait-elle
découvert
avant son assassinat ? Qui gênait-elle dans sa
croisade humanitaire ?
Comme son mari, diplomate jusque-là sans tache, on cherche
à comprendre, on
découvre progressivement les malversations des
multinationales du médicament.
Du coup, la charge de John Le Carré contre
l’industrie pharmaceutique, symbole
d’un capitalisme et d’une mondialisation qui ne
respecte plus aucune valeur,
passe au second plan. Cette révolte, parfois convenue,
n’est pas toujours
convaincante. Le rythme de ce livre est beaucoup trop lent (mais
c’est aussi le
style de John Le Carré de développer de
façon extrêmement minutieuse ses
intrigues). On fini par s’y ennuyer et on aurait tendance
à sauter certains
passages extrêmement fastidieux. On attend sans cesse que
cela commence, mais
cela n'arrive pas. Si l'intrigue ne manque pas
d'intérêts, la fastidieuse quête
du jardinier pour reconstituer le puzzle de la vie de sa femme nous
harasse.
Car non seulement nous sommes convaincus de la justesse de son combat,
mais
nous devinons également qu'il est voué
à l'échec.
Ce roman a
été porté à
l’écran en
2005 par Fernando Meirelles avec RConseil
numéro 1alph
Fiennes, Rachel Weisz, Danny Huston et
Arnold Bluhm sous le titre anglo-saxon : The
Constant Gardener. Il vient de sortir en DVD.
Extrait :
« Plusieurs
des médicaments qu’il a examinés se
sont
avérés périmés
depuis longtemps et donc dégradés, même
s’ils
avaient encore une certaine
efficacité. D’autres étaient
inadaptés
à la pathologie qu’ils étaient
censés
soigner. Nous avons aussi pu corroborer un
phénomène
déjà constaté en Afrique,
à savoir que les indications et contre-indications de
certains
emballages sont
réécrites pour le marché du
tiers-monde dans le
but d’élargir le champ d’action
du médicament bien au-delà de son application
brevetée dans les pays
développés… »
« Ca tuait les gens. Dans les villages, les
bidonvilles. (…) On ne
pouvait rien trouver à redire au concept : le
traitement était court, bon
marché et facile à suivre. Mais ils avaient
brûlé les étapes. Les tests avaient
été conçus de façon
sélective. Sans que tous les effets secondaires aient
été
étudiés. Ils avaient fait des tests sur des
femelles enceintes, rates, guenons,
lapines et chiennes : aucun problème. Quand ils
sont passés à l’homme, là
il y en a eu des problèmes, d’accord, mais il y en
a toujours. C’est cette zonConseil
numéro 1e
d’ombre que les compagnies pharmaceutiques exploitent. Elle
tombe sous le coup
des statistiques, et les statistiques prouvent tout ce que vous voulez
qu’elles
prouvent. D’après Arnold, ils étaient
obnubilés par le souci de lancer leur
produit avant la concurrence. Ca paraît impossible tellement
il y a de lois et
de réglementation, mais Arnold a dit que ça
arrive tout le temps. »

Martin
Winckler
Collection
Le Poulpe
Baleine (juin 2001) - Le Poulpe - 194
pages - 5,95€
Collection : Librio noir et
policier - 127 pages - 2€
Nous
avons déjà parlé de Martin
Winckler lors de notre précédent conseil de
lecture. L’intérêt ici est de
pouvoir présenter un personnage de roman très
particulier : Gabriel
Lecouvreur dit le Poulpe. Il s’agit d’un personnage
créé par Jean-Bernard Pouy
pour la collection Baleine. Celui-ci a écrit une bible avec
les principales
caractéristiques à respecter, et par la suite,
environ 200 écrivains de tous
horizons ont raconté chacun à leur
manière les aventures de ce héros des temps
modernes (polar, BD, science-fiction… et il y a
même un film avec Jean-Pierre
Daroussin dans le rôle du Poulpe). Malheureusement, cette
série s’est terminée
aussi brutalement qu’elle avait commencée, et si
un certain nombre de volume
n’ont qu’un intérêt
très limité, certains méritent de
rester dans les annales
de la littérature policière (les meilleurs sont
d’ailleurs réédités dans la
collection Librio). A noter que chaque titre de la collection fait
appel à un
jeux de mot digne de l’Almanach Vermot :
« Parkinson le glas »,
« Papy end », « Allons
au fond de l’apathie » ou encore
« Le crépuscule
des vieux ».
Comment Bruno
Sachs, le héros de La maladie de Sachs,
en vient-il un jour à croiser le
chemin du Poulpe ? Que peuvent avoir en commun ces deux
personnages ?
Le premier, tourmenté, malade des abus que ses
confrères médecins effectuent
dans l’exercice de leur profession, dénonce les
injustices en écrivant. Le
second puise dans les injustices que le monde entier
génère, le ressort de ses
activités.
31
décembre 1999. La mort
brutale du Professeur Goffin, grand patron hospitalier, plonge Gabriel
Lecouvreur
dans ses souvenirs. Au début des années 80, parti
rendre visite à un vieil ami,
relieur de son état, dans la bonne ville provinciale de
Tourmens, Gabriel a
croisé quelques personnages aussi curieux que lui :
Jean, étudiant en
droit homosexuel ; Alice et Luciane, soeurs jumelles inscrites aux
Beaux-Arts ;
Charly, étudiant en médecine
défroqué reconverti dans "l'action
directe". Mais
voilà, trois
malades de Charly décèdent de façon
inexpliquée, et Alice se découvre une
tumeur au sein.... Pris dans les derniers soubresauts de la
révolution
sexuelle, Gabriel a fait à Tourmens l'expérience
amoureuse de sa vie, avant de
la voir se transformer en cauchemar
surmédicalisé, sur fond
d'expérimentations
truquées et de décès suspects. Un
médecin un peu plus âgé mais aussi
libertaire
que lui, nommé Bruno Sachs, l'a alors aidé
à y voir plus clair... et à se sortir
en un seul morceau du pétrin où il
s'était fourré. Vingt ans plus tard, pendant
qu'un juge d'instruction recueille toutes les pièces du
dossier Goffin, de
l'autopsie à la mise en examen du suspect numéro
un en passant par
l'interrogatoire des témoins, Gabriel renoue avec Bruno. Les
deux hommes
reconstituent le puzzle des vies qu'ils ont
côtoyées et découvrent ce qu'il est
advenu de leurs camarades de jeunesse.
Dans Touche pas à mes
deux seins, Martin Winckler parvient à rapprocher
deux
personnages mythiques, à leur inventer une rencontre qui ne
les déracine ni de
leurs tons ni de leurs domaines respectifs. La narration de
l’un et de l’autre
alterne, entrecoupée par celle d’un
troisième personnage qui rend compte de
l’enquête en cours. L’auteur
entraîne un Poulpe d’habitude plutôt
actif dans
une investigation immobile. Il y a donc moins d'action
que dans un
Poulpe « classique ». A noter encore une fois, un
découpage quasi cinématographique auquel viennent
s’adjoindre en clin d’œil,
les titres de chapitres comme autant de
références à des films.
Avec
cette incursion dans
l'univers particulier du Poulpe, Martin Winckler a fait son
entrée dans le
roman policier, se coulant avec facilité dans le moule
préformé créé par
Jean-Bernard Pouy. Il a réussi à y provoquer la
rencontre, à distance, de deux
justiciers des temps modernes: Gabriel Lecouvreur, l'anar redresseur de
torts,
et Bruno Sachs, médecin écrivain et militant pour
une médecine plus humaine.
Même si la partie médicale reste un peu au second
plan, il s’agit toujours,
comme dans les autres romans de Martin Winckler, de dénoncer
les dérives des
médecins et des laboratoires pharmaceutiques.
Extrait
(les 10 premières lignes) :
« CHU
de Tourmens,
Bloc
opératoire n°2, 13h15
- Bien... Allez mon garçon, cette
fois-ci je vous laisse terminer...
Vous ferez le compte rendu et nous le relirons ensemble, n'est-ce pas ?
L'interne qui vient de lui servir d'aide
opératoire n'en croit pas ses
oreilles. Le Pr Goffin lui laisse terminer l'intervention ! Il regarde
la
panseuse qui lui tend déjà de quoi faire un
surjet. Pendant que son interne referme
la cicatrice abdominale, Edouard Goffin, cinquante ans, professeur
agrégé de
gynécologie-obstétrique à la
faculté de médecine de Tourmens, jette ses
instruments dans le haricot métallique et tend les bras
à l'horizontale... »
A
noter un livre en anglais sur l’histoire de
l’utilisation des
médicaments proposés contre la
dépression au cours des 150 dernières
années, en
allant de l’opium aux IRS et en passant par les
benzodiazépines. Ce livre
dénonce les complicités actives entre les
différents pouvoirs (firmes, agences
du médicament et sociétés savantes) et
les enjeux financiers qui ont conduit à
étouffer les informations sur les effets secondaires, y
compris pour les
molécules les plus récentes. Charles Medawar et Anita Hardon :
« Medicines out of
control ? Antidepressants and the conspiracy of
goodwill. » Aksant
ed, 2004, 258p, 29 euros.
Conseil numéro 11 [retour haut de page]
Nous allons
aborder cette fois le
thème « Mutuelle
et littérature
policière ». En effet, la
Mutualité Française
a lancé une collection de roman policier à
thématique médicale. Dans
l’avertissement de chaque ouvrage de cette collection, on
peut lire :
« Face à la
commercialisation
rampante de la santé, la
Mutualité Française
défend un système de santé et de
protection sociale plus solidaire et plus efficace. En
créant la collection
Polar Santé avec Fleuve Noir, elle entend porter
à la connaissance de chacun
des dossiers qui ne doivent pas rester dans l’ombre. Ces
polars restent
évidemment des œuvres de fiction à part
entière qui laissent toute leur place à
la liberté d’imagination des auteurs et au
traitement satirique nécessaire au
plaisir du genre. » Mais la question
qu’on peut se poser reste quand
même : quel est l’objectif au final de ces
romans ? En effet, ils
présentent la médecine sous ses pires travers et
tous ses aspects négatifs,
mais sans proposer de solution. Pour rendre vraiment service
« à la
population », il aurait était
nécessaire d’ajouter après chaque polar
un
petit dossier pratique sur le sujet traité avec des conseils
« à
faire » et « à
éviter ». Actuellement, la formule
choisie donne
plutôt une impression de « complot
médical
généralisé » et de
« tous pourris ». Nous avons
choisi de présenter 2 volumes de cette
collection.

Retraite
anticipée
Gérard
Delteil
Policier,
Pocket, 6,20 euros.
Gérard
Delteil, connu
comme auteur de romans policiers (N’oubliez pas
l’artiste, Mort d’un
satrape rouge, Balles de charité), est aussi un
journaliste d’investigation
avec des livres d’enquêtes sur la prison, le trafic
de viande, les risques de
l’industrie chimique (avant AZF) et la médecine.
Cet ouvrage
est un
prétexte pour faire découvrir au lecteur le
secteur fort lucratif des maisons
de retraite en mettant à nu les conduites peu scrupuleuses
de certains gestionnaires
qui semblent plus préoccupés par les
bénéfices que par la qualité des
soins : main-d'œuvre très insuffisante et
sous-qualifiée, fausses
promesses lors de l'admission des pensionnaires, mensonges aux
proches... Dans
certaines maisons de retraite, on laisserait une seule aide-soignante
la nuit
pour s'occuper de dizaines de vieillards souffrant de maladies
incapacitantes,
on emploierait des gens sans formation ignorant la psychologie des
personnes
âgées et les traitant comme des enfants voire
comme des objets, on supprimerait
les animations et les services paramédicaux et on servirait
des repas infâmes,
tout cela pour augmenter les profits… Certains intervenants
dans ces
établissements, comme le coiffeur, le médecin, le
pharmacien, l'entrepreneur
des pompes funèbres, paieraient parfois un « droit
d'entrée » pour bénéficier
d'un
monopole sur la clientèle. L’industrie
pharmaceutique ferait même des
expérimentations médicamenteuses sur les
pensionnaires sans qu’ils le sachent.
Il s’agit là de quelques
éléments du dossier qui servent de base
à ce roman
policier.
Huit
personnes ont
trouvé la mort au cours de l'incendie qui a
ravagé la résidence des Cèdres Bleus,
une luxueuse maison de retraite située dans le sud de la France. Acte
criminel
ou accident résultant de la négligence des
gestionnaires ? Juges et policiers
sont d'autant plus discrets que l'établissement appartient
à un puissant groupe
industriel, la Française
des services. Peu après, le corps de Julio Lebowski, ancien
pensionnaire des
Cèdres Bleus transféré dans un
hôpital psychiatrique deux ans plus tôt, est
retrouvé dans un fossé.
L'ex-légionnaire, réputé pour son
franc-parler, se serait répandu peu de temps
auparavant sur les pratiques fort peu déontologiques du
groupe Aliamed :
personnel peu nombreux et sous-qualifié, mais surtout
brimades et mauvais
traitements infligés aux personnes
âgées, qui serviraient de cobayes pour
d'obscures expériences médicales.
Le journaliste
Raoul Walberg du quotidien Le Journal, est
chargé
de faire un papier sur ce banal fait divers. Son enquête est
semée d'embûches et
les responsables des établissements qu'il doit visiter ne
sont guère
coopératifs. Il va se retrouver en plein milieu
d’une affaire criminelle avec
son lot de pots de vin, de pressions, de rackets, d’accidents
maquillés. Parallèlement,
la juge Mireille Frémont et la police enquêtent.
Avec une maison
de retraite incendiée, un ancien légionnaire
mystérieusement écrasé, une
municipalité bien corrompue, une multinationale
spécialisée dans les services (maisons de
retraites de luxe, restauration,
sécurité et quelque part dans le fameux Journal),
vous devriez obtenir une
intrigue efficace.
Les jeux de
pouvoir se tissent à
mesure que l'enquête avance. Histoire de gros sous,
implication du milieu
pharmaceutique pour tester les nouveaux médicaments,
cotation en bourse,
nominations multiples à différents postes, les
collusions sont nombreuses mais
frôlent souvent la caricature. Au final, on a du mal
à y croire, et après une
centaine de pages, malheureusement, le
roman s'essouffle.
Extraits :
« Auparavant, on leur avait fait faire le tour du
propriétaire : la
salle de kinésithérapie et de maintien en forme,
les cabines de soins réservées
à l’esthéticienne, la salle
d’animation, le grand salon où quatre vieilles
dames disputaient une partie de bridge et le petit salon de
télévision où un
unique spectateur visionnait un reportage sur la culture du quinoa,
mais chaque
résident pouvait aussi disposer de son propre appareil.
-
Chez nous, même dans la section de cure médicale,
on ne parle pas de
patients ou de pensionnaires mais de résidents, avait
souligné Kerfati. Nous
commençons par dresser un bilan gérontologique et
étudier un plan de vie avec
le nouveau résident. Chaque semaine il a la
possibilité de s’inscrire à toutes
sortes d’activités, à la
manière d’un club de vacances. Il y a par exemple
la
sortie marché chaque mercredi, les visites de
musées, les
excursions… »[…]
« Tiens,
elle n’avais pas encore vu celle-là.
C’était une brune,
épaisse, avec un front buté et des avant-bras
musclés. Elle avait l’air
revêche. Pas de bonjour, pas
d’excusez-moi-de-vous-déranger, rien. Denise
aurait aussi bien pu être un chien. Les premières
paroles qu’elle prononça
furent :
-
Mémé, faut qu’on ait une petite
explication toutes les deux. (…) Il y a
qu’il paraît que tu pisses au lit. (…)
Parce que c’est moi qui vais m’occuper
de toi, à partir d’aujourd’hui,
consentit à expliquer l’autre, alors faudrait
pas t’imaginer que je vais m’amuser à
changer tes draps plusieurs fois par
jour. On va te mettre des couches ou alors te faire dormir sur une
housse en
plastique. A moins que tu préfères rester dans
tes draps pleins de pisse. C’est
comme ça. »

Mort
in utero
Martin
Winckler
Policier,
Pocket, 6,20 euros
Martin Winckler,
auteur prolifique,
est très connu grâce à la publication
de “La Maladie de Sachs”, adaptée
il y a quelques
années au cinéma (avec Albert Dupontel
remarquable). De son vrai nom Marc
Zaffran, c’est un médecin militant qui a longtemps
travaillé à la Revue
Prescrire. Il
a maintenant son site Internet (http://martinwinckler.com),
c’est un spécialiste également des
séries TV, et il a même une rubrique dans le
magazine pour enfants Spirou.
Martin Winckler
renoue avec deux des
personnages qu'il avait crée pour la saga du Poulpe
(« Touche pas à
mes deux seins » dont
nous reparlerons dans une prochaine chronique) : Charly Lhombre,
médecin
généraliste remplaçant, et Jean
Watteau, juge d'instruction aux méthodes très
personnelles. Lhombre et Watteau vont mener deux enquêtes
apparemment
distinctes ; le premier est confronté à
la mort d'un célèbre professeur de
pharmacologie retrouvé mort suite à un accident
de voiture. Mais les experts
sont formels, le professeur était mort d'une balle dans le
crâne avant qu'il
n'ait son accident. Comment cet homme a-t-il donc pu être au
volant de sa
voiture à 140 km/h
sur la rocade de Tourmens?
Le second est intrigué par le décès
étrange d'une jeune femme enceinte : le
diagnostique, posé par le médecin
légiste, annonce une hémorragie interne due
à
un placenta accreta, autrement dit un
développement excessif du
placenta qui transperce les parois de l'utérus. Cela ne
pourrait être qu'un
tragique accident, si il n'y avait pas eu au cours des 6
dernières semaines 3
autres diagnostiques similaires... Bien évidemment les deux
enquêtes vont se
rejoindre.
Martin
Winckler dresse un
portrait de l'influence que peut avoir le lobby pharmaceutique sur la
santé en
général et les prescriptions des
médecins en particulier. D'énormes
intérêts
économiques sont bien sûr en jeu qui poussent,
dans la fiction, à tuer, mais le
réalisme du récit, la description des
mécanismes mis en œuvre, des méthodes
employées, font froid dans le dos à eux tous
seuls. C'est un véritable pamphlet
contre l'industrie pharmaceutique, plus âpre au gain
qu'à sa mission de soin.
C'est également une attaque en règle des
médecins peu scrupuleux, profitant de
la souffrance et de l'impatience de certains jeunes couples
désirant un enfant.
Il
faut signaler l’écriture rapide
(souvent au dépend du style qui laisse parfois à
désirer) avec une narration
éclatée qui, en chapitres extrêmement
courts, nous promène de personnages en
personnages, de situations en rapports de commission (le style rapport
d’AMM
est probablement assez rebutant pour les non médecins) avec
de multiples
allusions cinématographiques à travers les titres
de ses chapitres qui reprennent
ceux de films célèbres
(« La maison
du Dr Edouard », « Trois
hommes et un coup fin »…).
D'ailleurs, le découpage et le montage du
roman, s'apparentent beaucoup à celui d'un
scénario. Alors, à quand le film ou
la série télé ?
Extraits :
« - Vous pensez
que c’est grave,
docteur ?
Laura,
dont l’angoisse est brusquement attisée, se
redresse sur
l’inconfortable fauteuil que lui a
désigné le Dr Garches. Elle s’est un
peu
étonnée de se voir donner rendez-vous
à la clinique des Dents-de-Lion, juste à
la sortie de Tourmens, alors qu’elle pensait obtenir une
consultation au CHU,
mais la secrétaire lui a indiqué clairement que
la seconde solution
l’obligerait à patienter plusieurs mois.
-
Evidemment, le Dr Garches prend des honoraires plus
élevés à sa
consultation privée, a-t-elle précisé,
mais
être rassurée et soignée, ça
n’a
pas de prix. (…)
-
Grave ? Non, bien sûr, mais sérieux.
-
Je voulais aussi vous dire…
- C’est inutile,
l’interrompt le
médecin. Votre histoire ressemble certainement à
celle de toutes les patientes
qui me sont confiées. Alors, comme le temps presse, je vois
que vous avez déjà
vingt-sept ans, nous allons faire vite. Ce que vous avez à
me dire a certes son
importance, mais moins que les éléments
proprement médicaux que je dois
rassembler pour vous tirer de ce mauvais pas. (…)
En
sortant du cabinet de consultation, Laura regarde machinalement sa
montre. Elle est arrivée à 10 heures.
Après
s’être présentée à
la
secrétaire,
elle a passé un petit quart d’heure dans la salle
d’attente. La consultation,
elle, a duré sept minutes. (…) La note est
salée.
Quatre fois le prix d’une
consultation chez son gynécologue habituel et comme le Dr
Garches est en
honoraires libres, la plus grande partie ne sera pas
remboursée.
Mais Laura est
résolue à avoir un enfant. »
Parmi
les autres titres parus dans cette collection, on peut
citer : "La quatrième plaie" de Patrick Bard,
"Pannes de
coeur" d'Eric Giacometti, "Requiem
en eau trouble" de Paul Couturiau et « Le Masque de Chair » de
Christine
Cognat.
Conseil
numéro 10 [retour haut de page]
Nous allons
aborder
cette fois-ci le domaine de la psychiatrie (et de
l’antipsychiatrie) à travers
un thriller et un roman policier. Ces deux ouvrages donnent
à voir la
folie : le premier la folie d’un tueur en
série, le deuxième insiste
plutôt sur la folie des médecins et de
l’institution. Par le plus grand des
hasards, le commissaire du premier ouvrage a le même
patronyme que l’auteur du
second. Il est difficile en lisant ces livres de ne pas penser au
double meurtre de l’hôpital de Pau en 2004.

Pavillon
38
Régis
Descott
Jean-Claude
Lattès, 2005, 18 euros
Il
s’agit d’un très bon thriller avec
assassin en série, qui se passe dans l’univers de
la psychiatrie française. C’est
dans le Pavillon 38 qu’exerce Suzanne
Lohmann, épouse d’un
chirurgien plasticien avec lequel elle a deux filles. La
découverte de cadavres de femmes atrocement “mis
en scène” par un tueur en
série, amène le Dr Lohmann à se
pencher sur le cas de Dante,
un nouvel arrivant dans son service. Il raconte des
“histoires” atroces en évoquant un
mystérieux serpent. S’agit-il d’un
simulateur,
d’un vrai malade mental ou d’un tueur en
série ? Finalement, après
une période de suivi, elle le laisse
retrouver « le monde normal »
sous une solide couverture chimique,
persuadée d’avoir établi le bon
diagnostic. C’est
toute l’histoire, toute
l’enquête, conduite à trois niveaux par
trois des personnages du roman :
la psychiatre, le docteur Lohmann, François Müller,
un reporter-photographe
spécialisé dans le fait-divers et le commissaire
Steiner.
Le titre,
Pavillon 38, fait référence
à l’UMD Henri-Colin de
l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif (1910). Il
s’agit de
l’une des 4 unités pour malades dangereux (UMD) en
France (les autres se trouvent à
Avignon, Cadillac et
Sarreguemines soit 400 places). Le
Pavillon 38 accueille les fous dangereux pour eux-mêmes et
pour la
société : tueurs psychopathes, détenus
psychiatriquement perturbés - il y en a de plus en plus en
milieu carcéral - et
qui refusent tout traitement, mais aussi des psychotiques qui sont
refusés par
les services de psychiatrie, toujours plus
débordés par le manque d'effectifs
et de lits. Parmi
ceux que la
Justice a reconnu « irresponsables
» (article
122-1, 1er alinéa du Code pénal),
le plus difficile est pour les psychiatres qui doivent faire le
tri entre simulateurs, manipulateurs et vrais malades… Le
turnover des patients
- plus de 100 passent par cette UMD chaque année - fait
peser une lourde responsabilité
sur les médecins. Les chiffres des pavillons scandent un
parcours
thérapeutique. Pavillon 38: c'est là qu'on garde
les entrants en crise qui, une
fois calmés, passeront au 37, s'ils acceptent le traitement.
Ils finiront au
35, avant de regagner leur établissement d'origine. Le 36,
lui, est réservé aux
femmes.
Le travail dans
cette UMD semble très
particulier et l’auteur y a mené une
enquête
« approfondie ». Il est
dommage que rien ne ressorte de cette enquête et que
l’ambiance de cette unité
et ses spécificités ne soient pas plus
abordées. Finalement, l’intrigue aurait
pu se passer ailleurs sans que ça ne change rien
à l’histoire. Le livre aurait
tout aussi bien pu s’appeler « Le
serpent » ou
« L’anaconda ».
Extraits :
« Comme l’exigeait la procédure,
il était assis sur son lit scellé au sol
au milieu de la pièce, encadré par quatre
infirmiers, deux derrière lui, deux
devant, prêts à le maîtriser au moindre
geste suspect. Ses anges gardiens,
comme elle les surnommait, grâce à la
présence desquels elle pouvait tendre la
main à son interlocuteur sans appréhension.
Elle
l’aperçut voûté dans le
pyjama couleur ciel des nouveaux arrivants,
puis à son entrée redressé, pour un
peu danseur, la tête paraissant soutenir
les cieux. Il hésita devant la main tendue, avant de la
serrer à contrecœur. »
« N’était le cadre, le lit
scellé, les vitres incassables, le lavabo dans
un placard fermé à clef, les verrous,
l’ampoule encastrée dans le mur et
protégée par une plaque de plexi, et les
infirmiers gantés de plastique, seuls
les pansements trahissaient sa détresse. »
« Révolue l’époque
pas si lointaine où les nouveaux se faisaient tabasser
par les infirmiers dès leur arrivée. Les
médecins avaient repris le pouvoir aux
infirmiers, et les traitements mis en œuvre, aux dosages
constamment modifiés
en fonction des résultats obtenus, étaient suivis
de près par les laboratoires
concepteurs de neuroleptiques. Petit à petit, à
de rares exceptions près, on
parvenait à circonvenir ces maladies. Pour leur partie
métabolique tout du
moins, le pourquoi de l’éclosion de la maladie
– « folie » disait-on
autrefois – chez tel sujet plutôt que chez tel
autre, demeurant souvent un
mystère. »
« L’étudiante
appliquée qu’elle était se rappelle une
phrase de Levine,
spécialiste américain, retenue vingt ans plus
tôt : « Le vrai
psychopathe résout ses conflits en rendant autrui
malheureux, alors que le
névrosé résout ses conflits en se
rendant malheureux. » (…) A
l’affirmation de Levine, il faut ajouter celle de
Horney : « A chaque
victoire sur les autres, le psychopathe gagne un sentiment de triomphe
exalté
qui masque sa propre défaite sans issue. » »

Petites
morts dans un hôpital psychiatrique
de campagne
Michel
Steiner
Folio
policier, N°315, 2003, 6,40 euros
Il
s’agit d’un un roman noir
antipsychiatrique écrit par Michel Steiner qui
« clame que les
neuroleptiques soignent les institutions et non les
fous » comme le signale la
quatrième de couverture. Michel Steiner est
docteur en psychologie, ancien membre du
laboratoire de psychologie sociale expérimentale du CNRS,
ancien animateur de
conférences à HEC et à Paris VII et
Paris VIII, et maintenant psychanalyste.
Lorsque
Oscar Lepgorin, psychanalyste
aux maigres ressources et grand joueur de poker, rentre chez lui, un
"cadeau surprise", l’attend dans sa salle à
manger. On y a déposé un
homme grossièrement travesti, drogué à
mort, proche de l'overdose, bavant,
écumant et se relâchant de partout. Une carte
l'accompagne signifiant à
Lepgorin sa mort prochaine et lui indiquant que la réponse
à cet acte se trouve
"dans la nuit de Frémont". Il décide donc de
s’y rendre, chez son
vieil ami Koberg qui n'est autre que le médecin-chef de
l'asile de Frémont, un
obscur hôpital psychiatrique de campagne. Et quand on
identifie le travesti
comme une sommité de la psychiatrie qu'Octave a connu quand
il était représentant
d'un laboratoire pharmaceutique, il comprend que la mise en
scène ne doit rien
au hasard. Un drôle de flic féru d'Histoire
médiévale, Mathieu Gambié,
mène
l'enquête. Mais, quel est le lien entre un manuel de
l'Inquisition du XVe
siècle, les pratiques insensées des
aliénistes du XIXe et les traitements
modernes de la folie ?
Michel Steiner
signe là un polar à la
construction redoutable. Il nous emmène dans le gouffre
vertigineux des soins
psychiatriques et c'est un véritable musée des
horreurs qui s'ouvre devant
nous. Et si les lecteurs pouvaient avoir des doutes sur les pratiques
décrites dans ce livre, l’auteur
précise dans son avertissement que : "Seule
la réalité m'a inspiré. Et si les
lieux et les personnages de ce
roman sont les fruits de mon imagination, les soins fous et les
tourments
infligés aux "malades", eux, ne le sont pas".
Extrait :
« Gambié se refusait
obstinément à tout commentaire. Les questions
fusaient concernant le droit des internés. La loi de 1838 et
l’insuffisance de
ses amendements de 1990 étaient sous le feu des projecteurs.
Les causeries
allaient bon train. Un infirmier qui avait rendu son tablier expliquait
que la
« toute-impuissance » des
médecins-chefs des hôpitaux psychiatriques
découlait de leur rage à ne rien comprendre
à la folie. « Ils commencent
par souffler de plus en plus fort dans l’oreille des fous,
comme on cherche à
dépoussiérer une mécanique
d’horloge, puis en viennent aux coups de tatane
rageurs. Voilà la logique des chocs, voilà
résumée toute l’histoire de la
thérapeutique
psychiatrique du XIXè siècle à nos
jours ! Le Cogécinq, c’est comme une
droite dans la tronche, mais elle arrive de
l’intérieur ! »
J’aimais.
« Le jour où ils ne
dépendirent plus du ministère de
l’Intérieur, mais de
celui de la
Santé,
les asiles d’aliénés furent tous
changés, mais sans que pourtant rien ne
change, en hôpitaux psychiatriques » dit
un psy atypique, qui
ajouta : « L’aliéniste
réfléchissait
l’aliéné comme un miroir,
remplacé par un vrai docteur, ça a
forcément fait de l’autre un vrai
malade ! » « Il
n’y a pas de remède à la folie,
n’empêche qu’il
y a des médicaments ! Qu’est-ce
qu’on soigne avec ? » demanda un
ancien interné. »
Le
domaine de la folie a donné lieu à de nombreux
livres. Les ouvrages
sur l’histoire de la psychiatrie sont aussi très
instructifs sur l’imagination
sans limite des
« médecins ». Pour
n’en citer qu’un : « Les médecines de la folie »
de
Pierre Morel et Claude Quétel, Hachette Pluriel, 1985
(épuisé). On peut citer
quelques exemples : extraction de la pierre de folie,
fumigations du
vagin, ceinture compressive des ovaires, irritants,
malariathérapie, fauteuil
rotatoire, pneumochoc, choc insulinique… On comprend mieux
après le roman de
Michel Steiner.
Conseil
numéro 9 [retour haut de page]
Nous allons
cette fois ci aborder le thème de la médecine
à travers la bande
dessinée. Dans notre première rubrique
de « conseils de
lecture », nous avions proposé une
série de mangas (« Say
hello to Black Jack ») qui en
est maintenant à son dixième volume.
Aujourd’hui, il s’agit d’une bande
dessinée classique sur la vie d’un chirurgien ORL
(mini histoires
autobiographiques) et un récit en 3 volumes sur une mission
en Afghanistan de
Médecins sans Frontières. Cette trilogie est
très originale car elle mélange
dessins et photographies.



Le
photographe (Tomes 1, 2 et 3)
Guibert,
Lefèvre et Lemercier
Dupuis,
(14 euros pour les tomes 1 et 2, 19 euros pour le
tome 3 qui comporte un DVD)
Fin juillet
1986.
Didier Lefèvre quitte Paris pour sa première
grande mission photographique :
accompagner une équipe de Médecins Sans
Frontières au coeur de l'Afghanistan,
en pleine guerre entre Soviétiques et Moudjahiddins. Depuis
seuls les
belligérants ont changé dans ce coin du globe.
L’histoire se base sur le récit et
les centaines de photographies de Didier Lefèvre, et l'album
est pour moitié composé
de photos et pour moitié des dessins de Guibert. Le dessin
très épuré se fond
bien avec les photos en noir et blanc. Les dialogues donnent de la vie
à la
voix off qui raconte le quotidien de ce voyage, de cette caravane, de
telle
sorte qu'on s'y croit presque. La bande dessinée intervient
pour combler les
vides entre les photos et raconter ce qui se passe quand le personnage,
pour
une raison ou une autre, n'a pas pu photographier. Cet aspect
"expérimental" permet vraiment de bien se positionner, on
est encore
dans de la bande dessinée mais on entre aussi dans du vrai
reportage photo avec
témoignage à l'appui. Le dessin se met au service
du récit, avec un cadrage et
un découpage parfait. Les photos, dont certaines sont
difficilement soutenables
par l’horreur qu’elles décrivent, sont
à l’avenant : pas besoin de faire
des gros plans sanguinolents sur des blessures d’enfants pour
montrer le mal
que le genre humain se fait à lui-même.
En plus des
photos
"narratives", qui servent de base au récit, on a droit de
temps en
temps à des agrandissements de photos
particulières, apportant par leur
symbolique ou leur simple beauté, une dimension
supplémentaire au récit.
Le tome 1
raconte le voyage long, pénible et périlleux pour
arriver au fin fond de
l’Afghanistan, le tome 2 présente la mission
proprement dite des médecins de
MSF. D’un point de vue médical, on y
découvre des pathologies oubliées, de la
chirurgie de guerre et on assiste à des
opérations « comme si on y
était ». Le tome 3 raconte les
périples du voyage de retour du
photographe. Il contient un DVD de 40 minutes qui retrace
également cette
mission de MSF. La
BD
est tellement réussie qu’on a
l’impression d’avoir déjà vu
le film !
Didier Lefèvre
est décédé en 2007.
Extrait
(tome 2) :
« Depuis
hier, le téléphone afghan fonctionne et la
nouvelle de
l’ouverture de l’hôpital a couru. La
salle d’attente est pleine. Un afghan,
auquel les missions précédentes de MSF ont appris
des rudiments de médecine,
est chargé de classer les patients en fonction de la
gravité de leur cas.
Mahmad, fidèle au poste, fait
l’interprète. (…) Le premier patient
sérieux n’a
rien à voir avec la guerre. C’est un petit
garçon qui s’est salement
brûlé le
pied en tombant dans un four à pain. Accident domestique
courant en
Afghanistan. Son père et sa soeur l’accompagnent.
Pendant que Régis prépare
l’anesthésie du garçon, Robert ausculte
la fillette. Il est obligé de le faire
en s’accommodant des vêtements car, comme toutes
les femmes, les petites filles
ne peuvent pas être dénudées par le
docteur. (…) Le lendemain, les Moudj’ nous
amènent Amrullah sur un brancard. Amrullah, seize ans, qui a
le bas du visage
arraché par un éclat d’obus. Il est
semi-comateux et ça vaut mieux pour lui. Sa
plaie est effroyable. Elle pétrifie tout le monde, sauf les
médecins. Ils
accomplissent déjà les premiers gestes pour le
soigner. »

Charles
Masson
Bonne
Santé
Casterman,
12,95 euros
« Je maudis le connard qui a
décidé de souhaiter « Bonne
santé » pour le nouvel an. »
Cette citation reprise en quatrième
de couverture résume à elle seule la
tonalité de l'album. Au moyen de 6 récits,
fruits de l’expérience de l’auteur en
tant que médecin au CHU de Lyon (avant de
quitter la métropole pour la Réunion),
Bonne Santé
évoque sans fioritures les «mensonges
pieux» faits aux malades en phase terminale pour
qu’ils ne perdent pas
espoir, la « carapace
» de vulgarité
dans laquelle chaque interne s’enferme pour
résister au stress des gardes et
des interventions chirurgicales, «l’aide»
apportée aux patients en « fin
de vie
».
«Je
mettrai ça sur ma plaque quand je m'installerai:
médecin et menteur
professionnel». Le ton est donné. Toutes
situées le jour de l’an (d’où
le
titre...), ces courtes histoires racontent les "mensonges
nécessaires", les vœux de "bonne
année", les faux espoirs que l’on
entretient plus particulièrement
ce jour-là aux mourants. Chaque histoire est
rythmée par le fil narratif d'une
visite de chambres de malades un jour de l'An, sous forme de textes
d’une à 2
pages qui séparent les passages dessinés. Ces
textes off sont des extraits de
dialogues des médecins et des infirmières qui
font leur tournée lors du passage
à la nouvelle année.
Charles Masson
navigue sans arrêt du
tragique au poétique, nous donnant une vision sans
concession de son métier. L’auteur
ne nous épargne rien de tout
ce qui fait le quotidien d’un médecin hospitalier.
Les gardes qui tournent mal,
les opérations entre stress et humour potache des
chirurgiens charriant les
externes, le chef de service seul face à son
échec, la patiente sauvée mais
presque déçue de ne pas se retrouver en face de
saint Pierre: du rire aux
larmes, du défoulement adultère aux chambres
communes, de la poésie à
l'implacable réalité, Charles Masson
évoque son milieu professionnel entre
souvenirs et allégories.
Il nous parle de
son travail, des
soignants, mais aussi de ces gens, notamment des vieux de la campagne,
qui
entrent dans les hôpitaux, désemparés,
si loin de leur environnement habituel
et qui en oublient parfois même d'apporter... leurs
pantoufles. Et surtout du
rapport du praticien à la maladie, à la
souffrance... et in fine de la relation
à la mort. Et malgré la noirceur qui
émane de ces pages, on ne peut
s’empêcher
de penser qu’il y a bien de l’espoir
derrière cet ouvrage. Le cynisme, les
mensonges et l’impuissance des médecins
apparaissent alors comme autant d'échos
d'une profonde humanité.
Charles Masson
pratique en permanence
le décalage entre le narratif et l'image. Peu de dialogues
chez lui mais plutôt
une litanie illustrée. Ce décalage pourra
dérouter les lecteurs, car le dessin
évoque souvent une histoire en train de se
réaliser alors que le texte décrit
un épisode plus ancien.
Cette
BD très pessimiste, n’est pas sans rappeler le
livre
d’Antoine Sénanque (pseudonyme d’un
neurologue parisien) paru en 2004 chez
Grasset et intitulé « Blouse ».
Ce récit racontait les doutes et le
« blues » d’un
médecin neurologue
après 20 ans de pratique. A lire uniquement sous Prozac.
Extrait :
« Chambres
8-9
-Ah !
Papy. Alors, comment ça va ?
Houlà ! Doucement avec
le gavage. Ha Ha ! On a mis du champagne dedans.
Oui,
je sais, je me répète, mais bon… Le
papy, il s’en fout, tant qu’on
lui parle. 85 ans le papy. Enfin, j’irai pas aussi loin, moi
avec ce que je
fume.
-Oui,
et bonne année ! Et surtout bonne
santé ! Ah ! Et
oui, c’est le troisième millénaire.
Ah,
Ah ! Vous ne pensiez pas y arriver… Dame,
ça se fête… C’est pour
cela qu’on a mis le champagne. A la place du gavage.
-Ho,
non ! Pas moi, j’étais
d’astreinte, alors j’ai pas picolé. Non,
pas cette année. Oh ! L’an prochain.
Enfin,
l’an prochain, j’suis le seul ici qui serai encore
vivant, hein.
Toi, si t’es encore là, c’est
carrément le miracle.
-Juste
une coupe à minuit et je suis allé me coucher.
Et
un petit coup pour la bonne année et au dodo.
-Oui,
bonne année à vous… Et bonne
santé.
Allez,
vite, on se sauve, on détaille pas, la bonne
santé. »
A signaler,
l’existence d’un site
internet qui recense les BD à thématique
médicale : http://www.bdmedicales.com/textes/liste.htm
Ce site mis à jour en 2005, comporte 198
références. On peut notamment
recommander le tome 7 des Bidochons de Binet :
« Assujettis
sociaux » qui donne une vision assez juste
de
l’hôpital, et les 2 volumes du « Docteur
Ventouse, Bobologue » de Claire Bretecher
qui illustre bien la vie
quotidienne d’un médecin
généraliste.
A noter
également un autre médecin
dessinateur de bandes dessinées
(DUF,
dont NPG a déjà publié un dessin pour
illustrer le
dossier sur la maladie de Parkinson, N°6, décembre
2001, page 28) qui
a maintenant sont site internet : http://docduf.free.fr/ . Vous
pouvez
commander ses ouvrages à : DUF Éditions.
18, rue Saint-Benin. 58000 NEVERS
France.
Le
+ d'internet :
Sortie fin 2006 de la dernière BD de Martin Veyron
(très
connu pour son personnage de Bernard Lermite) chez Albin Michel : "Papy
plouf". "Des
seniors ont pris le large à bord de l'Espoir des Mers II
pour une croisière de non-retour". Humour
grinçant garanti.
Conseil
numéro 8 [retour haut de page]
Nous allons
aborder dans cette rubrique un aspect de la médecine
très particulier puisqu’il
intervient après le décès du patient,
il s’agit de la « médecine
légale ». Avec l’explosion du
thriller et des tueurs en série, le rôle du
médecin légiste est devenu prédominant
dans la littérature policière. Nous en avons
choisi deux parmi les plus réputés.



Herbert
Lieberman
La
trilogie : Nécropolis, Le tueur et
son ombre, La nuit du solstice
Collection Points du Seuil, 7, 95
euros le
volume.
Nécropolis
(Grand Prix de
littérature policière
1978) est le premier roman noir
où l'enquête est conduite par un
médecin-légiste. Pour l'écrire,
Herbert Lieberman a suivi pendant plus d'un an
l'équipe de l'Institut médico-légal de
Manhattan. La qualité de l'intrigue,
l'ambiance des salles d'autopsie, la personnalité complexe
des personnages en
font un chef d'oeuvre de la littérature policière
américaine.
La citation en
exergue
de Nécropolis donne
d’emblée le
ton : « Le
psychiatre sait tout
et ne fait rien. Le chirurgien ne sait rien et fait tout. Le
dermatologue ne
sait rien ni ne fait rien. Le médecin légiste
sait tout, mais un jour trop
tard. (Vieil adage) ». Nous sommes en
1976. Paul Konig est le
médecin-chef de l'Institut
médico-légal de New York, la
"ville des morts".
Avec plus de quarante ans d'expérience, c'est une
sommité au diagnostic parfait
; son jugement fait loi et tous le respectent. L'implacable
médecin n'a qu'une
faille : le naufrage de sa vie de famille. Sa femme, morte
d'un cancer, sa
fille disparue et qu'il sait en danger. Noyant sa peine dans un travail
acharné, Konig doit résoudre une affaire peu
ordinaire : un véritable
cimetière a été retrouvé
sur les berges du fleuve. La marée a tout brassé
et
pêle-mêle se trouvent bras, jambes, doigts, orteils
et débris anatomiques.
Combien de corps, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, comment sont-ils
morts et
pourquoi sont-ils là ? Hanté par la
disparition de sa fille, Konig
reconstitue patiemment les corps mutilés.
Ambiance
sombre, reconstitutions fidèles et glauques
d'autopsies à 5 heures du matin, on ressentirait presque
l'odeur de formol
et le bruit froid et métallique du scalpel sur les planches
à découper, les
ultimes gémissements de chairs
maltraités, recousus, recomposés à
l'heure
du café et des baggels.
Dans La nuit du solstice et Le
tueur et son ombre, on retrouve bien
sûr le même médecin légiste
et la ville de New York. Ils sont tout aussi passionnants
et se lisent d’une traite, comme les autres romans
d’Herbert Lieberman.
Extraits
de Nécropolis
« L’odeur d’une salle
d’autopsie est bizarre.
Odeur de mort et d’assa foetida. De formol et de peur. Qui la
sent une fois ne
l’oublie jamais. »
« A travers la lentille grossissante de la
loupe, Konig constate que l’épiderme a subi des
dégâts considérables sur toute
la surface. Aucun doute qu’un objet fortement abrasif
– un grattoir, ou
peut-être une lime – a été
utilisé pour oblitérer le relief digital et
palmaire. Mais en découpant soigneusement et en soulevant la
couche épithéliale
totalement lacérée, il parvient à
prélever de petites bandes de la membrane
conjonctive qui porte encore d’imperceptibles traces de
sillons et de crêtes.
Ce
n’est pas la première fois que Konig se trouve
confronté à une situation de ce genre, une
situation où les doigts ont été
dépouillés de leur épiderme par
putréfaction ou encore mutilation
délibérée. Et
il sait quelque chose qu’ignore celui qui a mutilé
les doigts – que les
caractéristiques de la couche externe du derme sont
identiques à celles des
empreintes digitales elles-mêmes. »



Patricia
Cornwell
Post
mortem, Mémoires mortes, Et il ne restera que
poussière…
Collection
du livre de poche, 6,95 euros le volume.
Patricia Cornwell au fil
de ses romans nous a fait
découvrir Kay Scarpetta (la médecin
légiste), Pete Marino (le policier), Benton
Wesley (l’agent du FBI) et l’univers des salles
d’autopsie. Elle a d’ailleurs
travaillée 6 ans dans une morgue (aux programmes
informatiques) avant de
publier son premier roman. C’est Post
Mortem, publié en 1990 en version anglaise, (Edgar
Poe Award et prix du Roman d’aventures 1992), qui lui a
donné une reconnaissance mondiale. Elle a même
été la première américaine
a remporter la consécration anglaise
suprême :
le prestigieux « Gold Dagger
Award » en 1993. Dans cette première
histoire, toute l’intrigue repose sur une
particularité médicale du tueur. Depuis,
elle nous livre pratiquement chaque année un nouveau
polar. Le 14ème volume de la
série des
Kay Scarpetta est paru aux Etats-Unis et le 13ème vient de
paraître
en France. Autant les premiers volumes étaient originaux et
faisaient découvrir
des aspects ignorés de la médecine
légale et des méthodes du FBI (en
particulier la ferme des corps qui étudie la
décomposition des cadavres en
fonction du temps et de l’environnement), autant au fil du
temps, les intrigues
sont devenues de plus en plus improbables, la psychologie des
personnages et
leur vie amoureuse prédominantes ; avec une vision
très américaine du
combat du Bien contre le Mal. C’est maintenant devenue une
véritable industrie
avec son entreprise la Cornwell Establishment.
Cette
série doit
bientôt être adaptée pour le
cinéma.
Extrait de « Et il ne restera
que
poussière… »
« La première question que je me pose
lorsque
je découvre une lésion sur un os ou dans un tissu
musculaire, c’est de savoir
si elle a été provoquée avant ou
après la mort. Car si l’on ne connaît
pas les
altérations pouvant intervenir après la mort, on
risque de graves erreurs.
Les gens carbonisé dans des incendies
présentent souvent des os éclatés ou
des traces d’hémorragies épidurales ce
qui
peut donner l’impression que quelqu’un les a
torturés avant de mettre le feu à
la maison pour maquiller le meurtre, alors que ces blessures sont
intervenues
après la mort en raison de la chaleur intense.
L’aspect des cadavres échoués
sur les plages ou repêchés dans des
rivières ou des lacs peut souvent faire
croire qu’un malade mental a mutilé visages,
organes génitaux, pieds et mains,
alors que c’est là l’œuvre des
poissons, des crabes et des tortues. Les restes
osseux sont mordus, rongés,
déchiquetés par les rats, les chiens, les rapaces
et les ratons laveurs.
Les prédateurs à quatre
pattes, à écailles
ou ailés infligent des dommages spectaculaires, certes, mais
heureusement
postérieurs au décès de la victime. La
nature entreprend alors son grand
recyclage. La cendre redevient cendre, la poussière retourne
à la poussière.»
En dehors du
médecin-légiste, un autre personnage a aussi fait
son apparition pour mener des
enquêtes post-mortem : le croque-mort. Tim Cockey a
situé le sien à
Baltimore, et 3 aventures sont parues en français. Pourtant,
nous avons
l’antériorité sur ce sujet avec la
série d’Alexandre Terrel « Le croque-mort » parue
aux
éditions du Masque dans les années 1980
(malheureusement, on ne peut les
trouver que chez les bouquinistes). Comme les auteurs
américains, si la partie
scientifique est très précise (le
métier de thanatopracteur n’aura plus de
secret pour vous), il y a évidemment beaucoup
d’humour noir. L’aspect comique
est renforcé par la description de la vie quotidienne dans
une petite ville de
province, telle qu’on peut se l’imaginer
lorsqu’on habite… Paris. Sous le nom
d’Alexis
Lecaye, Alexandre Terrel a aussi écrit la série
des Julie Lescaut.
Conseil
numéro 7 [retour haut de page]
Nous allons nous
intéresser cette
fois-ci au thème du
« suicide » qui est
très souvent abordé dans la
littérature. Apparemment le suicide est un acte complexe,
qui peut demander une
formation spécifique (c’est le cas dans
l’ouvrage de Martin Page) ou de l’aide,
comme dans le roman d’Arto Paasilinna. Nous avons
déjà parlé dans une
précédente rubrique de cet auteur finlandais
à l’humour ravageur. Si le sujet
est sérieux, ces ouvrages nous font
réfléchir entre deux crises de fou rire.

Martin Page
Comment je suis devenu stupide
Le Dilettante (2000) 15,09 euros
En poche, J’ai lu (2003) 4
euros.
Dans
ce premier roman férocement drôle, Martin Page
fait un pamphlet contre
l’abrutissement de la vie moderne, en partant du postulat que
l'intelligence
ne fait pas le bonheur…
« L'intelligence est une maladie. Une tare. La
pensée conduit à l'exclusion.»
A vingt-cinq ans, Antoine, cultivé, fin et
bardé de diplômes aussi exotiques qu'inutiles, le
sait déjà depuis longtemps. Il
décide donc de se noyer dans les vapeurs de l'alcool.
Devenir alcoolique
d'accord, mais intelligemment et méthodiquement. Comme on ne
peut pas être
génial en tout, Antoine échoue lamentablement. Il
prend alors comme «remède
de substitution la résolution de se
suicider». Après un bref apprentissage
technique sur la façon de se donner
la mort (cours donnés par la SPTPTM,
Suicide Pour Tous et Par Tous les Moyens, association
fondée en 1742), Antoine reconnaît que
s’il ne veut pas vivre, il ne veut pas
mourir non plus. Reste une solution: devenir stupide. D'abord
tenté par une
demi lobotomie, il espère se faire contaminer par un
professeur et une
journaliste qui, semble-t-il, ont consacré leur vie
entière au renoncement à
l'intelligence. Et puis il tâte des vertus
décérébrantes de la
télévision, des
Grands Magasins, des salles de musculation avant qu'un job dans une
société de
courtage l'entraîne au-delà de ses plus
périlleuses ambitions. Finalement, la
solution, car il y en a une, s'appelle Heurozac : deux petites
pilules par
jour et l'apprenti stupide peut ingurgiter des Big Mac, s'enrichir en
boursicotant, s'offrir un loft branché et une grosse voiture
sans culpabiliser.
Bref, la vraie vie, enfin !
Extraits
« …moi je voulais
être alcoolique, mais ça n’a pas
marché.
Maintenant, le suicide me semble la solution la plus abordable.
Là, au moins,
j’ai toutes mes chances. –
Détrompez-vous : rien n’est plus
difficile que
de se supprimer. Il est plus facile d’avoir son bac, le
concours d’inspecteur
de police ou l’agrégation de lettres que de se
suicider. Le taux de réussite
est en dessous de huit pour cent. »
« Ma théorie… Ma
théorie est qu’il vaut mieux mourir tant que la
vie ne
nous a pas tout pris. Il faut garder des munitions, de
l’énergie pour la mort
et ne pas y arriver complètement vide comme ces vieillards
aigris et
malheureux. Peu m’importe que vous soyez croyants,
athées, agnostiques ou
diabétiques, ce n’est pas mes oignons. Je pense
certaines choses, et je vais
vous en parler, mais je ne suis pas là pour vous convaincre
de mourir ou de ce
que peuvent être la vie et la mort. C’est votre
expérience, ce sont vos
raisons, vos choix. Notre point commun, c’est que la vie ne
nous satisfait pas,
et que nous voulons en finir, c’est tout. Je vais vous
apprendre comment vous
suicider de manière efficace, pour ne pas vous louper, de
manière belle,
originale. Mon enseignement porte sur la façon de se donner
la mort, pas sur
les raisons. »
A noter
qu’il
existe une version BD de ce livre par Nikola Witko (éditions
6
pieds sous terre,
collection Plantigrade).

Arto Paasilinna
Petits suicides entre amis
Éditions Denoël,
2003, 20 euros
Folio (2005), 6,20 euros
Ce roman est paru en Finlande en 1990, mais
n’a été traduit en
français qu’en 2003. Il s’agit
là encore d’un « road
book »
désopilant à travers toute l’Europe.
Un beau matin,
Onni Rellonen, petit entrepreneur dont
les affaires périclitent, et le colonel Hermanni Kemppainen,
veuf éploré,
décident de se suicider. Le hasard veut qu'ils
échouent dans la même grange.
Dérangés par cette rencontre fortuite, ils se
rendent à l'évidence : nombreux
sont les candidats au suicide. Dès lors, pourquoi ne pas
fonder une association
et publier une annonce dans le journal ? Le succès ne se
fait pas attendre, et
ils organisent, avec les centaines de
personnes qui ont répondu à
l'appel, un symposium et un banquet. Une trentaine
de
suicidaires de tous poils décident de s’embarquer
dans l’aventure, dans un car
de tourisme flambant neuf. S'ensuit,
à travers l'Europe, une
folle équipée de joyeux
désespérés, une quête
existentialo-rocambolesque dans
la pure tradition des romans de Paasilinna. Un
périple loufoque mené à un train
d'enfer, des falaises de l'océan Arctique
jusqu'au cap Saint-Vincent au Portugal, où
l'autocar kamikaze
finira par se précipiter dans l'Atlantique. Ce roman est
l'occasion d'une réflexion férocement
drôle sur le suicide : "Rater
son suicide n'est pas forcément ce qu'il y a de pire dans
l'existence."
Extraits
« Le colonel Kemppainen et le président
Rellonen rédigèrent une annonce à
l’intention d’un quotidien national. En termes
succincts, on pouvait y
lire :
SONGEZ-VOUS AU SUICIDE ?
Pas de panique, vous n’êtes pas
seul.
Nous sommes plusieurs à partager les
mêmes
idées, et même un début
d’expérience. Ecrivez-nous en exposant
brièvement votre
situation, peut-être pourrons-nous vous aider. Joignez vos
noms et adresse,
nous vous contacterons. Toutes les informations recueillies seront
considérées
comme strictement confidentielles et ne seront communiquées
à aucun tiers. Pas
sérieux s’abstenir. Veuillez adresser vos
réponses Poste restante, Bureau
central de Helsinki, nom de code « Essayons
ensemble ». »
A
noter que ce thème du suicide
« collectif » et
« d’entraide » a
inspiré de nombreux
auteurs. On peut citer l’auteur de « L’île
au trésor » et le
célèbre romancier de la trilogie des
« Fourmies ».
« Le club du
suicide », Robert Louis Stevenson, Folio, 2
euros.
Avec cette
nouvelle,
Stevenson (1850-1894) ouvre un ensemble de récits
fantaisistes et
rocambolesques, Les Nouvelles Mille et une Nuits. « Nous savons
désormais que la vie n’est
qu’une scène où faire le pitre aussi
longtemps que le rôle nous divertit. Il
manquait encore une commodité au confort moderne ;
une manière convenable
et facile de quitter la scène ;
l’escalier de service vers la
liberté ; ou, si vous voulez, comme je
l’ai dit à l’instant,
l’escalier de
service vers la Mort. Tout
cela, mes chers compagnons de révolte, est fourni par le
club du Suicide. »
C’est un luxe rare qu’offre cette
société secrète aux jeunes gentlemen
Londoniens ruinés par le jeu et les femmes
ou simplement désenchantés : le luxe de
se suicider en toute discrétion,
la garantie d’une mort “honorable”. Un
suprême raffinement au Progrès
déjà mis
en marche par l’invention du chemin de fer ou du
télégraphe. Moyennant 40 livres,
les désespérés
de bonne famille sont reçus par le président du
club pour un entretien
préalable où ils doivent faire la preuve de leur
désir de mort. C’est une
partie de carte qui décide de qui verra son souhait
réalisé parmi l’assemblée
des membres. Le principe est simple : celui qui tire
l’as de pique obtient
son passeport pour un au-delà sans scandale tandis que celui
qui tire l’as de
trèfle est désigné pour être
son bourreau. Tout candidat au suicide est donc
également candidat au meurtre.
Bernard Werber,
« EXIT », éditeur
Albin Michel (3 volumes, 9 euros chaque).
Mourir, oui, mais
comment ? La jeune et jolie Amandine Wells,
journaliste dans un magazine de jeux vidéo, perd son job,
son petit ami et son
appartement dans la même journée.
Désespérée, elle décide de
mettre fin à ses
jours. Mais le courage lui manque. Sur Internet, elle tombe alors sur
un site
lui proposant un étrange marché (www.sos.dprim.fr) : "Vous
avez raté votre vie ?
Réussissez votre mort ! EXIT, le premier service d'aide
à la sortie". "On" l'aidera
à mourir si elle-même accepte de tuer un autre
désespéré. Amandine accepte. Et,
bien sûr, reprend rapidement goût à la
vie. Mélangeant polar et fantastique
moderne, dessiné de manière très
réaliste par Alain Mounier (auteur d'une autre
série fantastique, Dock 21
chez Dargaud), Exit
joue avec les peurs modernes : dépression, sectes,
nouvelles technologies.
Le
+ d'internet
: A noter la sortir fin 2006 d'un petit roman de Jean Teulé
(éditeur Julliard) intitulé "Le Magasin des
Suicidés". Une perle d'humour noir. Comme le
rappel la
quatrième de couverture : "Vous avez raté votre
vie ? Avec nous, vous réussirez votre mort !"
Conseil
numéro 6 [retour haut de page]
Nous allons nous
intéresser cette
fois-ci au « polar
médical » à travers les
principaux romans de Thierry
Jonquet. Presque tous ont en effet une trame médicale qui
s’explique par les
premiers métiers de l’auteur. Il a
d’abord été ergothérapeute
dans un service
de gériatrie à l'hôpital Draveil. Des
« petits vieux », il passe aux
enfants mutilés de l'hôpital Saint-Maurice. Puis
il change d'orientation pour
devenir instituteur. Mais le voilà pour son premier poste
dans un autre hôpital,
avec des malades mentaux. A la fin des années 1970, il
découvre le polar, et il
était tout naturel que son premier livre, en 1982 (Le
Bal des Débris),
soit un roman noir qui se passe dans un hôpital
gériatrique. Pour cette
rubrique, je vais surtout m’intéresser au dernier
roman paru (qui est loin
d’être son meilleur) et à Mygale
qui
est probablement le plus abouti.

Thierry
Jonquet
Mon
vieux
Seuil
Policiers, 2004, 17 euros
(Points
Seuil, 2005, 7,50 euros)
C’est
l’été,
l’été
2003. La chaleur commence à faire des ravages chez les plus
démunis,
vieillards, malades et rejetés de la vie. Quelques
années plu tôt, à La Courneuve,
un vieillard
qui titube au milieu de la route à 11 heures du soir est
récupéré par la BAC. Pas
moyen de savoir
son nom, l’inconnu a la maladie d’Alzheimer. Il est
placé en soins de longue
durée à l’hôpital Lyautey
à Draveil.
Pour Alain
Colmont, la canicule risque de tourner au cauchemar…
Élevé dans la misère, il a
quand même réussi à devenir professeur,
puis scénariste pour la télé. Mais un
jour sa fille, Cécile, a un accident de scooter qui la
défigure. Alain, qui
l’adore, se ruine pour lui redonner un visage.
À
Belleville,
une bande de SDF se retrouve régulièrement pour
boire et se livrer à de petites
combines. Cette vie-là, Daniel Tessandier, Rmiste,
n’en veut pas. Mais comment
l’éviter lorsqu’on perd son appartement
et qu’il n’y a pas de travail ?
Thierry
Jonquet enchevêtre les destins de ces deux hommes en
galère. Le premier, Alain
Colmont, est rattrapé par les « tuiles »
de la vie, étouffé par les dépenses et
glisse lentement vers le crime ; le second, Daniel Tessandier,
s’engouffre dans
la spirale de la précarité, la clochardisation,
puis, lui aussi, du crime. Deux
mondes qui coexistent sans se voir et où un meurtre peut en
cacher un autre...
Ce roman, à
travers le prétexte de la canicule, aborde plusieurs sujets
de société
actuels : le chômage, les SDF, les personnes
âgées, la maladie
d’Alzheimer... Tout repose sur la problématique de
« l’obligation
alimentaire » qui met le personnage principal devant
un dilemme : doit-il
s’occuper de son père qu’il ne
connaît pas et qui l’a abandonné ou de
sa fille
qu’il aime par-dessus tout ? Cette situation
paraît tellement artificielle
qu’on n’arrive jamais à y croire. Tout
est très caricatural dans ce livre, et
même la description des SDF ressemble à celle
d’un film de série B. Encore
pire, le portrait du directeur de l’hôpital
gériatrique. Même si les nouveaux
directeurs n’ont plus que des objectifs
économiques de rentabilité, ils ne vont
quand même pas jusqu’à rechercher avec
acharnement l’identité d’un patient
Alzheimer pour pouvoir encaisser le forfait hébergement !
Où sont passés
l’imagination et le style de Jonquet ?
Malheureusement cette baisse de
qualité était déjà
très présente dans son
précédent roman « Ad
Vitam Aeternam ».
Par ailleurs, pas un seul instant le lecteur n’a
la sensation de la canicule (chaleur, sueur, étouffement,
fatigue,
épuisement…). C’est purement un alibi
qui aurait pourtant pu être mieux
exploité par cet écrivain de talent.
Extrait :
« Dès
le lendemain matin, Alain se rendit à
l’hôpital Lyautey. Il prit un train de banlieue
à la gare de Lyon, descendit à
Villeneuve-Saint-Georges et, peu disposé à
emprunter un des bus qui
desservaient Draveil, patienta dans l’attente d’un
taxi. La voiture le déposa
devant l’entrée de l’hôpital.
La gorge nouée, il scruta l’édifice,
trois blocs
de béton lugubres disposés en H au beau milieu
d’un parc abondamment fleuri.
Alain se demanda pourquoi on baptise parfois les hôpitaux du
nom de massacreurs
galonnés : Foch, Joffre, Lyautey. Mais les
généraux en sont souvent les
meilleurs fournisseurs, après tout.
Il
se rendit au guichet d’accueil et, sitôt
entré dans le
hall où se trouvaient le kiosque à journaux et la
cafétéria, il eut un rapide
aperçu de ce qui l’attendait. Des vieillards des
deux sexes erraient en robe de
chambre, agrippés à leur déambulateur.
D’autres végétaient sur des bancs, le
regard vide et le menton dégoulinant de bave, leur bouche
édentée grande
ouverte. Sans le moindre signe d’agacement, de
révolte. Ils tuaient le temps en
attendant que le temps les tue.
Perdu
au
milieu d’eux, Alain eut l’impression
d’avoir été convoqué pour
une figuration
dans un clip gore inspiré d’un tableau de Goya. Il
lui était souvent arrivé
d’effectuer une rapide apparition dans des
téléfilms dont il avait signé le
scénario, juste pour s’amuser, tantôt
chauffeur-livreur, tantôt gendarme,
tantôt infirmier… Il sentit un frisson lui
parcourir l’échine. Erreur de
casting ! L’espace d’un instant, l’envie
lui prit de déguerpir au grand galop
et d’oublier cette vision de cauchemar. »

Mygale
Gallimard,
Folio Policier, 156 pages, 4,60 €
Réédition
1999
Mygale tisse son
énigme autour de personnages à la fois fascinants
et repoussants. Plusieurs
histoires sont racontées en parallèle et rien a
priori ne les raccorde tant
elles sont différentes dans le temps, l’espace et
les personnages qui semblent
être étrangers les uns aux autres.
Le roman
débute dans
le boudoir privé d’une femme, Ève,
objet sexuel d’un riche chirurgien (Richard),
confinée dans sa chambre dans une somptueuse villa du
Vésinet en banlieue
parisienne. Régulièrement, Richard rend visite
à Viviane qui est devenue folle.
Puis le récit passe à Alex, un homme en cavale,
blessé après avoir tué un
policier lors d’un casse raté et qui se cache dans
un mas provençal. Dernier
tableau : il fait nuit et Vincent sur sa moto est
pourchassé par un fou en
voiture dans la forêt normande. Il est fait prisonnier et
drogué. On le
retrouve attaché dans une cave et il devient le jouet
d’un inconnu. "Dans
ta tête, tu avais donné un nom au
maître. Tu n’osais l’employer en sa
présence,
bien entendu. Tu l’appelais
« Mygale », en souvenir de tes
terreurs
passées."
Peu à peu ces
histoires convergent vers une seule et
unique. Mygale a tissé sa toile pour
faire sienne ses proies avec
lesquelles il joue longuement. Mygale leur inspire
la haine puis le
désir. Successivement les bourreaux deviennent les victimes
et les victimes les
monstres. Le jeu de séduction/répulsion se
développe tout au long du livre dans
une ambiance malsaine. Jonquet plonge aux
tréfonds de l’horreur : les corps
mutilés, les rapports malsains, obscènes
et violents, l’auto justice, les relents des
sévices, la perfection des
supplices... Dans un style concis, sans fioriture, cette
épouvante, orchestrée
avec brio, frise carrément le sublime : une
perfection de sadisme. Par
ailleurs, d’un point de vue purement médical, les
traitements et les opérations
sont décrits avec une extrême précision.
Avec pareil
thème, pas étonnant que le réalisateur
Pédro Almodovar se
soit saisi des droits pour l’adapter au cinéma. Il
devrait commencer à tourner
sa Tarantula avec
deux de ses
fidèles acteurs : Antonio Banderas et Penelope
Cruz. On devine
aisément ce qui a pu plaire au réalisateur
espagnol : un univers qu’il a souvent
abordé, celui de la confusion des
genres et de la manipulation.
Extrait
« La
salle était surmontée d'un
amphithéâtre en gradin,
séparée du
bloc par une vitre. Les spectateurs, médecins et
étudiants, attendaient en
nombre; ils écoutèrent la voix de Lafargue,
déformée par le haut-parleur,
exposer le cas.
-
Bien, nous avons, sur le front et les joues, de larges placards
chéloïdiens: il s'agit d'une brûlure par
explosion d'une "bouillotte chimique",
la pyramide nasale est pratiquement inexistante, les
paupières sont détruites,
vous voyez donc ici une indication typique de traitement par lambeaux
cylindriques... Nous allons mettre à contribution le bras
ainsi que
l'abdomen...
A
l'aide d'un scalpel, Lafargue
incisait déjà de larges rectangles de peau sur le
ventre du patient. Au-dessus
de lui, les visages des spectateurs se pressaient contre la vitre. Une
heure
plus tard, il pouvait montrer un premier résultat : des
lambeaux de peau,
cousus en cylindre, partaient du bras de l'opéré
et de son ventre pour venir se
rattacher à son visage ravagé par les
brûlures. Leur double amarrage
permettrait de régénérer le
revêtement facial, totalement délabré.
On
emportait déjà l'opéré
au-dehors. Lafargue arracha son masque et
termina ses explications.
-Dans
ce cas, le plan opératoire était
conditionné par la
hiérarchie des urgences. Il va de soi
que ce type
d'intervention devra être
réitéré à plusieurs
reprises avant d'obtenir un
résultat satisfaisant. »
En dehors de ces
deux livres, Jonquet
a une œuvre très abondante (romans, nouvelles,
livres pour enfants, théâtre, BD,
séries télé…) et la plupart
de ses autres romans policiers ont un point de
départ médical (syndrome de Munchausen, syndrome
de Diogène…) ou une intrigue
qui se passe dans cet univers. Les
personnages de ses livres « Les
orpailleurs » et « Moloch »
ont inspiré la télévision avec la
série « Boulevard
du palais ». On peut aussi citer les
titres
suivants :
Le Bal des
débris (Spécial-Police,
Fleuve Noir, 1984, réédité
dans la collection Librio
noir n° 413 à 2€). Tout a
changé dans la vie de Frédo, qui pousse des
chariots dans un
hôpital pour vieux, le jour où Alphonse Lepointre,
plombier-zingueur dans le
civil mais resté truand dans l'âme, a
été admis aux urgences. Ensemble, ils
décident de monter le coup de leur vie : c'est le soir du
bal, le bal des
« débris »,
qu'ils vont soulager de ses diamants une riche pensionnaire, par
ailleurs bien
gardée... Rebondissements, panique, prise d'otages, Jonquet
met en scène une
époustouflante course-poursuite au terme de laquelle les
diamants sortiront
bien de l'hôpital. Mais dans quelles conditions ! Et pourquoi
?
Mémoire
en cage (Gallimard,
Folio policier, 1999, 4.70 euros). Quand
sa vie est foutue, on peut toujours essayer de réussir la
mort de celui qui a tout gâché !
Cynthia, une
adolescente lourdement handicapée
délaissée par ses parents, rêve
d'assouvir une vengeance : tuer le médecin qui
est responsable de son état misérable. Ce
faisant, elle commet presque le crime
parfait.
La
bête et la belle (Gallimard,
Folio policier, 1999, 4.70
euros).
C’est l’histoire du Coupable
et du seul témoin de ses forfaits, le vieux
Léon (silencieux, complaisant). Au début, cela
fleure bon la médiocrité :
la vie banale d’un enseignant banal (le Coupable)
marié à une Garce ordinaire (La Belle).
Puis bien sûr, ce
petit monde " idyllique "
dégénère. Les cadavres et les
ordures s’amoncellent. Très vite, cela devient
voyant et surtout odorant. Au
point d’attirer le curieux. Court mais dense, ceux qui
atteindront la fin
tomberont certainement des nues.
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