Ce texte a été écrit à partir des notes prises pendant mon hospitalisation en 2009. Il faut y voir avant tout un témoignage.


Le signe du saladier

(mauvaise nouvelle)

Portrait succinct

 

Nous sommes en 2009, j’ai 47 ans, une femme et deux enfants. Je suis médecin, je m’occupe de malades âgés. Je suis gériatre spécialisé dans la maladie d’Alzheimer et les soins palliatifs. Tout un programme !

Je travaille à l’hôpital public et je n’ai pas de secteur privé. Je suis un ardant défenseur du système de santé à la française, et je me bats contre tous les projets de lois mis en place depuis quelques années pour transformer l’hôpital en entreprise.

Je fais aussi de la recherche clinique et de l’enseignement sur la prévention du vieillissement. J’ai coordonné un livre médical sur ce sujet : un abrégé de « Gérontologie préventive ».

J’ai repris le sport depuis 2-3 ans, et je fais un régime depuis 6 mois. Je ne fume pas, je ne bois pas, je n’ai ni hypertension, ni diabète, ni cholestérol.

Je vais bien et je suis plutôt en forme. Je suis en confiance, je ne me sens pas menacé.

RAS. 


Le premier soir

(lundi 27 avril)

 

D’abord je me suis mordu la lèvre en mangeant. Une fois, puis une deuxième, puis une troisième. Trois fois de suite. Toujours au même endroit pendant le repas du soir. A part ça rien de spécial. Tout est comme d’habitude.


La manif

(mardi 28 avril)

 

Le matin au réveil, j’ai comme des pertes d’équilibre. Des vertiges. Je me sens un peu patraque. Mais bon, on est le 28 avril le jour de la manifestation contre le projet de loi Bachelot. Comme c’est ma première manif, il y a peut être un peu de stress. En arrivant à Montparnasse, j’étais un peu fatigué. D’ailleurs, les gens de l’hôpital mon trouvé un peu pâlot. Je leur ai expliqué que c’était sûrement viral. Puis on a fait la marche. Il y avait beaucoup de monde, pas loin de 20 000 personnes : médecins, soignants, malades, tous contre cette loi. Il y avait quelques hôpitaux de province, mais la majorité des manifestants venaient de Paris. Cinquante pourcent des médecins se sont déclarés en grève ce jour là à l’APHP. Du jamais vu. Tous les grands patrons étaient là. Il y avait de nombreux journalistes, les radios et les télés. L’ambiance était bon enfant. La manifestation était plutôt joyeuse, et tout le monde était étonné de se retrouver dans la rue, la plupart des médecins n’ayant jamais manifesté ni fait grève. Bachelot a refusé de recevoir une délégation.

Moi, ça va. J’ai juste buté une fois en me retournant, contre le trottoir. J’y ai à peine prêté attention. Par contre, j’ai du mal à parler et j’ai une gêne à l’œil gauche.

A 13 heures, c’est la pose casse-croûte. J’ai un peu de mal à manger. Comme si des bouts de sandwich ressortaient de ma bouche. Je me dis que je suis maladroit et que j’ai perdu l’habitude de manger des sandwichs. Je reprends le métro pour aller à Montrouge où je dois donner un cours à 14h30 à des étudiants en dentaire.

Le cours porte sur la maladie d’Alzheimer et les problèmes de mémoire. J’ai beaucoup de mal à articuler. Je pense toujours que c’est viral et j’explique aux étudiants que j’arrive de manifester et que c’est pour ça que j’ai du mal à parler. Par moment, je n’arrive pas à trouver mes mots. J’avais hâte que ce cours se termine. Ils ont du penser que j’étais stressé et que je bégayé un peu. En tout cas, j’ai assuré tout le cours.

Le soir, j’avais toujours ce problème de voix et en plus l’œil gauche tout rouge. Cela allait bien avec un problème viral.

A table, je laisse tomber une première fois la boîte à fromages. Puis, en débarrassant la table, je lâche le saladier que je tenais dans la main gauche. Cassé en mille morceaux. Sûrement la fatigue liée à ce virus. Je n’ai pourtant pas de fièvre. Je ne touche plus à rien de la soirée et je me repose.

 


Auto-examen

 

Le lendemain matin, alors que je viens de prendre ma douche, je me rends compte que j’ai des difficultés pour sortir de la baignoire. Ma jambe gauche ne passe pas. Je dois m’y reprendre à 3 fois. Bizarre. D’abord je lâche le plat que je tenais dans la main gauche et maintenant la jambe. Quand je mange, c’est aussi du coté gauche qu’ont tendance à ressortir les aliments et la salive. Ca fait beaucoup de coïncidences. Bras plus jambe plus bouche égale hémiparésie gauche (un peu moins qu’une hémiplégie). J’essaye de m’auto examiner : je lève mon pied droit puis mon pied gauche. Il y a une différence, le gauche me semble plus lourd. Puis je mets mes deux mains bien tendues devant moi. La gauche a tendance à descendre. Je me regarde alors dans la glace. Si je grimace, il y a une asymétrie à gauche. Mais j’ai toujours eu la bouche en biais. Ce n’est pas très significatif. En tout cas, ça ressemble à un AVC (accident vasculaire cérébral). Mais ça me semble tellement impossible que je ne veux pas y croire. Et puis un médecin, ça imagine toujours le pire. Ca interprète tout et ça se trouve toutes les maladies possibles et imaginables.

Je prends le métro et je vais au travail, à l’autre bout de Paris, comme tous les jours.

A l’hôpital, je rencontre plusieurs personnes du service qui ne semblent rien remarquer de particulier.

Comme je suis quand même inquiet, j’essaye de joindre un neurologue pour avoir un avis. Le plus proche est en congrès à l’étranger. J’essaye alors de joindre son adjoint, mais il est en consultation et ne répond pas.

En attendant, j’appelle un ami neurologue en province pour lui demander conseil. Il essaye de me rassurer en m’expliquant que les médecins ont tendance à somatiser facilement. D’ailleurs lui-même a eu il y a quelques mois des symptômes similaires aux miens. Il a même du être hospitalisé et avoir une IRM (imagerie par résonance magnétique) et une ponction lombaire. Bilan négatif. Un gros coup de fatigue. En tout cas, il me conseille quand même de voir rapidement un neurologue car ça n’est jamais bon de s’examiner tout seul.

Je rappel le neurologue qui était en consultation et cette fois-ci, il répond. Je lui explique mes symptômes et il me dit qu’il me contacte rapidement.

En attendant, je réponds à quelques courriels sur ma messagerie Internet. Je fais un tour dans le service. Je signe les papiers pour commander les stupéfiants. J’essaye de rappeler la famille d’un malade qui a essayée de me joindre, mais ça sonne occupé.

Je croise la représentante d’un laboratoire pharmaceutique que j’écoute d’une oreille plus que distraite.

Mon téléphone sonne. C’est le neurologue qui me dit que je dois me faire hospitaliser pour un bilan. Il a trouvé un lit dans l’unité de soins intensifs neuro-vasculaires (USINV). Il m’attend dans une heure. On pourra faire l’IRM dans l’après-midi.

Du coup, je repasse dans le service pour signaler que je dois aller passer des examens. Je préviens les internes que je ne pourrai pas faire la visite ni manger avec eux comme c’était prévu pour le repas de fin de stage (ils finissent leur stage le 30 avril et changent le 4 mai).

Mon collègue praticien hospitalier qui est cardiologue souhaite m’examiner de la tête aux pieds avant que je ne parte : auscultation, réflexes, force musculaire, tension artérielle, électrocardiogramme… Rien à signaler sur le plan cardiaque. Pour lui le déficit n’est pas évident, mais il me conseille bien sûr d’aller faire le bilan en neurologie. Il s’occupera de mes malades pendant ce temps.

Avant de partir, je passe deux ou trois coups de fil pour annuler plusieurs rendez-vous importants pour l’après-midi et le lendemain également. Au cas où on me trouverait quelque chose…

Je préviens mon chef de pôle, et je vais prendre le métro pour aller me faire hospitaliser. Dans le public bien sûr. Je passe ainsi directement du statut de médecin qui manifeste pour défendre l’hôpital public à celui de malade hospitalisé dans le public. On ne peut pas mieux prouver son attachement au service public ! Involontairement, je prépare ainsi la fusion des hôpitaux.

 

Hospitalisation

(mercredi 29 avril)

 

J’arrive dans le service de neurologie. Le médecin est encore en consultation. La chambre n’est pas prête et je dois patienter. Au bout d’une heure, je suis dans la chambre : il y a un lavabo, une télé, un placard, un scope et des seringues électriques (au moins six). Par contre, pas de toilettes ni de douche : on est aux soins intensifs. On me donne une chemise d’hôpital et j’attends. Le service est sécurisé, il faut taper un code pour pouvoir y accéder.

Enfin, un infirmier vient me voir et essaye de comprendre comment je suis arrivé là. Je lui explique, mais ça ne semble pas évident. Il prend tous les renseignements pratiques et s’aperçoit alors que personne ne s’est préoccupé de me faire passer par les admissions pour enregistrer mon hospitalisation. Finalement, quelqu’un ira faire le nécessaire avec tous mes papiers : carte de sécurité sociale, carte d’identité, mutuelle. Ca y est, cette fois je suis réellement hospitalisé : chambre 5, porte 22, premier étage.

Ici, il n’y a que des chambres seules et tous les malades sont scopés. On me scope. Le lit possède un matelas anti-escarre et une télécommande électrique de couleur bleue avec un petit personnage allongé et des flèches sur lesquelles il faut appuyer pour faire varier les positions. J’essaye de remonter la tête du lit, mais ça remonte automatiquement les pieds. Il me faudra attendre le lendemain pour qu’une infirmière m’explique qu’il fallait appuyer en même temps sur deux boutons pour relever la tête et abaisser les pieds ! 

Le neurologue qui m’a fait hospitaliser vient enfin me voir avec la chef de clinique responsable de l’unité. Comme il me connaît, il ne peut pas s’occuper de moi, et c’est la chef de clinique qui va le faire. « No problemo » comme dirait Homer Simpson.

Je lui raconte mon histoire, et elle m’examine : les mains, les doigts, les pieds, les jambes, les réflexes, le toucher, le diapason, le doigt-nez, les yeux, la bouche… Sa conclusion est claire : accident vasculaire ischémique au niveau de la capsule interne du thalamus. « Quand ça concerne les trois étages et que c’est purement moteur, c’est le thalamus. »

CQFD.

On va faire l’IRM dans l’après-midi (en gériatrie, il nous faut attendre parfois plusieurs mois avant d’obtenir cet examen). Tant qu’on n’a pas un diagnostic je dois rester allongé et scopé. Interdiction de me lever, même pour aller aux toilettes. Compte tenu du risque de fausses routes en mangeant, je serais au mixé.

Deux externes viennent me faire un ECG. Pas d’examen clinique, pas d’observation. Je ne les reverrai plus de tout mon séjour.

IRM

 

Dans l’après-midi, on vient me chercher pour l’IRM. Transport en lit. On me perfuse pour pouvoir injecter le produit de contraste pendant l’examen. On vérifie l’absence de contre indication et de prothèses métalliques (car il s’agit en fait d’un très gros électro-aimant). J’attends. Je suis très calme.

On me transfert sur un brancard puis sur la table d’examen. On me met un casque avec de la musique sur les oreilles, puis un système pour me bloquer la tête avec un miroir pour pouvoir voir ce qui se passe pendant l’examen (mais comme on m’a enlevé mes lunettes, je ne vois rien) et enfin, un système pour me bloquer le thorax. « On vous met de la musique parce que ça fait du bruit ; mais on vous parlera pendant l’examen. Il ne faut surtout pas bouger. »

La table se déplace, et j’entre dans le tube. L’examen commence. Effectivement, ça fait beaucoup de bruit. Je n’entends même plus la musique. J’ai l’impression d’un marteau-piqueur avec les vibrations incluses. A d’autres moments, c’est comme une sirène de pompier en plus aigu. Et ça dure 20 minutes. Je comprends pourquoi il ne faut pas être claustrophobe et  pourquoi certaines personnes ne supportent pas cet examen qui pourtant n’est pas du tout invasif.

Durant cette hospitalisation je vais avoir l’occasion de tester un grand nombre d’examens que j’ai prescrits ou que j’ai moi-même effectués pendant des années, et de voir réellement à quoi ça correspond du coté du malade.

Une fois remonté dans ma chambre, c’est l’interne qui me donne les résultats et m’annonce le diagnostic. Effectivement, il s’agit d’un petit accident vasculaire ischémique (une artère qui s’est bouchée) au niveau de la capsule interne du thalamus comme le médecin l’avait diagnostiqué. Ce n’est pas hémorragique (un saignement) comme je l’avais envisagé, ni une autre maladie comme une sclérose en plaque.

A l’IRM, le reste du cerveau est bien et les artères ont l’air tout à fait normales, y compris les carotides ce qui semble exclure une origine à ce niveau. « On fera quand même un doppler des vaisseaux du cou, au cas où… ». Il faut donc chercher du coté du cœur. « On va vous faire une échographie cardiaque, le mieux dans ce cas étant une échographie trans-oesophagienne (ETO). Comme vous êtes jeune [merci] il faut qu’on cherche l’origine exacte de cet AVC. S’il n’y a rien à l’ETO, il faudra faire d’autres examens. S’il y a quelque chose au cœur, il vous faudra sûrement un traitement anticoagulant à vie. En attendant, on vous met déjà sous hypocholestérolémiant, aspirine et héparine. Il vous faudra peut être aussi un traitement par IEC et diurétique. Par ailleurs, on va continuer de surveiller sur le scope pour voir si vous n’avez pas un problème d’arythmie cardiaque. On fera aussi un holter ECG par sécurité. Demain, on vous prélèvera tout un bilan immunologique pour rechercher une vascularite.»

Avec le week-end du premier mai qui approche, je suis là pour au moins cinq jours. Je suis à l’hôpital depuis seulement quelques heures et j’ai déjà un traitement d’au moins trois médicaments que je devrais probablement prendre toute ma vie.


Uriner et manger

 

J’ai envie d’uriner depuis des heures. A mon retour, je demande l’urinoir (dit aussi pistolet) car je n’ai toujours pas le droit de me lever. Impossible d’arriver à pisser en étant allongé. C’est à ce moment là que ma femme arrive.

Elle m’apporte des affaires. Comme on habite à l’autre bout de Paris, ça ne va pas être pratique. Et puis il y a les enfants. On essaye de voir comment on va s’organiser. Elle va arriver à venir tous les jours me voir à l’hôpital tout en s’occupant des enfants et de la maison !

En attendant, mon problème principal est d’arriver à pisser avant que ma vessie n’explose… Elle me propose de faire couler l’eau au robinet. Miracle, cela déclenche enfin la miction. Au moins un litre.

Mon collègue de travail m’appelle pour avoir des nouvelles. Dans la soirée, toute ma famille téléphone.

Le repas est à 19h00. On ne me parle plus de mixé, mais on doit me tester pour voir si je fais des fausses routes. Tout est bien standardisé au niveau des soignants. Tout d’abord, je dois prendre de l’eau gélifiée. Elle est au cassis. Ce n’est pas si mauvais que ce que j’imaginais. En tout cas, tout passe bien. On essaye ensuite l’eau ; pas de problème. Pas de toux, pas de fausse route. Finalement, je peux manger normalement. Premier repas à l’hôpital comme malade, premiers médicaments et première piqûre. Il faut fêter ça : purée, choux farcie, salade, fromage, yaourt et compote. C’est très correct. Je mange tout jusqu’à la dernière miette.

Autre bonne nouvelle, je suis autorisé à me lever pour aller aux toilettes. Ouf, ça sera plus simple. Je comprends mieux maintenant les malades qui ne pouvaient pas uriner dans le pistolet ou qui ne voulaient pas de bassin et qui réclamaient à aller aux toilettes.


Les questions

 

Les questions que tout le monde se pose dès qu’il vous arrive quelque chose. D’autant plus qu’il s’agit d’un événement grave ou important.

Pourquoi ça me tombe dessus ?

Pourquoi moi ?

Pourquoi maintenant ?

Est-ce que ça a un sens ? Est-ce qu’il y a un message caché ?

Est-ce que c’est Dieu (s’il existe) qui m’envoi ce signe ? Mais pour me dire quoi ?

Est-ce que c’est une punition ? J’ai du faire une chose que je n’aurai pas du. C’est peut être à cause du régime trop strict que j’ai débuté en janvier. Ou un grand coup de fatigue. Ou le stress. Le fameux « burn-out » ou syndrome d’épuisement professionnel. Les hypothèses vont bon train : c’est le sport, c’est le foot avec mon fils, c’est parce que j’ai soulevé une armoire, c’est le travail…

En fait, ça n’a pas de sens. Ca ne veut rien dire. C’est le hasard. La malchance. La poisse. Et quelle poisse.

Maintenant, c’est comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête.

Et si ça recommençait ? Et en pire : hémiplégie complète, AVC massif. A quand la forme la pire le locked-in syndrome décrit dans le livre (et aussi le film) « le Scaphandre et le Papillon » ?

En plus, je connais les mécanismes, les risques, les conséquences. C’est facile d’imaginer le pire. Rien de plus simple. D’ailleurs, il suffit que je regarde autour de moi dans l’unité. La plupart des autres malades ont des atteintes beaucoup plus graves. D’ailleurs, ils doivent se demander ce que je fais dans ce secteur. Je n’ai pas du tout l’air d’être malade : je peux me déplacer tout seul, je peux manger, me laver, aller aux toilettes. Je n’ai rien à faire ici. C’est une erreur. Un mauvais rêve. Un cauchemar. Je vais bientôt me réveiller.

Aucun facteur de risque. Pas de tabac, pas d’hypertension, pas de diabète. Il y a juste le cholestérol qui est limite. J’ai même repris le sport depuis trois ans et je suis au régime depuis plusieurs mois. Comme dit mon frère, j’aurais mieux fait de fumer, au moins on aurait su d’où ça venait !

Tout ça le jour de ma première manifestation. J’aurais pas du râler contre Bachelot et Sarkozy. Il est vraiment tout puissant. Il a même réussi à me refiler un AVC. J’ai compris le message : maintenant, plus jamais de manifestation.


Malade

 

J’ai du mal à me voir en tant que malade. Je reste un médecin avant tout et j’ai l’impression de jouer au malade. Comme si c’était un rôle, que j’étais un simulateur. Un faux malade parmi tous les vrais malades qui sont autour de moi.

Je suis déguisé en malade avec mon uniforme de l’hôpital jaune ou bleu selon les jours. Il faut bien que je joue mon rôle.


Première nuit à l’hôpital

 

L’extinction des feux se fait à 21h00 après le passage de l’infirmier (TA, température et glycémie au doigt). On me prévient que je serai réveillé à 2 heures du matin.

En fait, je suis réveillé avant par le médecin de garde qui tient absolument à m’examiner. Ensuite, je suis réveillé sans arrêt par le scope qui sonne pour un oui pour un non dès que je bouge dans le lit. D’autre part, je n’arrête pas de glisser vers les pieds du lit.

Réveil à 6h00, d’abord par l’équipe de nettoyage puis par l’infirmière : TA, température glycémie avec piqûre du doigt.

Il faut signaler que toutes les personnes qui entrent dans la chambre frappent à la porte et se présentent. A chaque fois, on me demande si j’ai mal. On surveille le pouls, la tension, la température et les glycémies. Durant les 24 premières heures, j’ai eu droit à plusieurs examens neurologiques par les médecins et les soignants. On me fait tendre les mains, écarter les doigts, écarter les bras, toucher mon nez avec l’index, soulever les jambes, pousser avec les pieds…


Deuxième jour

(Jeudi 30 avril)

 

Je me lève à 8h00. Je me rase et me brosse les dents. On me donne l’autorisation de prendre une douche. Quel plaisir, même si la douche commune n’est pas très pratique. Le petit déjeuner est à 9h00 : café, tartines beurre-confiture.


J’appelle le service pour leur signaler que je suis hospitalisé pour une durée indéterminée. Il faut annuler mes rendez-vous et mes consultations de la semaine suivante. En plus, le 4 mai, c’est le changement d’interne (tous les 6 mois les internes changent de service, en mai et en novembre, et ce dans toute la France). Il faudra qu’ils s’organisent sans moi. J’appelle aussi mon chef de pôle pour le tenir informé de la situation.

Mon collègue me rappelle au moment de notre réunion de service pour me tenir au courant de ce qui se passe.

Le médecin qui m’a fait hospitaliser passe me dire bonjour, me dit qu’il a vu mon IRM et me confirme bien sûr qu’il faut faire des examens plus poussés. Je ne vois pas d’autre médecin de la matinée.

Le service à l’air calme. J’ai l’impression que la plupart des autres malades sont plus graves que moi avec des atteintes plus sévères et ne peuvent pas bouger de leur lit.

Vers 11h00, on me prévient que je vais avoir l’ETO à 13h30 et que je dois rester à jeun. Normalement, il faut être à jeun et ne pas avoir mangé depuis moins de 6 heures.

La veille, j’ai appelé le chef de service de cardiologie avec qui je coordonne (avec d’autres collègues) un enseignement de pathologie cardio-vasculaire du sujet âgé et avec lequel on a dirigé à 8 un volumineux traité sur le même sujet chez Flammarion. Je lui explique ma situation et l’informe que je ne pourrai pas m’occuper comme c’était prévu de l’enseignement la semaine suivante. Je l’informe également qu’il faut que je passe une ETO, ce qui a sûrement fait accélérer les choses.

Depuis mon arrivée, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’hommes au niveau des soignants dans cette unité, contrairement à la gériatrie où souvent il y en aurait bien besoin. Par la suite, les autres jours, il n’y en aura pas autant. Par contre le nombre de soignants est très impressionnant. Ils ont l’air calme, détendus. Ils sont souriants. Même s’il doit y avoir des périodes de stress, globalement l’unité semble un havre de paix par rapport à ce qui se passe en gériatrie. Il y a bien quelques cris, mais personne ne déambule ou fait n’importe quoi dans les chambres ou les couloirs comme c’est le cas dans mon unité Alzheimer. Quand quelqu’un nettoie le sol, il peut être sûr qu’il restera propre jusqu’au lendemain… Une odeur de propre, de désinfectant règne d’ailleurs dans tout le service (rapidement, on n’y fait plus attention). A chaque intervention (soin, toilette, repas…), un coup de désinfectant est passé sur toutes les surfaces.

Très vite, j’ai les bras comme des passoires : prises de sang à répétition, perfusion pour l’IRM, perfusion pour l’ETO, série d’hémocultures… Bien sûr, j’ai déjà eu des prises de sang pour des bilans de routine. A chaque fois, c’était des infirmières. Avec les infirmiers, c’est différent : les hommes serrent le garrot de toutes leurs forces et on a l’impression qu’ils vont vous sectionner le bras.


Dehors il fait beau, ça va être un beau week-end du 1er mai. La fenêtre fait au moins 2m30 de haut, mais on ne peut ouvrir qu’un petit vasistas. Pour le bas, il faut une poignée spéciale. Les soignants on ouvert la fenêtre, et je profite du beau temps.

Les malades entrent, sortent. Etant confiné dans ma chambre, je ne les identifie pas très bien. Je ne sors que pour aller aux toilettes où à la salle de bain. Je passe juste devant 3 chambres.

Il a dû y avoir probablement plusieurs décès pendant mon séjour, et certaines nuits ont été très agitées.

Après m’avoir mis une perfusion pour l’examen, on vient me chercher vers 13h15. Toujours en lit. Direction le moins deux et les sous-sols de l’hôpital. Apparemment, tous les bâtiments sont reliés par des galeries souterraines. La cardiologie se situe à l’autre bout de l’hôpital : ça fait un sacré boulot pour les brancardiers. Un artiste peintre a décoré les murs du sous-sol de grandes fresques représentant des bateaux de croisières style années 30. Avec par-ci par-là des hublots, des mouettes… c’est le grand voyage vers l’inconnu.

Les couloirs sont déserts. On arrive dans le bâtiment où se trouve la cardiologie, c’est aussi celui des urgences et il y a tout de suite beaucoup plus de monde. Direction le septième (ciel ?).

 

Brancardage

 

Je suis très impressionné par le service du brancardage. Il fonctionne impeccable. Les brancardiers sont à l’heure, ils sont souriants. Ils transportent avec gentillesse. Ils n’ont pas l’air de se plaindre. Ils viennent vous rechercher dans les délais. Que demander de plus ? Rien à voir avec le brancardage de mon hôpital.

 

 

L’échographie trans-oesophagienne

 

Je vais vite découvrir que l’examen que je dois passer n’est pas une partie de plaisir. Je m’en doutais un peu.

On me laisse dans le couloir devant la salle d’examen. Visiblement, il y a déjà quelqu’un en train de le subir. J’entends des bruits de gorge et des crises de toux. Apparemment ça ne se passe pas bien et le malade n’y arrive pas. Je vais attendre une heure et demi qu’on arrive à lui faire cet examen. Plus tard, un infirmier de neurologie m’expliquera que s’ils envoient beaucoup de malades faire cet examen important, peu nombreux sont ceux qui arrivent à le supporter.

L’infirmière vient enfin me voir et m’emmène dans une autre pièce pour me préparer. Comme il faudra avaler un très gros tuyau, il faut anesthésier l’arrière-gorge pour empêcher le réflexe nauséeux qui peut entraîner des vomissements. Il faut donc faire des gargarismes avec un produit anesthésiant, la xylocaïne. D’abord en gel, puis en spray. C’est déjà une première étape à passer pour ceux qui ne savent pas faire les gargarismes.

Je m’applique et pendant 15 minutes je fais des glouglous incessants. Je sens progressivement que ma bouche et mes lèvres deviennent toutes pâteuses et bientôt sont totalement anesthésiées. Ca marche si bien que je me mets à tousser en avalant le produit de travers. Puis j’attends encore, tout seul dans cette petite pièce.

L’infirmière revient pour me conduire enfin dans la salle d’examen. Le médecin, que je connais, m’explique qu’on va m’injecter un peu de Primpéran contre les vomissements et de l’Hypnovel (un puissant amnésiant) pour faciliter l’examen car c’est plus difficile chez le sujet jeune (encore merci pour le jeune) ! Du coup, je n’ai plus aucun souvenir du début de l’examen ni de comment j’ai avalé le tuyau. Mais quand je me réveille, l’examen n’est pas terminé et j’ai encore la sonde dans la gorge. Et là, c’est vraiment atroce. On m’a bien expliqué qu’il ne fallait pas paniquer, qu’il fallait rester calme et contrôler sa respiration, mais je n’ai qu’une seule idée en tête : arracher ce foutu tuyau qui n’arrête pas de bouger au fond de ma gorge ! La fin de l’examen est vraiment très pénible. En plus, j’aurais mal à la gorge et du mal à avaler pendant deux jours.

Le médecin et le chef de service regardent les images de l’écho-doppler et me confirment qu’il n’y a rien de particulier sur le cœur, ni sur l’aorte en dehors d’une petite insuffisance aortique sans conséquence. De mon coté, j’espère que je n’aurai plus jamais à repasser cet examen ou alors entièrement sous Hypnovel.

Un brancardier revient me chercher. Il attend que les cardiologues aient fini et me ramène à ma chambre. Il est 16h30. Ma femme m’attend depuis deux heures et demie.


Deuxième jour

(suite)

 

A mon retour de l’ETO, l’interne me confirme que tout est normal. Il me propose maintenant une ponction lombaire ! Je peux l’avoir tout de suite ou attendre le lendemain matin, 1er mai.

Au point où j’en suis, autant la faire dans la foulée. Comme ça, j’aurais fait tous les pires examens d’un seul coup.

On m’installe pour la PL. J’ai déjà pratiqué cet examen très souvent, mais c’est la première fois que je vais en bénéficier… Comme c’est la fin du semestre pour l’interne, je peux espérer qu’il y arrive sans trop de difficultés.

Il se lance. « Attention, je pique ! » Je ressens une douleur qui irradie dans la jambe droite. Il trifouille un peu, ce qui me fait mal. Aucun liquide ne sort. Raté. Il doit recommencer. Cette fois-ci, il va essayer de piquer dans l’espace au-dessus. Nouvelle douleur. Mais cette fois, c’est la bonne, il y a du liquide. Apparemment, le liquide céphalo-rachidien (LCR) ne s’écoule pas beaucoup parce qu’il me demande de tousser. Il arrive quand même à remplir tous les tubes nécessaires et peut retirer l’aiguille.

Après l’ETO, la ponction lombaire, finalement, ce n’est pas si terrible que ça. J’espère en tout cas que je n’aurai pas de syndrome post-PL : nausées, vomissements et maux de têtes importants.

En attendant, je dois rester allonger sur le dos, bien à plat.

Ma femme est restée pendant l’examen. Puis j’ai la visite de ma mère et plus tard de mon frère qui me fait remarquer que ça ne me réussi pas de faire du régime, du sport et de ne pas fumer. Au moins, si je fumais, ce serait plus facile de savoir d’où ça vient. Effectivement, pour les fumeurs, tout est plus simple.

Repas à 19 heures. Quelques coups de téléphone et des SMS. Extinction des lumières à 21 heures.

La nuit sera meilleure.


Télévision et téléphone

 

Il y a une télévision dans la chambre. Pendant les 48 premières heures, personne ne m’en parle. Puis on fini par me la proposer. Mais après tout, pourquoi ne pas s’en passer pendant quelques jours ? Je suppose que l’organisme privé qui gère les TV est le même que celui qui s’en occupe dans mon hôpital. Des voleurs. Ils s’occupent à la fois des TV et des téléphones. Pendant des années, ils avaient mis des téléphones en 08 avec un numéro surtaxé. Un scandale qui a été très peu dénoncé. A l’hôpital, le téléphone devrait être dans toutes les chambres avec au moins la possibilité d’être appelé gratuitement. Ici, de toute façon, il n’y a pas de téléphone. Pour les TV, c’est pareil, les prix sont prohibitifs. De plus, c’est toujours compliqué d’avoir quelqu’un qui s’en occupe lorsqu’il y a un problème. Par contre, dès qu’il n’y a plus d’argent la télé est tout de suite coupée. Là encore, après tout, la TV devrait être gratuite dans toutes les chambres au moins pour les chaînes de la TNT. En plus, aujourd’hui avec tous les systèmes de box, il doit y avoir moyen de faire.

Heureusement qu’il y a les portables. Ils sont autorisés. Ca me permet de rester en contact avec ma femme, mes enfants et toute ma famille, ainsi qu’avec le travail et les collègues. De plus les nouveaux appareils ont pleins de fonctions. On peut faire des photos et je peux faire un reportage sur ma chambre vue du lit ! On peut écouter de la musique ou la radio. Je peux avoir des informations de l’extérieur. Et puis il y a les SMS.

 


Vendredi 1er mai

 

Le premier mai : infirmière à 6 heures, ménage de la chambre à 8 heures, de 8 heures à 9 heures : toilette, rasage, douche…

Le pont du premier mai, c’est 3 jours sans aucun examen et sans voir presque personne au niveau médical. J’espère que je serai sorti avant le pont du 8 mai… En plus, il y a le changement d’interne le 4 mai, pourvu qu’ils ne reprennent pas tout à zéro !

Les jours fériés et le dimanche, c’est croissant au petit déjeuner (pour combien de temps encore avec les plans d’économie qui se suivent ? Il y en a bien un qui va avoir l’idée de faire des économies là-dessus). Du coup, j’essaye le chocolat pour changer.

Le premier mai, pas de muguet. Mais j’ai vu que la grand-mère de la chambre d’à coté en avait sur sa table. Ca me fait penser que dans mon hôpital on fait des économies sur le muguet ! C’est ça l’hôpital-entreprise. Avant, chaque malade avait son brin de muguet. Maintenant, ce sera une composition collective pour la salle à manger et uniquement en soins de longue durée. Pourtant, si on calcul que le brin de muguet est à 2 euros et qu’il y a 400 malades dans le pôle, ça fait 800 euros. Est-ce que c’est ça qui coule l’hôpital ? Dans la même logique, on a supprimé les fleurs pour la fête des mères… On a aussi commencé à diminuer le nombre de sapins de Noël !

Dès que je bouge ou que je reste au fauteuil, j’ai mal à la tête. Je suis plus fatigué qu’à mon arrivée. En plus je dors mal avec le scope qui sonne toute la nuit pour un oui, pour un non dès qu’il y a le moindre problème d’électrode. Plus ça dure, plus je suis crevé.

Une certaine routine s’installe très vite et on perd facilement la notion du temps. Le 2 mai, je me rends compte que je n’ai pas changé la date sur ma montre et qu’elle indique toujours le 1er mai. Ces trois jours sont assez confus, et ma prise de notes est très embrouillée. J’aurais du mal à retrouver la chronologie et à les retranscrire.

Comme je reste beaucoup couché, on a oublié quelque chose de très utile : des pantoufles.


L’orthophoniste

 

Comme je suis droitier et que l’accident concerne mon coté gauche, je n’ai pas de problème de langage. Mais j’ai quand même un problème d’élocution en rapport avec les lèvres, la langue et la paralysie d’une corde vocale.

Le 2 mai à 18h45 passe l’orthophoniste. Elle fait un bilan succinct : compter de 1 à 10 ; désigner sur des images une tomate, un ballon, une voiture ; répéter une phrase ; répondre à une consigne complexe ; dénommer des clefs et une branche de lunettes.

Une fois l’examen terminé, elle me prodigue quelques conseils de rééducation pour ma paralysie faciale gauche :

« Mettez-vous du rouge à lèvres et embrassez une feuille de papier jusqu’à obtenir un baiser parfait.»

« Faites des a, des e, des i, des v et des u, d’abord centrés puis à droite et à gauche en vous regardant dans un miroir. Il faut petit à petit obtenir la même chose des deux côtés. »

« Vous pouvez aussi vous prendre en photo en train de sourire pour rétablir la symétrie. A suivre de jour en jour ou de semaine en semaine. »

«Pour les cordes vocales, il faut faire des a prolongés le plus longtemps possible. Vous pouvez vous chronométrer et essayer de tenir une seconde de plus chaque jour. »

La rééducation par le baiser, ça me plait bien. Un peu de poésie dans cet univers hostile.

 

Connexion

 

Dès mon arrivée dans le service, j’avais posé à l’interne et à la chef de clinique une question idiote et sans rapport avec mon problème de santé : « est-ce qu’il y a du wifi ? » Visiblement, personne n’avait jamais posé la question. Pour moi c’est important d’être connecté. Beaucoup plus que la télé.

Très vite, on m’a amené mon ordinateur portable. Ma femme a acheté une clef 3G dès le 1er mai pour que je puisse me connecter à Internet (pour l’instant, à l’hôpital public il n’y a toujours pas de wifi gratuit pour les malades). La clef 3G est très facile d’utilisation. Et donc, très rapidement j’ai pu regarder mes emails professionnels et ainsi continuer mon activité… On ne se refait pas.

Dans ma boite mail, il y a un courrier du directeur financier, daté du jour de mon hospitalisation, qui signale que nous avons trop de lits vides dans le pôle et que si cela continue il va nous enlever du personnel.

Comme toujours, les économies se font essentiellement sur le personnel qui représente 70% du budget de l’hôpital.

Dans la nouvelle loi HPST il est prévu un regroupement des hôpitaux. A l’APHP, ce regroupent est déjà programmé : l’hôpital où je travaille doit être regroupé avec l’hôpital où je suis hospitalisé. J’ai donc déjà débuté notre future collaboration !

Je discute de ces regroupements avec un aide-soignant qui visiblement n’est pas du tout au courant de ces projets de fusion. Alors que dans mon hôpital (qui est plus petit et qui pense qu’il va être mangé par le plus gros), tout le monde ne parle que de ça.

Comme toujours, l’objectif est économique : regrouper les moyens en supprimant des postes, supprimer les doublons et mutualiser tout ce qui peut l’être. Il n’y a aucun objectif médical à ces regroupements. Et au final, ce sont les malades qui en subiront toutes les conséquences.


Ecrire

 

Que faire durant ces journées et cette attente ? D’un coup, j’ai le déclic. Ma femme m’ayant apporté un petit cahier de brouillon (petit cahier d’essais, 17 x 22 cm de 96 pages grands carreaux, papier velin 60g. Derrière, il y a les tables d’addition, soustraction, multiplication et division) : je vais écrire ce qui m’arrive. Pourquoi ne pas en faire un livre et essayer de le faire éditer ?

Mais qui cela peut-il intéresser ? Et de toute façon je n’ai aucun style. Mon écriture est plate. Mon vocabulaire est pauvre et je mais des « ça » et des « on » partout. Je suis purement descriptif. Aucun intérêt.

Tant pis, je m’y mets quand même. Je me mets alors à écrire, et ça vient tout seul. J’écris des pages et des pages, à toute vitesse. Je ne peux plus m’arrêter. Très vite le petit cahier se couvre de pattes de mouches plus ou moins illisibles.

Est-ce qu’il s’agit d’une réaction liée à ma maladie ? Ou, comme je semble récupérer de mon déficit, est-ce le cerveau qui se remet à travailler et qui a besoin de s’exprimer ? En tout cas, j’écris, j’écris, j’écris. C’est pratiquement impossible à lire tellement ma pensée va plus vite que mon stylo. Ca ne sert probablement à rien, mais je ne peux plus m’arrêter.

J’essaye d’être plus clinique que sentimental. Je ne vais pas parler de ma vie privée, mais de ma vie en tant que malade analysée par le médecin que je suis.

Dans la nuit, je suis réveillé à 3 heures du matin (probablement parce qu’il y a de l’animation dans le service, certains malades allant très mal) et je me remets à écrire des pages et des pages dans ma tête jusqu’à 8 heures du matin en me disant qu’il faudra que je m’en souvienne.

Est-ce que le sens de cet accident neurologique est de me faire découvrir l’écriture ? Il est probable que toutes ces pages finiront dans un placard ou à la poubelle.


Samedi 2 mai

 

Les enfants viennent me voir. Comme le service est interdit au moins de 15 ans, j’ai l’autorisation de sortir sur le palier en prévenant. Finalement, on descend un peu dehors et je prends l’air pour la première fois depuis 4 jours.

Ma mère passe aussi me voir.

Je vois l’interne et le PH du service.

Dimanche 3 mai

 

J’ai des maux de tête dès le réveil. Je ne suis pas bien, j’ai des suées, des nausées. Impossible de manger. Dans la matinée, je fais un malaise.

L’interne de garde me parle d’une artériographie pour le lundi. Le PH, me dit lui qu’il préfère faire un holter ECG avant l’artériographie qui est un examen invasif qui présente 5% de complications même avec une équipe bien entraînée. Ce n’est pas très rassurant !

Je dois aussi avoir un doppler cervical. On m’en a parlé dès le jeudi soir. Je devais l’avoir pendant le week-end et pour l’instant, toujours rien.

Le soir, au moment d’éteindre la lumière, l’infirmière m’amène un pyjama en papier, des rasoirs et des flacons de Bétadine. Elle m’explique qu’il faut me préparer pour l’artériographie qui doit avoir lieu le lendemain matin. Il faut que je prenne une douche bétadinée et que je sois rasé au niveau du pubis.

Je lui propose de se renseigner car le PH m’avait dit qu’il voulait attendre pour faire cet examen. Elle est d’accord pour voir ça avec le médecin et elle me tient au courant.

Je commence à dormir en attendant. Plus tard elle revient me dire qu’effectivement l’examen a été reporté.

 

Maux de tête

 

Avec les maux de tête, impossible de se concentrer ou d’avoir une activité soutenue. Je me réfugie dans le sommeil.

« Est-ce que vous avez mal ? » Pas d’échelle visuelle analogique (EVA la petite règle pour évaluer la douleur), ni même d’échelle verbale simple : « de 1 à 10, à combien estimez-vous votre douleur ? » Finalement, quand on souffre, c’est très difficile à évaluer. Je l’ai estimé, pour moi-même, à 3 sur 10. Mais c’est une douleur permanente, continue, qui ne veut pas s’arrêter. Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais eu de douleur extrême, intolérable. Même lors de mes deux crises de colique néphrétique je n’aurais pas coté à plus de 3. Finalement, ce qui est difficile, ce n’est pas tant l’intensité de la douleur que sa persistance. Qu’on n’arrive pas à s’en débarrasser.

Au début je me suis dit que ça aller passer tout seul. Mais j’ai fini par demander des antalgiques. Probablement que j’aurais dû le faire plus tôt.

 


Lundi 4 mai

 

 Encore une journée de perdue. Aucun examen. Ca commence à faire long. A tous les coups, je serai encore là pour le week-end du 8 mai.

A part les IDE qui font leurs tours systématiques et les aides-soignantes, ainsi que les agents chargés du nettoyage, je ne vois pas grand monde. Difficile de voir un médecin et de savoir où j’en suis exactement et ce qui va être fait. Même pour un médecin malade c’est difficile d’avoir des informations, alors quand on n’est pas médecin…

Au bout d’un moment, passé le choc des premiers jours, le temps semble long. On reste des heures à ne rien faire, à attendre. Je dors beaucoup.

Par moment, j’ai l’impression qu’on ressent des vibrations dans le service. Comme si ça provenait de l’IRM qui est juste en dessous. Est-ce que c’est possible ?

 

Iatrogénie

 

Les maux de tête sont quotidiens et de plus en plus insupportables. Est-ce que ça ne viendrait pas d’un médicament qu’on me donne contre le cholestérol ? Je n’y avais pas pensé, mais c’est ma femme qui a vérifié sur Internet : cela arrive dans 10% des cas. Il faudrait peut être en changer ?

Pourtant, lorsque je m’occupe de mes patients, j’évoque toujours la possibilité de la iatrogénie en premier, et c’est ce que j’enseigne à mes étudiants. Comme quoi, il faut toujours appliquer les mêmes règles, même à soi-même. Toujours suspecter le médicament en premier.


Couleurs

 

L’unité neuro-vasculaire est peinte en violet. Tout est violet, les portes (plus foncées) et les murs (plus clairs). Le revêtement des sols est bleu. Dans les chambres, le fauteuil et les deux chaises sont également bleu-violet. Le reste du mobilier est beige. Ce violet (un peu « faire-part » de décès) ne me choque pas.

D’ailleurs, à l’hôpital je suis habitué aux codes couleurs de l’APHP: secteur bleu, secteur orange, secteur violet… C’est exactement le même violet.

Certains de mes visiteurs n’aiment pas du tout cette couleur qu’ils trouvent de très mauvais goût et qu’ils associent à la mort, au deuil et qu’ils voient comme un signe de mauvais augure.



Urgence

 

Dans le service, il y a des petites affiches sur les AVC. C’est une urgence. Appelez le 15 ou votre médecin.

Je me dis que finalement on n’en entend pas beaucoup parler, que ce soit à la télévision ou à la radio. A part une campagne de temps en temps.

L’information circule mal. Même moi qui suis médecin, je n’ai pas considéré cela comme une urgence et j’ai perdu beaucoup de temps. C’est dire.


Mardi 5 mai

 

Le téléphone n’arrête pas de sonner. Une ancienne interne prend de mes nouvelles, puis mon ancienne chef de service, le chef de cardiologie et plusieurs collègues de travail. J’ai aussi un SMS d’une ancienne surveillante du service.

On doit me faire le holter ECG.


Holter et doppler

 

Cette foi-ci le brancardage se fait en chaise. Ca change. Signe que je vais mieux.

Je remarque que dans les couloirs, les peintures de bateaux ne sont pas toutes joyeuses et que certaines représentent des tempêtes. Un mauvais présage ? Changement d’humeur ? Dépression ?

Je vais de nouveau en cardiologie pour la pose du holter ECG qui va enregistrer mon cœur pendant 24 heures. On me pose sept électrodes.

En cardiologie, ça n’arrête pas : il y a les malades qui viennent pour les holters, ceux pour les ECG, les échographies, les consultations… Je revois le chef de service qui prend quelques minutes pour discuter avec moi.

En attendant le brancardage pour revenir en neurologie, un monsieur s’approche de moi et me demande si je suis bien Mr T. ? Il se présente, c’est le mari de Sophie, une infirmière du service. Elle lui a dit que j’étais hospitalisé et que s’il en avait l’occasion il vienne me saluer. Il travaille justement à la régulation du brancardage et dès qu’il a vu mon nom il en a profité pour venir me voir. C’est très gentil.

Une fois revenu dans le service, on me rebranche le scope, ce qui fait 3 électrodes de plus. Soit 10 électrodes au total, je ressemble à une coccinelle. Heureusement que je ne suis pas allergique.

A mon retour dans la chambre, il y a un prêtre qui m’attend ! Je lui demande si c’est pour l’extrême onction. En fait, c’est l’aumônier de l’hôpital où je travaille et que je connais bien. Il a tenu à venir me voir et il m’a apporté du muguet de son jardin.

Tout à coup, on vient me chercher pour le doppler cervical. Personne ne m’a prévenu. C’est juste au bout du couloir.

L’examen est normal en dehors d’une toute petite plaque sur la sous-clavière et d’un petit kyste thyroïdien à explorer. Evidemment, plus on fait d’examens plus on trouve d’anomalies anatomiques.


Les repas

 

On a toujours tendance à critiquer les repas à l’hôpital. Chaque fois qu’on interroge les malades ou les familles, c’est toujours un des points les plus critiqués. En gériatrie, ça revient à toutes les réunions avec les familles. Ayant été président du CLAN (comité de liaison alimentation nutrition) de mon hôpital pendant plusieurs années, je sais que c’est une question difficile à régler.

En tout cas, pendant toute la durée de mon hospitalisation, personne ne m’a jamais fait choisir mes menus. A part pour le petit déjeuner, pour choisir entre café, chocolat ou thé.

En gériatrie, la plupart du temps on utilise des sortes de grands bavoirs en papier pour les repas. Ce n’est pas très esthétique, mais ça évite au moins aux malades de se salir. Ici les serviettes en papier sont beaucoup trop petites. Ce n’est pas du tout pratique. C’est étonnant pour un service de neurologie où la plupart des patients ont un handicap moteur et sont donc très maladroits pour s’alimenter.

Mon hospitalisation me permet de mieux comprendre les problèmes de dénutrition observés chez les malades âgés. En effet, le problème est moins la qualité des repas que le nombre de repas sautés pour une raison ou pour une autre. A l’arrivée, si vous n’êtes pas enregistré, pas de repas. Ensuite, de nombreux examens se font à jeun. Pour peut qu’ils soient reportés plusieurs jours de suite… Enfin, si on ne se sent pas bien ou qu’on n’arrive pas à manger on peut sauter un ou plusieurs repas.


Voici donc quelques uns des menus que j’ai conservés :

-dîner : potage, steak haché de veau, endives braisées (immangeable), fromage, kiwi ;

-déjeuner : œuf dur, salade, poulet rôti, poêlée forestière, comté, tarte aux pommes ;

-dîner : potage, tarte au fromage (pizza), courgettes à la provençale, yaourt, banane ;

-déjeuner : poireaux, rôti de veau sauce chasseur, riz cantonnais (heureusement que c’est écrit), faisselle, poire (verte) ;

-dîner : potage, steak haché sauce tomate, haricots beurre, fromage blanc, orange ;

-déjeuner : concombre, cordon bleu de dinde (le plat préféré de mon fils), choux fleur, yaourt, pomme ;

-dîner : potage, jambon en sauce, carottes, brie, kiwi ;

-déjeuner : champignons à la grecque, bœuf bourguignon, nouilles, tome, poire (toujours verte) ;

-dîner : potage, colin, julienne de légumes, crème caramel, compote ;

-déjeuner : charcuterie, gigot à la moutarde, haricots verts, morbier, orange.

Comme on peut le voir, il y a souvent du potage le soir et une grande variété de fromages. Globalement c’est très diversifié et très mangeable, mis à part quelques plats dont les endives et des fruits souvent pas mûrs.




Mercredi 6 mai

 

Une semaine, ça commence à faire long. Pour l’instant, je n’ai aucune visibilité sur ce qui m’attend. Artériographie ou pas ? Sortie ou pas ? Est-ce que je reste en unité de soins intensifs ou pas ? Un coup oui, un coup non. Finalement je reste.

Maintenant, il faut que je recueille mes urines pendant 24 heures à la recherche d’une protéinurie. Pourquoi ? Mystère.

Dans une autre chambre, il y a un malade qui geint en permanence. Je ne sais pas ce qu’il a comme antalgiques, mais ça n’a pas l’air de marcher. Ca dure pendant des heures. « Aie, aie aie, aie, aie, aie, aie… ».

Finalement, au bout d’une semaine je me dis qu’il n’y a pas autant d’hommes que ça dans ce service. C’était une impression des premiers jours. Certainement une équipe plus masculine que les autres.

Mon père est venu me voir du sud de la France. Je lui avais dit que cela n’était pas nécessaire, mais il a quand même tenu à venir. On sort du service et du bâtiment et on fait le tour de l’hôpital. Le grand réservoir est fermé (1733 ?). Sur l’héliport, un hélicoptère est prêt à repartir. On attend son décollage.

Je salue un collègue qui ne me reconnaît pas. Il faut dire que je suis toujours déguisé en malade. Je suis en pyjama. J’aperçois un autre médecin que je connais. Il ne me voit pas, comme si j’étais invisible. Nous ne sommes pas du même coté du miroir.


Les nuits

 

Première nuit : mauvaise, le scope n’arrête pas de sonner.

Deuxième nuit : bonne.

Troisième nuit : correcte.

Quatrième nuit : mauvaise. De nouveau, le scope n’arrête pas de sonner.

Cinquième nuit : moyenne.

Jeudi 7 mai

 

Le matin, l’infirmière me donne un nouveau médicament. Un IEC (inhibiteur de l’enzyme de conversion). Un traitement contre l’hypertension. Personne ne m’a prévenu ni informé de ce changement. De même, personne ne m’a parlé de ma sortie qui semble pourtant prévue dans l’après-midi !

Finalement, pas d’artériographie : trop invasif, il n’y a pas assez d’arguments. Traitement médicamenteux uniquement : aspirine, IEC, hypocholestérolémiant. Discuter diurétique. Rendez-vous dans 3 mois avec un nouvel holter ECG.

15h15 : c’est la sortie.

 

Sortie

 

En repensant à ma situation, je me dis que ça aurait pu être pire… bien pire. Je pense bien sûr au livre « le scaphandre et le papillon » dont j’ai déjà parlé. Mais je sais maintenant que pour moi cette menace existe vraiment. Désormais, chaque fois que je vais me mordre la langue, je vais penser que ça recommence, que je fais un nouvel AVC.

Il ne me reste que la paralysie faciale. Partie inférieure du visage, à gauche. Je ne peux pas sourire. Ce n’est pas bien grave vu que je ne souris jamais.

J’essaye de faire bouger la partie gauche de mon visage en me regardant dans une glace et effectivement il ne se passe rien. J’ai beau faire des efforts, rien ne bouge. A surveiller.

 


Deux mois plus tard

 

Après en avoir discuté avec le cardiologue de mon service, celui-ci me refait un holter ECG. Son matériel est ancien, et l’enregistrement ne sera pas complet. Mais il montre quand même un « lambeau » de fibrillation auriculaire (FA) ! Est-ce la cause de mon AVC ? Dans le doute, un nouveau médicament est ajouté, de la Flécaïne. Bien sûr, je devrais prendre ces médicaments pendant tout le reste de ma vie.

J’ai finalement annulé le rendez-vous à 3 mois et j’ai pris un rendez-vous à 1 an. Ce sera une simple consultation pour me dire que si tout va bien on continue le même traitement.

Tout le bilan aura été négatif en dehors de ce petit passage  en FA sur un holter de mauvaise qualité…

 


Septembre 2010

 

Tous les jours, les médecins se battent contre la maladie et la mort. Tous les jours, Ils recommencent cet éternel combat tel Sisyphe remontant son rocher.

Pourtant, jamais (ou très rarement) ils ne se posent la question de leur propre mort ou celle d’être malade. Bien sûr dans certaines spécialités il y a un risque plus visible comme dans les services de maladies infectieuses par exemple. Mais en général, lorsqu’un médecin tombe malade, c’est une découverte, un choc, quelque chose d’incompréhensible. Comme si le fait d’être médecin vous protégeait automatiquement de la maladie.

Certains vont faire un AVC, d’autres un mélanome, d’autres une sclérose en plaque… Devant des difficultés à marcher on va découvrir des métastases cérébrales d’un cancer pulmonaire… La dépression, les suicides, l’alcoolisme sont fréquents.

La maladie est partout, tout le temps et personne n’y échappe, même pas les médecins.

Elle frappe sans sommation.

 


Septembre 2011

 

Pour l’instant, ça va. On ne peut pas en dire autant de l’hôpital public en France…

 

 

Septembre 2012

 

Chaque fois que mon pied bute, que je me mords la langue ou que je lâche un objet, je me dis que ça recommence.



Remerciements et conflits d’intérêts

 

A l’équipe soignante et aux médecins du service de neurologie de l’hôpital B.

Aux cardiologues de l’hôpital B.

A tous ceux qui m’ont soutenu.

Remerciements à Dell, Orange, Samsung, Conquérant, Inexium, Aspegic, Lovénox, Hypnovel, Xylocaïne, Primpéran, Triatec, Iain Levison, Gavalda, Tardi, Marianne, Télérama, Télé Loisirs, Elle, Le Nouvel Observateur.

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