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Camille Loiseau








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Conseils de lecture
Ces articles sont parus dans la revue NPG

Dans cette rubrique, nous vous proposerons régulièrement une sélection d’ouvrages littéraires (romans, policiers, essais, récits biographiques, bandes dessinées…), dont la publication n’est pas forcément récente, mais qui ont tous un rapport avec la médecine. A chacun d’y puiser selon ses centres d’intérêts.


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Conseil numéro 13 : Saga médicale
Conseil numéro 14 : Neurologie
Conseil numéro 15 : La peste
Conseil numéro 16 : Ecrivains-Médecins
Conseil numéro 17 : Gynécologie  
Conseil numéro 18 : Livres pour comprendre 


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Conseil numéro 18 [retour haut de page]

Nous allons aborder cette fois-ci le thème des « livres pour comprendre » à travers un petit éditeur qui fait des ouvrages à thème pour expliquer une maladie. Ces nouvelles ou histoires courtes sont adaptées à trois publics différents : adultes, juniors et enfants. Nous avons choisi un livre de chaque catégorie, avec comme sujets l’HTA pour les adultes, la SLA pour les juniors (dernier titre paru) et la BPCO pour les enfants. Ces  livres sont faits avec l’aide de médecins spécialistes, des associations de malades et aussi pour certains, de l’industrie pharmaceutique.

 

 

Stéfanie Nicolas

Histoires de cœur

Edition K’Noë

Cet ouvrage a été réalisé avec le soutien du laboratoire Novartis, et les conseils du Professeur Xavier Girerd. Il est destiné aux adultes chez qui ont vient de diagnostiquer une hypertension artérielle et à qui on explique les règles hygiéno-diététiques pour la faire baisser. Il est aussi destiné à sensibiliser le grand public à ce fléau du XXIème siècle qui touche près de 14 millions de personnes en France. Seuls 8 millions ont un traitement et 4 millions une tension bien contrôlée !

Le livre retrace l’histoire de Justine une adolescente de 14 ans et de son grand-père Louis, un jeune retraité à qui on vient de découvrir une hypertension artérielle. Tous les deux sont plutôt « bon vivants » et aiment bien les plaisirs de la table. L’histoire aborde à la fois l’HTA, mais aussi les problèmes de surcharge pondérale des adolescents, avec finalement une prise en charge identique : hygiène alimentaire et exercice physique. Pendant tout un été, Justine et son grand-père, sous divers prétextes, vont faire de la marche et manger de façon plus saine, chacun croyant qu’il fait ça pour aider l’autre. Au final, les deux vont en tirer le plus grand bénéfice.

La deuxième partie du livre présente un guide pratique sous forme de questions-réponses sur l’hypertension artérielle (définitions, causes conséquences, facteurs de risque…), et surtout, 3 témoignages de patients hypertendus : Nicolas (56 ans), Estelle (54 ans) et Didier (64 ans).

Extrait :

« -Pourquoi tu ne fais pas médecine ?

Justine est étonnée.

-Mais parce que je n’en ai pas envie ! Pourquoi cette question ?

-Tu en sais déjà plus que moi sur l’hypertension !

-Rien à voir ! Etre informé, c’est indispensable pour aider de façon efficace, cela évite de faire n’importe quoi. La prévention, c’est notre affaire à tous ! Pas seulement celle du corps médical ! Si on est certain que la prévention permet de limiter la probabilité qu’une maladie survienne, il reste tout de même difficile de la mettre en place. Ca demande du courage, beaucoup de courage car il faut changer ses habitudes, subir des privations ou encore participer à des activités que l’on n’apprécie pas forcément. Et c’est aidé de son médecin mais aussi de sa famille et de ses amis qu’il est possible de mieux faire. Tu n’es pas d’accord ? »

 

Liliane Messika, Katrine Leverve (illustrations Marie-Noëlle Pichard)

Le film de sa vie

Edition K’Noë

« Le film de sa vie » est un livre fiction écrit pour les enfants dont un parent tombe subitement gravement malade. La Sclérose Latérale Amyotrophique (SLA) est expliquée avec des mots et dessins simples. Il a été réalisé avec le soutien de l’Association pour la recherche sur la Sclérose LatéraleAmyotrophique et autres maladies du motoneurone (ARS), qui le diffuse. L’histoire a été écrite à partir de témoignages d’enfants, âgés de 5 à 22 ans, du Centre de référence pour les maladies neuromusculaires et SLA du CHU de Nice. Ils sont tous cités en début d’ouvrage : Adeline, Clément, Fanny, Hadrien, Ludwig, Manon, Marion, Mehdi, Naomie, Sarah, Vincent et Youri.

La SLA est synonyme de grands bouleversements dans la vie des enfants. Comment leur expliquer la maladie ? Comment répondre à leurs questions ? Comment les préparer aux changements qui s'annoncent ? L’objectif du livre est d’aider les familles à expliquer la situation et les inciter au dialogue face à cette maladie incurable.

Lucas, qui veut devenir cinéaste, passe les vacances chez son grand-père où il essaye de tourner un film avec ses meilleurs amis. C’est là qu’il apprend que sa mère, qui fait des chutes depuis quelques semaines, a une SLA. Aussitôt il rentre chez lui et abandonne son projet de film.

Lucas voit les habitudes quotidiennes de la famille bouleversées du jour au lendemain. Chacun doit s’adapter et trouver de nouveaux repères. Il éprouve un besoin de comprendre ce qui arrive à sa mère, il regarde sur Internet et demande à voir le neurologue. Petit à petit sa vie quotidienne est modifiée en fonction de l’évolution de la maladie de sa mère dont il s’occupe le plus possible. Tous les aspects de cette terrible pathologie sont évoqués, y compris la nutrition entérale et la fin de vie. Finalement Lucas fera son film, à 21 ans, et ce sera un hommage à sa mère.

Quelques pages à la fin de l’ouvrage expliquent ce qu’est la SLA, les différents professionnels impliqués dans sa prise en charge et même le principe de la nutrition entérale.

Extrait :

« C’est au tour de Lucas de s’exciter, mais pas sur le même registre : « Il m’arrive d’en avoir marre de la situation, mais je n’ai jamais eu honte de ma mère. Même lorsqu’il lui arrive de baver parce qu’elle a de la peine à déglutir.

-Ca veut dire quoi ?

-Les troubles de la déglutition sont fréquents dans cette maladie. C’est lié à la difficulté d’avaler. Alors des fois ça passe mal et elle s’étouffe. La première fois c’est impressionnant, après on s’y habitue.

-Mais alors, elle doit avoir du mal à manger, si elle ne peut pas avaler ?

-Oui. Elle mange des aliments adaptés, plus épais. Et puis si ça devient trop difficile pour elle, elle pourra se nourrir grâce à ce qu’on appelle la nutrition entérale.

-Qu’est-ce que c’est ?

-J’ai entendu mon père l’expliquer à mon grand-père. On place un tuyau qui traverse la peau du ventre jusqu’à l’estomac et on y introduit la nourriture et l’eau dont le malade a besoin.

-Je ne savais pas que ça existait. Ce serait pratique pour les fois où ma mère m’oblige à manger des endives ! » »

 

Bruno Duonor (illustrations Jérome Cloup)

Papy branché

Edition K’Noë

Ce livre est destiné aux jeunes enfants de moins de 10  ans pour leur expliquer ce qu’est l’insuffisance respiratoire chronique, ses conséquences et le besoin d’avoir recours à l’oxygénothérapie à domicile. Il a été écrit en collaboration avec la Société de Pneumologie de Langue Française (SPLF) et la Fédération Française des Associations et Amicales de malades, d’Insuffisants ou de handicapés Respiratoires (FFAAIR).

Comme c’est souvent le cas lorsqu’un adulte est malade, la tendance est d’éloigner les enfants pour ne pas les choquer. C’est le thème de cette histoire de 47 pages, en gros caractères avec un dessin  à chaque page. Les dessins sont pleins d’humour, et ont souvent un aspect surréaliste du fait de la présence de petits animaux anthropomorphes. D’autres dessins au contraire expliquent les poumons, la respiration et la machine à oxygène.

C’est donc l’histoire de Justine (8 ans) qui ne comprend pas pourquoi son grand-père ne veut plus la voir, elle et son frère Quentin. Elle décide donc de prendre le train toute seule pour aller lui poser la question. Celui-ci va alors lui expliquer qu’il a besoin d’une machine pour respirer parce que ses poumons sont malades à cause des cigarettes. Les explications de son grand-père vont la rassurer, et finalement, la vie reprend comme avant, mais avec un… papy branché !

Extrait :

« Seule Justine reste à l’écart. Elle fait la tête et quitte, boudeuse, ce petit monde qu’elle juge sans intérêt.

Elle surprend alors ses parents en pleine conversation. Ils parlent de Papylou. Elle tend l’oreille et entend qu’il a une « BPCO » et qu’ensuite il est devenu insuffisant respiratoire.  Aujourd’hui il est sous « oxygénothérapie ».

Elle ne comprend pas du tout ce que veulent dire ces mots compliqués, mais elle apprend par contre que ça le handicape et qu’il ne veut plus voir personne. Justine n’en revient pas, Papylou ne voudrait plus les voir, ni elle, ni Quentin ?

-Tu sais ma chérie, dit Papa, j’ai peur que les enfants soient impressionnés par l’appareillage qui lui permet de respirer !

-Je te comprends, dit Maman, c’est vrai que ça fait bizarre la première fois, même pour moi ! Alors pour les enfants…

Justine n’en peut plus de toutes ces questions qui lui trottent dans la tête. Papylou ne voudrait plus les voir parce qu’il est sous « oxygène au tapis » ? Et c’est quoi d’abord l’oxygène et cette histoire de tapis ? Elle n’y comprend décidément rien. »

 

Voici une liste des autres maladies déjà abordées par les éditions K-Noë (www.k-noe.fr) : pour les enfants : Hépatite C, cancer, Sclérose en plaque, dépression ; pour les juniors : arthrite juvénile idiopathique, déficience en hormone de croissance, phénylcétonurie ; pour les adultes : herpès, hépatite C, insuffisance rénale, hémophilie, myélome multiple, polyarthrite rhumatoïde, dépression, mucoviscidose, diabète de type 2, épilepsie, spondylarthrite ankylosante. On ne peut qu’inciter l’éditeur à compléter sa collection pour les enfants avec un titre sur la maladie d’Alzheimer, et un sur la maladie de Parkinson.



Conseil numéro 17 [retour haut de page]

Nous allons aborder cette fois-ci le thème de la « gynécologie » à travers un roman policier français de Sylvie Jema (Prix du Quai des Orfèvres 2004) et un livre de plus de 700 pages du grand romancier américain John Irving (né en 1942), l’auteur entre autre du célèbre « Le Monde selon Garp » (1978).

 

 

Les sarments d’Hippocrate

Sylvie M. Jema

Editions Fayard, 6,90 eurosUne autre saga médicale française, "Le serment d'Hippocrate" de Noëlle Loriot au Livre de Poche. L'histoire d'une famille de médecins sur deux générations de 1940 à nos jours. Deux périodes sont particuliérement développées


Le prix du Quai des Orfèvres est un prix littéraire français, décerné depuis 1946 par un jury composé de policiers et magistrats qui jugent des manuscrits anonymes. Il est présidé par le Directeur de la Police judiciaire, dont le siège est 36, quai des Orfèvres à Paris, et c’est le Préfet de police qui déclare chaque année le nom du lauréat, fin novembre. L'œuvre primée est ensuite éditée par un éditeur (Fayard depuis 1966) qui lui assure un tirage minimal de 50 000 exemplaires.

Cyprien Desseauve est le patron du service de gynécologie-obstétrique dans un CHU de province. Il a une femme, Geneviève, et six enfants, sa préférée étant Clara.
C'est un homme brillant, sûr de lui et de sa réussite. Il est fat et égoïste.
Il collectionne les aventures, et pense que sa femme s'en accommode. C’est aussi une grande figure de la politique locale. Il ne s'est donc pas fait que des amis.

Depuis deux mois, il reçoit des lettres anonymes de plus en plus menaçantes. La personne qui lui écrit assure qu'elle s'en prendra à sa famille. Cyprien décide d'avertir la police. Il fait appel au lieutenant Stéphane Brandoni, la soeur de Cécile Brandoni, médecin dans le service où travaille Cyprien.

En même temps, Desseauve veut mettre un terme à sa liaison avec Bénédicte Krügel, sa secrétaire qui vient de lui annoncer qu'elle était enceinte. Lors d'un ultime entretien, il lui annonce qu'elle devra désormais vivre sans lui. Quelques heures plus tard elle est retrouvée morte dans les archives du service. S'agit-il d'un crime, d'un suicide ou d'une mort naturelle ? Marc Krügel, le mari de la victime, est effondré et promet de se venger.

C’est justement le lieutenant Brandoni, aidée par le capitaine Pujol de Ronsac, qui est chargée de l’enquête. Une semaine après la découverte de ce premier cadavre, on retrouve le corps du professeur Desseauve gisant dans son bureau. Il porte des traces de coups à la tête : il a été assommé par une statuette qui se trouvait sur sa table.  Les deux policiers enquêtent chez les notables de cette bourgeoisie de province. Les intrigues du passé et du présent se mélangent. Les erreurs d’hier expliquent les meurtres actuels.

Le début du roman est très réaliste, avec de nombreuses descriptions sur le fonctionnement du milieu hospitalier : les études médicales, les consultations, la salle de garde... Pour les lecteurs non médecins ou soignants, c’est un voyage dans le milieu hospitalier : aides-soignantes, brancardiers, sages-femmes, médecins, infirmières et patientes surgissent à tout bout de champ. Mais très vite, l'histoire tourne autour de 4-5 personnages tout à fait grotesques et stéréotypés. L’explication finale est digne des romans à succès du XIXème siècle. L’intérêt de ce livre repose surtout sur son coté médical, le style étant relativement absent, et le récit de l'enquête rapidement sans intérêt, ce qui pour un livre primé par le Quai des Orfèvres est très décevant.

 

Extraits :

« Desseauve ouvrit le dossier qu’il avait en main, en sortit l’observation qu’il parcourut d’un oeil critique. Une observation bien faite, visant à apprendre la « démarche médicale » à son rédacteur, devait comporter un interrogatoire précis (sur les antécédents familiaux et personnels, et tous les événements médicaux, chirurgicaux, survenus jusqu’à ce jour), une « histoire de la maladie » qui avait conduit la patiente jusqu’ici, le compte rendu de l’examen clinique qui avait été fait avec rigueur et méthode, et une conclusion diagnostique avec une éventuelle proposition thérapeutique. »[…]

« Les arrivants firent chacun avec soin le traditionnel tour de table, posant la main sur l’épaule de chaque convive, salutation traditionnelle et signe de reconnaissance indispensables avant de pouvoir s’asseoir à son tour (sous peine de s’exposer à des projections alimentaires diverses ou autres représailles). »[…]

« Cécile leva les yeux sur la grande fresque qui courait tout le long des murs du réfectoire et sur les fenêtres rencontrées au passage. Elle n’y faisait plus attention, à la voir tous les jours. De loin, la réalisation était magnifique : haute d’environ un mètre, d’inspiration médiévale, elle explosait de couleurs chatoyantes, de personnages innombrables côtoyant des animaux mythiques, d’enluminures rehaussées de dorures… Mais, en s’approchant un peu, on distinguait aisément que tous les personnages participaient, en fait, à une gigantesque orgie – que n’aurait pas reniée Rabelais -, adoptant des positions classiques, curieusement acrobatiques ou même inconnues du Kama-sutra, ne laissant aucun espace d’un personnage à l’autre, vaste puzzle grivois, voire franchement pornographique… »

 

 

L’œuvre de Dieu, la part du Diable

John Irving

Points Seuil, 9,50 euros


On est là dans une autre catégorie, même si par de nombreux cotés ce roman est lui aussi beaucoup plus proche du XIXème siècle que du XXème.

Publié en 1985, "L’Œuvre de Dieu, la Part du Diable" est le sixième roman de l'écrivain américain John Irving.

Dans les années 1920, Wilbur Larch, jeune docteur, se sent responsable du décès d'une jeune femme à laquelle il a refusé un avortement et qui a été victime d'un médecin peu scrupuleux. Il va alors créer un orphelinat (à Saint Cloud’s, dans le Maine) où les femmes peuvent accoucher (« l’œuvre de Dieu ») en laissant leur enfant au soin de Nurse Edna et Nurse Angela, les deux assistantes du médecin, mais aussi avorter (« la part du Diable »), mais dans de bonnes conditions et sous surveillance médicale. Pour lui cependant les deux sont «l'œuvre de Dieu », la véritable « part du Diable » étant les horreurs qu'il a vues sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale.

C'est là qu'Homer Welles viendra au monde dans les années 1930, orphelin assez atypique (il ne pleure jamais) et qui semble refuser toute famille d'accueil. Après 4 tentatives ratées, il faudra bien se rendre à l'évidence : Homer est chez lui à Saint Cloud's. Larch lui permet de rester à l'orphelinat s'il se rend utile. Homer commence alors à apprendre la médecine, et surtout l'obstétrique, auprès du docteur Larch. Entre eux, il va peu à peu se développer des sentiments qui ressemblent fort à ceux d'un père et d'un fils. Mais, malgré son amour pour Larch, Homer va refuser de l'aider à pratiquer des avortements. Pourtant très doué, il ne souhaite pas faire de ces activités d'interruption de grossesse son métier, qu'il considère comme utiles mais qui le choquent dans sa moralité, et préfère partir. C'est au bout d'un périple long et douloureux, occasion de se construire une vraie personnalité, qu'il finit par revenir, notamment pour succéder à son "père" spirituel.

John Irving entraîne le lecteur au long d'un demi-siècle, pour un plaidoyer en faveur du droit à l'avortement, interdit à l'époque. Au second plan, il décrit en détail le monde agricole américain, ses valeurs, ses réalités difficiles, et le spectre de la "guerre d'Europe", qui progressivement devient une guerre mondiale – la seconde. Irving décrit à la perfection le moindre des personnages: les orphelins, les infirmières, les femmes qui viennent se faire avorter, les propriétaires du verger, les travailleurs du verger... Par sa richesse, ce n'est plus un roman, c'est une fresque : multitude des personnages, fils du récit qui s'entrecroisent, importance des thèmes abordés.

En abordant les sujets a priori difficiles de la maternité non désirée et de l'avortement, John Irving a su faire preuve d'une grande humanité et d'une grande intelligence dans sa façon de mettre en place le débat au sein même de ses personnages (opposition entre le docteur Larch et Omer). Sur le plan médical, le récit est très précis, et John Irving a obtenu de nombreux renseignements techniques de son grand-père qui était médecin.

Cet ouvrage est le troisième d'Irving à être adapté au cinéma avec "Le monde selon Garp", réalisé par Georges Roy Hill en 1982, et "L'Hotel New Hampshire", par Tony Richardson en 1984. Pour "L’Œuvre de Dieu, la Part du Diable", l'écrivain a lui-même signé l'adaptation, contrairement aux deux précédents. John Irving a commencé à en écrire le scénario peu après la publication du roman et il aura fallu 13 ans pour que le projet d'adaptation cinématographique puisse voir le jour. Le film qui est sorti en France en 2000, avec Michaël Cain (Oscar du meilleur second rôle) est visible en DVD depuis 2003.

 

Extrait :

« Homer partit à toutes jambes et trouva une femme allongée par terre. Ses yeux fixaient le vide avec une telle intensité, et sans voir quoi que ce fût, qu’il la prit au début pour le cadavre que le Dr Larch essayait de réceptionner à la gare. Puis la femme se mit à bouger, et Homer Wells comprit qu’elle ne tarderait pas à devenir cadavre elle aussi ; les convulsions commencèrent par une contraction nerveuse de son visage, puis se répandirent rapidement dans tous les muscles de son corps. Ses joues jusque-là écarlates devinrent d’un bleu-noir brillant ; ses talons frappèrent le sol avec une telle violence que ses deux chaussures s’envolèrent – Homer constata aussitôt qu’elle avait les chevilles extrêmement enflées. Ses mâchoires se crispèrent ; sa bouche et son menton se couvrirent d’écume baveuse, à laquelle se mêlait un filet de sang parce qu’elle s’était mordu la langue – mieux valait la mordre que l’avaler. Elle avait beaucoup de mal à respirer ; elle expulsait l’air en sifflant, et de l’embrun éclaboussa le visage d’Homer avec une violence qu’il n’avait pas connue depuis le jour où, debout sur la berge, il cherchait des yeux les Winkle balayés par les grumes.
- 
Eclampsie, dit Homer Wells à Nurse Edna.
Cela dérive du grec ; le Dr Larch lui avait appris que ce mot se rapporte aux éclairs lumineux que voit la patiente au début des convulsions puerpérales. En général, on peut éviter l’éclampsie par un minimum de soins prénataux. On décèle facilement une augmentation de la tension artérielle, la présence d’albumine dans les urines, l’enflure des pieds et des mains, les migraines, les vomissements, et bien entendu les points lumineux et les éclairs dans les yeux. Le repos, un régime strict, la réduction de l’alimentation liquide et une purgation naturelle sont efficaces dans la plupart des cas ; mais s’ils ne le sont pas, il suffit de provoquer le travail prématurément pour éviter presque toujours les convulsions et souvent mettre au monde un enfant vivant.
 »

De John Irving, on peut aussi conseiller « L’épopée du buveur d’eau », chef d’œuvre d’humour. Ce livre (le troisième roman d'Irving) commence chez un médecin, annonçant au narrateur (Fred "Bogus" Trumper) qu'il a le choix entre boire plusieurs litres d'eau par jour afin de combattre ses douleurs urinaires, ou avoir recours à la chirurgie. Comme toujours dans sa vie, le narrateur refuse de prendre les mesures qui s'imposent, et choisis de boire. C’est ce qui symbolise tous ses problèmes car il est incapable de prendre la bonne décision, quelle que soit la situation. Il se sépare de sa femme mais continue à l'aimer, entretient une relation incomplète avec sa nouvelle petite amie (elle veut un bébé alors que l'idée l'angoisse), et il est incapable de finir sa thèse sur un récit écrit dans une langue, le nordique primitif, que lui seul peut comprendre. C’est un tel modèle d’indécision qu’il a un ami cinéaste qui veut faire un documentaire sur l'échec en le filmant lui.

C’est sa peur maladive de mal agir et donc sa propension à la fuite qui emmènent « Bogus » (littéralement "bidon, faux") dans les situations les plus farfelues et abouti à faire de ce roman une véritable épopée burlesque.




Conseil numéro 16 [retour haut de page]


Nous allons aborder cette fois-ci le thème des « écrivains-médecins ». Il y a bien sûr Rabelais, et après lui Émile Littré, Victor Segalen, Georges Duhamel, Henri Ghéon et Jean Reverzy. D’autres, comme Léon Daudet, Blaise Cendrars, André Breton et Louis Aragon sortirent sans diplôme de la Faculté. Nous en avons choisi deux parmi les plus emblématiques de la première moitié du XXème siècle : Mikhaël Boulgakov et Louis-Ferdinand Céline. Pour chacun, nous avons retenu un ouvrage à thématique médicale.

 Le + d'Internet : 
Il existe un groupement des écrivains médecins (www.ecrivains-medecins.com/)

 

Mikhaël Boulgakov

Récit d’un jeune médecin

Livre de poche, 4 euros

Après Tchekhov, Mikhaïl Boulgakov (1891-1940) est le deuxième grand médecin de la littérature russe. Issu d'une famille de prêtres, il entre en 1909 à la faculté de médecine de Kiev. Il en sort médecin en 1916, en pleine guerre mondiale. A peine diplômé, il est affecté pendant les années 1916 et 1917 dans un petit hôpital de campagne géré par la Croix-Rouge dans un coin perdu de la Russie où il va recevoir 15631 patients. C’est cette période qui inspirera ses Récits d'un jeune médecin. Il ouvre ensuite un cabinet à Kiev et se spécialise en dermato-vénérologie. Mais la guerre civile fait rage et Boulgakov s'engage aux cotés des troupes tsaristes. En 1920, il abandonne définitivement la médecine pour la littérature, et c’est sous le régime de Staline qu’il écrit toute son œuvre, oscillant entre un réalisme très dur et un fantastique original, ce qui lui permet de dénoncer les absurdités de son époque. De plus en plus censuré et critiqué par le pouvoir, on lui refuse bientôt toute activité et ses œuvres seront retirées de la vente en 1927.

En 1931, à bout de ressources, il décide d'écrire directement à Staline en lui demandant de faire mettre un terme aux persécutions dont il est l'objet, à défaut de lui permettre d'émigrer ou, dans le cas contraire, de le faire fusiller, la vie n'ayant plus de sens pour lui sans la possibilité de créer. Plusieurs mois plus tard Staline lui téléphone en personne et intervient pour qu'on lui accorde un emploi d'assistant metteur en scène au Théâtre d'Art, puis de conseiller littéraire au Bolchoï. Atteint d’insuffisance rénale, il mourra en 1940, âgé de quarante-neuf ans. 

Dans Les récits d’un jeune médecin, Boulgakov va nous faire vivre toute l'angoisse des situations et les avalanches de questions qui assaillent le cerveau d’un jeune médecin contraint à pratiquer des techniques médicales qu’il n’a jamais faites auparavant. A la lecture de ce récit autobiographique, on réalise que Boulgakov n'a nul besoin de personnages comme le Diable, qu'il met en scène dans le Maître et Marguerite, pour donner une atmosphère fantastique à son écriture. Son angoisse de faire une erreur et de torturer inutilement ses patients prend possession de tout son imaginaire, alors que pourtant le jeune médecin fait face avec un apparent sang-froid et une parfaite efficacité. Il est difficile de ne pas être totalement saisi par ce court récit, qui mêle le témoignage émouvant d'un homme scrupuleux et perfectionniste, et beaucoup d'humour pour conjurer l'angoisse du jeune médecin qui se serait bien passé de la lourde responsabilité des vies humaines qu'on lui confie jour après jour. Avec une grande honnêteté et une grande humilité, il raconte ses erreurs, ses échecs et parfois aussi ses belles réussites. Comment ne pas s'identifier à ce personnage qui, dans l'isolement le plus radical, n’a pour toute aide que ce lancinant refrain "débrouille toi avec ce que tu sais". L’autre possibilité est bien sûre de regarder dans les livres de médecine (il n’y avait pas Internet !), et très souvent le jeune médecin se trouve obligé de pratiquer le livre à la main. Ce récit est à conseiller à tous les étudiants en médecine, et en particulier aux internes qui débutent leurs premiers semestres.

 Les Récits d'un jeune médecin sont suivis de Morphine, qui explore les gouffres de la détresse, de la maladie et de la folie. Si vous voulez ressentir ce qu'éprouve un toxicomane en état de manque, il vous faut lire ces pages.

 
Si l’œuvre la plus connue de Mikhaïl Boulgakov est Le Maître et Marguerite, deux romans sont à recommander : Cœur de chien et Le roman de monsieur de Molière. Dans Cœur de chien, un savant moscovite greffe une hypophyse ainsi que des glandes sexuelles humaines à un chien errant. C’est une farce féroce dans laquelle Boulgakov ridiculise les savants soviétiques qui prétendaient créer un homme nouveau. Il s'en donne à coeur joie pour étriller aussi la bureaucratie étatique et les absurdités de la politique du logement communautaire de l'époque. Comme son titre l’indique, Le roman de monsieur de Molière raconte la vie de … Molière. Le style et l’écriture de ce roman sont un pur régal et un vrai moment de bonheur. C’est probablement le meilleur texte jamais écrit sur Molière.

 

Extraits :

« Je me mis à avoir froid, et mon front fut trempé. Je regrettai d’avoir fréquenté la faculté de médecine et d’être tombé dans ce trou perdu. Dans un désespoir furieux, je fourrai ma pince au petit bonheur quelque part aux environs de la plaie, je la relâchai, et le sang aussitôt cessa de couler. Nous épongeâmes la plaie avec des tampons de gaze, et elle se présenta devant moi, bien nette, et parfaitement énigmatique. Je ne voyais aucune trachée nulle part. Mon incision ne ressemblait à aucune figure de manuel. Deux ou trois minutes passèrent encore, pendant lesquelles je fouillai dans la plaie de manière absolument mécanique et incohérente, tantôt avec le bistouri, tantôt avec la sonde, à la recherche de la trachée. Et au bout de la deuxième minute, je désespérai de la trouver jamais. « C’est foutu, pensai-je, pourquoi ai-je fait cela ? Après tout j’aurais pu aussi bien ne pas proposer l’opération, et Lidka serait morte tranquillement chez moi, dans une chambre, alors qu’à présent elle va mourir, la gorge ouverte, et jamais, par aucun moyen, je ne pourrai prouver qu’elle serait morte de toute manière, que je ne pouvais lui nuire davantage… » La sage-femme, sans rien dire, m’essuya le front. « Poser le bistouri ; dire : je ne sais pas quoi faire ensuite », voilà ce que je venais de penser quand les yeux de la mère me revinrent à l’esprit. Je levai à nouveau le bistouri, et d’un geste brusque et insensé, je poignardai Lidka, en entaillant profondément la gorge. Les tissus s’écartèrent, et brusquement la trachée m’apparut. 

 

Louis Ferdinand Céline

Voyage au bout de la nuit

Folio, 8,20 euros

« La médecine, c'est ingrat. Quand on se fait honorer par les riches, on a l'air d'un larbin, par les pauvres on a tout du voleur. »

« Quand on n’a pas d’imagination, mourir c’est peu de chose, quand on en a, mourir, c’est trop ! »

 

Louis Ferdinand Auguste Destouches dit Céline (1894-1961) reste l’un des plus grands écrivains français du XXème siècle, même si sa vie et son œuvre restent à jamais entachés par ses écrits et propos antisémites et par son attitude au cours de la seconde guerre mondiale. Seul l’aspect médical de sa vie sera abordé ici.

D’abord militaire de 1912 à 1915, il resterUne autre saga médicale française, "Le serment d'Hippocrate" de Noëlle Loriot au Livre de Poche. L'histoire d'une famille de médecins sur deux générations de 1940 à nos jours. Deux périodes sont particuliérement développéesa traumatisé à jamais par les horreurs et la bêtise de la guerre. C’est probablement ce qui explique en partie sa vision très pessimiste de la vie et de l’humanité en général, et l’aspect très sombre de son œuvre. Ayant était blessé au bras, il sera hospitalisé au Val-de-Grâce puis à l’hospice Paul Brousse de Villejuif alors dirigé par Gustave Roussy. Il obtiendra le baccalauréat en 1919, puis poursuit des études de médecine de 1920 à 1924 en bénéficiant des programmes allégés réservés aux anciens combattants. Sa thèse de doctorat, La Vie et l'Œuvre de Ignace Philippe Semmelweis (1924), est aujourd'hui considérée comme sa première œuvre littéraire. Après son doctorat, il est embauché à Genève par la fondation Rockefeller qui subventionne un poste de l'Institut d'hygiène de la Société des Nations. Il accompagnera plusieurs voyages de médecins en Afrique et en Amérique. Cela l'amène notamment à visiter les usines Ford au cours d'un séjour à Détroit qui durera 36 heures. Son contrat à la SDN n'ayant pas été renouvelé, il sera engagé, après avoir envisagé d'acheter une clinique en banlieue parisienne et un essai d'exercice libéral de la médecine en 1927 (Il affichera sur sa plaque « Docteur Louis Destouches, médecine générale, maladies des enfants »), par le dispensaire de Clichy où il effectuera quatre vacations de deux heures par semaine. Pour compléter ses revenus, il occupera un poste polyvalent de concepteur de documents publicitaires pour des spécialités pharmaceutiques et même de visiteur médical dans trois laboratoires pharmaceutiques. Il écrira également de nombreux réquisitoires pour la Société de Médecine de Paris, tels que À propos du service sanitaire des usines Ford, ou encore La Santé publique en France.

C'est toute cette partie de sa vie qu'il relate à travers les aventures de son antihéros Ferdinand Bardamu, dans son premier roman le Voyage au bout de la nuit (1932), pour lequel il reçoit le prix Renaudot, après avoir manqué de peu le prix Goncourt.

Le Voyage au bout de la nuit est un roman qui a fait date dans l'histoire de la littérature. Dès sa publication, le scandale et les polémiques soulevés par l'emploi de la langue orale et la dénonciation d'une société abrutissant et humiliant l'homme sont immédiats. A l’époque, le style surprend autant qu'il effraie, d'autant qu'il s'agit du premier roman d'un parfait inconnu. En 1932, l'introduction de la langue populaire en littérature reste rare et il est encore moins fréquent que ce soit le narrateur qui parle cette langue, d'habitude réservée aux seuls dialogues. Ce projet a été longuement mûri, et le Voyage correspond à l'aboutissement et la maturité d'une écriture que son auteur travaille depuis de nombreuses années.

Le Voyage se divise en deux grandes parties. De façon très simpliste, la première relate les errances et les égarements de Bardamu, le narrateur, à travers le monde et la seconde son retour à Paris et sa carrière de médecin. Le récit débute la veille de la Première Guerre Mondiale et se termine près de dix ans après son armistice en 1918. Céline utilise sans retenue les données de son expérience de soldat et de médecin pour doter sa prose de ce style si particulier, qui fait du Voyage un chef-d'œuvre de la littérature française. Son style « oral » s’accentuera de plus en plus au fil de son œuvre, avec des phrases très courtes et parsemées de points de suspension.

Dans Mort à crédit (1936), le deuxième grand roman de Céline, la médecine est aussi très présente. D’ailleurs, dès le 3ème paragraphe de la première page, on peut lire cette phrase assez emblématique de son œuvre : « Je n’ai pas toujours pratiqué la médecine, cette merde ».

 

Concernant Céline, il faut citer les admirables lectures de Fabrice Luchini, et surtout les 3 volumes illustrés par Tardi, dont celui du Voyage (chez Futuropolis-Gallimard). Comme avec Léo Malet et son personnage Nestor Burma, Tardi a parfaitement réussi à rendre l’atmosphère des romans de Céline à travers ses magnifiques dessins en noir et blanc.

 

Extrait :

« J’allais maintenant le voir un peu moins souvent parce que c’est vers cette même époque que j’ai été nommé à la consultation d’un petit dispensaire pour les tuberculeux du voisinage. Il faut appeler les choses par leurs noms, ça me rapportait huit cents francs par mois. Comme malades c’était plutôt des gens de la zone que j’avais, de cette espèce de village qui n’arrive jamais à se dégager tout à fait de la boue, coincé dans les ordures et bordé de sentiers où les petites filles trop éveillées et morveuses, le long des palissades, fuient l’école pour attraper d’un satyre à l’autre vingt sous, des frites et la blennorragie. Pays de cinéma d’avant-garde où les linges sales empoisonnent les arbres et toutes les salades ruissellent d’urine les samedis soir. Dans mon domaine, je n’accomplis au cours de ces quelques mois de pratique spécialisée aucun miracle. Mais mes clients n’y tenaient pas à ce que j’accomplisse des miracles, ils comptaient au contraire sur leur tuberculose pour se faire passer de l’état de misère absolue où ils étouffaient depuis toujours à l’état de misère relative que confèrent les pensions gouvernementales minuscules. Ils traînaient leurs crachats plus ou moins positifs de réforme en réforme depuis la guerre. Ils maigrissaient à force de fièvre soutenue par le manger peu, le vomir beaucoup, l’énormément de vin, et le travailler quand même , un jour sur trois à vrai dire. »



Conseil numéro 15 [retour haut de page]

Nous allons aborder cette fois-ci le thème de « la peste » à travers deux ouvrages. Le premier est un roman policier de Fred Vargas qui vient d’être porté à l’écran et dont l’intrigue tourne autour de cette maladie. Le deuxième est le très célèbre roman d’Albert Camus que beaucoup ont étudié sur les bancs du lycée. Actuellement, ce sujet de la peste revient à la mode car il est très symbolique des grandes pandémies mondiales et des craintes actuelles par rapport à la grippe aviaire. Il faut aussi savoir que près de 40000 cas humains de peste ont été déclarés à l’OMS par 24 pays au cours des quinze dernières années.

Fred Vargas

Pars vite et reviens tard

Editions Viviane Hamy, 15 euros ou J’ai lu 6,70 euros

Jean-Baptiste Adamsberg… Il suffit de prononcer ce nom pour savoir si vous avez affaire à un adepte de la secte Vargassienne. En général, après avoir lu un seul roman policier de Fred Vargas (de son vrai nom Frédérique Audouin-Rouzeau) on devient membre de cette secte car, une fois entré dans son univers, fait de personnages atypiques et tous plus étranges les uns que les autres, on ne peut plus s’arrêter de dévorer ses livres.

Un certain Joss Le Guern, ex-marin breton, échoue à Paris après avoir fait de la prison pour avoir rossé un armateur responsable de la mort de deux marins. Après une période de chômage, il devient « crieur » place Edgar Quinet, c'est-à-dire qu'il crie trois fois par jours les messages que les gens lui envoient : petites annonces, déclarations d'amour, de haine… Et voilà qu'arrivent des messages très étranges, qui parlent de vermine, de fléau, de mort. Inquiet, Hervé Decambrais, vieil homme érudit qui héberge Joss dans sa petite pension de famille, commence ses recherches pour révéler le sens caché de ces messages. Il découvre que ces textes mystérieux sont tirés du canon de la médecine d’Avicenne et du journal de Samuel Pepys.
D'un autre côté, il y a le commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, qui vient d'être affecté à la brigade criminelle. Il reçoit la visite d'une jeune femme très angoissée dont les portes de son immeuble sont victimes de « graffitis » alarmants : des sortes de 4 à l'envers accompagné des lettres CLT. Il apprendra qu’aux temps des épidémies de la peste, des chiffres quatre inversés peints sur les portes servaient de talisman pour se protéger de la maladie. Le commissaire finit par prendre l'affaire au sérieux quand d'autres immeubles sont touchés et quand Decambrais et Joss Le Guern se décident à venir lui parler des messages « spéciaux ». Les deux affaires vont rapidement se recouper et bientôt les cadavres se suivent portant tous les symptômes de la peste… La rumeur d’une épidémie de peste noire se répand alors.

Fred Vargas nous donne dans son récit de nombreuses informations sur la peste ainsi que sur les grandes épidémies du passé. Nous apprenons ainsi que l’ultime épidémie de peste à Paris date de 1920 (quatre-vingt-seize cas dont trente quatre mortels) et que dans la ferronnerie du balcon du tribunal de commerce de Nancy se trouve un double quatre inversé. Puis, glissant de l’histoire de la peste à une réelle panique engendrée par des rumeurs, elle souligne les pires instincts de la bêtise humaine. Tout en maintenant le suspens jusqu’à la dernière page sur une enquête plus que délicate, elle nous décrit un univers toujours à la lisière du vraisemblable. Ce roman a reçu le 48e Prix des libraires.

Dans le domaine des épidémies, Fred Vargas a une nouvelle lubie, qui a pris pour royaume la pandémie aviaire. Elle a cherché un système simple, pas cher et réutilisable, afin que les gens puissent se protéger en cas de pandémie grippale et sortir de chez eux une heure ou deux pour faire leurs courses. Elle a ainsi imaginé une sorte de cape en plastique, 100 % anti-H5N1, qui recouvre tout le corps sans aucun risque de contamination qu’elle a même présentée au ministre de la santé.

 

L’adaptation cinématographique (par Régis Warnier) de ce roman vient de sortir en janvier 2007 avec José Garcia dans le rôle du commissaire Adamsberg.

 

Extrait :

« Face à cette alternative, permettons-nous de jeter le doute sur l’impeccable démonstration de nos services de police en revenant quatre-vingts ans en arrière. Paris a effacé de sa mémoire l’histoire de sa dernière peste. Pourtant, l’ultime épidémie qui frappa la capitale ne remonte qu’à 1920. Partie de Chine en 1894, la troisième pandémie pesteuse dévasta les Indes en y causant la mort de douze millions d’hommes et atteignit l’Europe occidentale dans tous ses ports, à Lisbonne, à Londres, à Porto, à Hambourg, à Barcelone… et à Paris, par une péniche venue du Havre et vidant  ses cales sur les berges de Levallois. Comme partout en Europe, la maladie fit heureusement long feu et déclina en quelques années. Elle touvha néanmoins quatre-vingt-seize personnes, principalement dans les banlieues nord et est de la ville, parmi les populations misérables des chiffonniers logeant dans des baraquements insalubres. La contagion se glissa même intra muros et fit une vingtaine de victimes au cœur de la ville.

Or, durant le temps que dura cette épidémie, le gouvernement français la garda secrète. On vaccina les populations exposées sans que la presse fût informée du véritable objet de ces mesures exceptionnelles. Le Service des épidémies de la Préfecture de police, dans une série de notes internes, insista sur la nécessité de cacher le mal à la population, mal qu’elle nomma pudiquement « la maladie n°9 ». […]

Sans vouloir accuser les représentants de la police de falsifier les faits, aujourd’hui comme hier, pour nous masquer la réalité, cette petite note d’histoire rappelle utilement aux citoyens que l’Etat a ses vérités que la vérité ne connaît pas et qu’en tous les temps, il a su manier l’art de la dissimulation. »

La Peste

Albert Camus

Folio, 5,10 euros

Albert Camus est maintenant un classique de la littérature dont la lecture est souvent obligatoire au cours des années lycées. Même si son style a vieillit, il y a derrière ses romans une réflexion philosophique qui reste d’actualité. Paradoxalement, les plus intéressants aujourd’hui sont peut être les moins étudiés : « La chute » d’un côté, et « Le mythe de Sisyphe » de l’autre.

En 1941 à Oran (qui était alors une préfecture française de la côte algérienne), non loin de Carthage où Saint-Louis mourut de la peste, les rats sortent des égouts par centaines. Cette situation inquiète le docteur Rieux, mais la municipalité dit contrôler la situation. Quelques jours plus tard, surviennent les premiers cas d'adénopathies douloureuses. Les malades "écartelés par les ganglions" cervicaux ont le souffle saccadé : le pouls est filiforme et la mort survient parfois à l'occasion d'un mouvement insignifiant. Bien que l'épidémie se développe rapidement, le nom redouté n'est pas prononcé. Pour éviter la panique, les mesures sont prises, mais trop tard. Après la dératisation peu utile, on lutte contre les puces, puis les décrets se succèdent : déclaration obligatoire des cas, isolement des malades, désinfection de leur chambre, quarantaine imposée aux proches… Il n'y a pas de sérum sur place : le stock de l'Institut Pasteur est vite épuisé. L'état de peste est enfin déclaré et la ville coupée du monde. C’est à travers le journal du docteur Rieux que nous assistons à l'évolution tragique du mal et que nous faisons la connaissance des autres personnages : Rambert  un journaliste parisien, qui n'a de cesse de tenter de quitter cette ville, où il n'était que de passage, et qui finit par se sentir solidaire de la misère des autres ; Tarrou qui mettra en place l'organisation sanitaire de la ville ; Cottard qui profite de la misère générale en faisant de la contrebande et du marché noir ; Grand, un employé de mairie, très dévoué à ses tâches administratives ; et le Père Paneloux qui appelle ses fidèles à méditer sur le sens de ce message envoyé par le ciel, et dont le discours évoluera après la mort d'un enfant.

Même si Albert Camus nous décrit avec minutie les ravages de l'épidémie, ce roman est avant tout une œuvre engagée. En effet Camus laisse deviner dans le texte ses idées anti-nazies et dénonce entre autres l'atrocité vécue par le peuple juif au cours de la Seconde Guerre mondiale. La maladie est une représentation allégorique du nazisme (surnommé aussi peste brune). Les malades représentent la population juive et les victimes des nazis, tandis que Rieux et ses compères symbolisent la Résistance. La période d'isolement de la ville correspond à l'occupation 1940-1945. Au début, on ne croit pas à la peste, comme on n'a pas cru à la guerre pendant les années 30; ensuite on estime que ça va s’arrêter vite: on parle de la drôle de peste, comme on a parlé de la drôle de guerre, et les contre mesures sont trop tardives. Puis, les deux drames passent par les mêmes étapes : la coupure avec le reste du monde, l'éclairage réduit, le rationnement des vivres et du carburant, les files devant les magasins, le marché noir, la loi martiale, les exécutions, les fosses communes. Le rassemblement des pestiférés en tenue de bagnards dans le stade de football d'Oran évoque la concentration des juifs au Vel d'Hiv en 1942. Le prêche du Père Paneloux est proche des idées de Pétain qui fustigeait les erreurs et le laxisme de la 3ème République et "ces mensonges qui nous ont fait tant de mal". La fin de l'épidémie, c'est la libération, avec le retour des navires, les retrouvailles des familles déchirées, et le rétablissement de l'éclairage public. La conclusion d'Albert Camus est un avertissement : "le bacille de la peste ne meurt et ne disparaît jamais; pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillera ses rats et les enverra mourir dans une cité heureuse".

En 2003, la peste est réapparue en Algérie, après une période de silence inter-épidémique de 50 ans, dans la région… d’Oran !

Extraits :

«Comme Rieux se taisait, on lui demanda son avis : 

- Il s’agit d’une fièvre à caractère typhoïde, mais accompagnée de bubons et de vomissements. J’ai pratiqué l’incision des bubons. J’ai pu ainsi provoquer des analyses où le laboratoire croit reconnaître le bacille trapu de la peste. Pour être complet, il faut dire cependant que certaines modifications spécifiques du microbe ne coïncident pas avec la description classique.

Richard souligna que cela autorisait les hésitations et qu’il faudrait attendre au moins les résultats statistiques de la série d’analyses, commencées depuis quelques jours.

- Quand un microbe, dit Rieux, après un court silence, est capable en trois jours de temps de quadrupler le volume de la rate, de donner aux ganglions mésentériques le volume d’une orange et la consistance de la bouillie, il n’autorise justement pas d’hésitations. Les foyers d’infection sont en extension croissante. A l’allure où la maladie se répand, si elle n’est pas stoppée, elle risque de tuer la moitié de la ville avant deux mois. Par conséquent, il importe peu que vous l’appeliez peste ou fièvre de croissance. Il importe seulement que vous l’empêchiez de tuer la moitié de la ville. »

A signaler également, le « Journal de l’Année de la peste » de Daniel Defoe (1660-1731) qui est surtout connu pour son très célèbre « Robinson Crusoé ». Camus donne d’ailleurs une citation de Defoe en exergue de « La peste ». L’édition du Journal en Folio (1982) est accompagnée d’une préface du Professeur Henri H. Mollaret de l’Institut Pasteur qui fait un historique des différentes épidémies de peste dans le monde et qui analyse d’un point de vue médical le Journal de Defoe.



Conseil numéro 14 [retour haut de page]

Nous avons choisi cette fois-ci des romans traitants de « Neurologie » et en particulier de maladies du cerveau, à l’exclusion de la maladie d’Alzheimer que nous avons déjà traité dans un précédent « conseils de lecture ». Dans ces deux livres, les personnages ont conscience de leur maladie et de sa gravité. Le premier est d’un auteur français, Eric Fottorino (qui a été nommé en décembre 2006 directeur délégué du journal Le Monde) et le deuxième est d’un auteur hongrois mort en 1938.

 

Korsakov

Eric Fottorino

Folio, 7,70 euros

Le livre commence par la citation d’extraits de données encyclopédiques sur la maladie : « Le syndrome de Korsakov est constitué par une amnésie de fixation des souvenirs, compensée par un mélange de fabulations et de faux souvenirs. Le malade souffre d’un état de confusion. Il présente un déficit de l’attention, une désorientation dans l’espace et dans le temps. Les troubles peuvent prendre des formes graves, à évolution rapide et mortelle. »

Le roman est divisé en trois parties : première partie, Bordeaux dans les années soixante ; deuxième partie,  la Sicile ;  et troisième partie, l’Afrique du Nord.

François Ardanuit, dit « le petit », a neuf ans. Il est le fils de personne car il ne porte pas le nom de son père biologique. Il aurait du s’appeler Maman (prononcez Mamane) du nom d’un obstétricien juif originaire d’Afrique du Nord, qu’il reverra bien plus tard. Le petit est élevé par sa trop jeune mère Lina. Il est entouré par sa grand-mère pieuse et autoritaire et par un oncle dépressif. Cette partie est à la fois très sombre et très attachante par tous les personnages qui sont évoqués : un grand-père parti à Madagascar sur un coup de tête, un oncle amoureux des plantes et d’un gros bonhomme à moustaches, un frère qui sort de son corps et prédit mille maux, et un taulard tout juste sorti du trou, Gilbert. La règle de la famille est de fuir le bonheur. Tout le monde se réjouit de n’être pas heureux, c’est la signature Ardanuit.

La lumière viendra du côté de Marcel Signorelli, le nouveau mari de Lina. François Ardanuit renaît sous le nom de François Signorelli, petit-fils de Fosco Signorelli. Il trouve alors le bonheur auprès de cette famille française de Tunisie grâce aux souvenirs de laquelle il se construit une histoire.

On le retrouve ensuite à 38 ans, il est neurologue à Palerme et il s'auto diagnostique un Korsakov. Frappé de ce syndrome, il « réinvente sa vie et comble les trous béants de sa mémoire par des aventures imaginaires. Il peut aussi se choisir une biographie de rechange, une figure qui a impressionné les cellules neuronales encore malléables de son enfance. » Les souvenirs s'effacent, l'affabulation prend leur place. Enfin, dans la dernière partie, il vit par procuration l'histoire de son mythique grand-père Fosco maire d'un village tunisien. C’est la partie la plus lumineuse du roman.

Ce livre est difficile à résumer car les souvenirs de l'enfance se mêlent au présent et aux souvenirs rêvés... On ne sait jamais s’il s’agit de souvenirs « vrais » ou de souvenirs « inventés ». La maladie de Korsakov est bien sûr un prétexte pour pouvoir développer les différents niveaux de ce roman. Cependant, il s’agit d’une vision très littéraire et idéalisée de cette maladie, et il est probable que l’auteur n’a jamais rencontré une personne réellement atteinte de Korsakov. De mon point de vue, le fait que le personnage principal soit atteint de cette pathologie qui donne son titre à l’ouvrage, n’apporte rien au lecteur. Fottorino aurait tout aussi bien pu écrire trois romans indépendants. En effet, tout ce qui concerne la vie bordelaise est remarquable de même que la partie Tunisienne, ce qui se passe en Sicile étant probablement la partie la moins intéressante.

Ce livre a obtenu les  prix France Télévision 2004, prix des Libraires et Nice Baie des Anges 2005.

Extrait :

« Le professeur me tira par la manche et nous sortîmes en silence.

- Syndrome de Korsakov, avait-il murmuré entre ses dents.

- Etes-vous sûr ? avais-je demandé sans mesurer mon impertinence.

- Absolument. Il ne sait plus qui il est. Alors il invente. Korsakov, c'est l'Alzheimer des jeunes sujets. Avec une grande différence cependant.

- Laquelle ? avais-je aussitôt voulu savoir.

- Un cerveau atteint d'Alzheimer n'est plus en mesure d'élaborer le moindre scénario de vie et de biographie. Le malade sombre plus ou moins vite, c'est un naufrage de la mémoire avec l'engloutissement de ses points de repère. Dans le cas de Korsakov, le malade est encore très valide, avec des neurones en pleine ébullition. Les souvenirs que la maladie dévore, l'imagination les remplace par des histoires plausibles mais purement inventées.

- Comment est-ce possible ? avais-je encore interrogé, stupéfait.

- Ne me prêtez pas trop de connaissances, François, avait dit Le Morzec en souriant. Si je savais ce qui se passe sous notre crâne quand nos hémisphères savants et sensibles se détraquent, je serais prix Nobel depuis longtemps. Retenez ceci : un cerveau en proie à Korsakov s’invente une vie rêvée. Les trous de mémoire, que dis-je, les gouffres de la mémoire, il les comble selon sa fantaisie, avec une rationalité qui donne le change. »

 

Voyage autour de mon crâne

Frigyes Karinthy

Denoël 2006, 20 euros

Présenté comme un roman, cet ouvrage tardivement traduit en français est en réalité le récit autobiographique des problèmes de santé en rapport avec une tumeur du cerveau, vécus par Frigyes Karinthy. Cet auteur hongrois, né en 1887 à Budapest, avait beaucoup d'humour et sa mort fut probablement son meilleur canular: c'est en laçant sa chaussure qu’il rendit l'âme, le 29 août 1938, à 51 ans. Sans doute voulait-il prouver que l'on peut toujours prendre son pied, même aux moments les plus délicats. Sorte d'Alphonse Allais hongrois, sa maxime était: «En matière d'humour, je ne plaisante jamais.» De cette autodérision, on en découvre un bel échantillon dans « Voyage autour de mon crâne » dont il vient de paraître une nouvelle traduction.

Parfois délirant, parfois aussi précis qu'un rapport médical, ce récit est une sorte d’auto-autopsie des perturbations de son cerveau. Comme si l’auteur l'avait rédigé avec un stéthoscope posé sur la tempe, pour noter au jour le jour les bruits bizarres, les bourdonnements insolites et les grésillements qui assaillent sa malheureuse cervelle. Assis dans son café favori de Budapest, il croit par exemple entendre un train qui déboule vers sa table. C’est le premier symptôme du mal qui le ronge, mais il y en aura bien d'autres. Il les traque sans répit, en montrant comment la mort avance en lui, pas à pas, inexorablement. Pensant assez vite à la possibilité d'une tumeur, il présente d’abord des réactions de négation et d'évitement (le chapitre IV est intitulé « l'autruche se défend »). Il évite « tous les bons médecins » pour rencontrer ceux qui disent « exactement ce que je voulais leur faire dire ». C'est seulement quand sa vue se trouble et le gêne dans son travail qu'il déclare à sa femme : « j'ai une tumeur au cerveau ».

A l'époque le diagnostic de tumeur cérébrale ne reposait que sur des signes cliniques subtils et l'examen du fond d’œil, et Karinthy ne se prive pas d'étaler les contradictions des nombreux spécialistes qu'il consulte à Prague comme à Vienne. Ce n'est qu'après de longs mois de tergiversations que des amis le décident à aller voir à Stockholm le professeur Olivecrona, neurochirurgien élève de Cushing, grâce à une collecte publique qui a mobilisée tous ses lecteurs.

Puis il y aura l'hôpital, le silence de la chambre, la valse des blouses blanches, les seringues, l'opération de la tumeur sous anesthésie locale. «Un boucan infernal. Hurlant, accélérant son sifflement, de plus en plus vite, de plus en plus fort et poussant de plus en plus vers les aigus, un foret d'acier gigantesque me perce le crâne. J'ai encore le temps de me dire: trépan électrique! Telle une caisse de résonance dans un moteur de mille chevaux, ma tête siffle, tonne et gronde, infernal fracas du ciel, déchaînement de la terre. Une dernière secousse, et soudain tout se tait.»

Ce calvaire, l'auteur le décrit avec une avalanche de détails, sans cesser de se moquer de lui-même, en ricanant à son propre chevet. Et, parfois, en jouant avec ses hallucinations pour les transformer en matières de rêves. C’est le récit d'une victoire contre soi-même. Elle fut de courte durée puisque Karinthy disparut un an plus tard, foudroyé par une attaque cérébrale.

A noter qu’il est l'inventeur du concept des six degrés de séparation, dans sa nouvelle « Chaînes » de 1929. Cette théorie dit que chacun d'entre nous sur la planète peut être connecté à une autre personne en suivant une chaîne de connaissances ne contenant pas plus de cinq intermédiaires.

Extrait :

« -Qu’entends-tu par là, parler comme un étudiant de première année ?

-Ce que je veux dire ? Eh bien, c’est vieux comme le monde ! Tout étudiant en médecine s’imagine qu’il a contracté chacune des maladies qu’il étudie. Au fur et à mesure qu’il lit leur description dans un manuel ou qu’il examine les malades dans les salles, il croit détecter en lui les atteintes de la variole, du choléra, de la tuberculose et du cancer. Nous appelons cela « l’hypocondrie professionnelle ». C’est tout à fait normal, mais tu penses bien que personne ne le prend au sérieux. Je suis étonnée que tu ne t’en souviennes pas. Tu as pourtant été étudiant en médecine pendant six mois.

-Tu veux dire que… ? Eh bien, laisse-moi te raconter quelque chose. Je ne suis pas neurasthénique et je n’ai plus vingt ans. Dans ma vie, j’ai assisté à beaucoup de maladies et de morts. Et je ne me suis jamais laissé aller à forger des inventions de ce genre, et actuellement moins que jamais. Je te le répète, j’ai l’étrange impression d’avoir vu ce regard avant…

-Ah oui, vraiment ? Eh bien, laisse-moi te donner une petite leçon pour l’avenir. Il y a trois symptômes typiques pour le diagnostic de la tumeur au cerveau : migraines, vertiges avec défaillances et papillite. »

 

On peut également citer deux autres romans qui ont un rapport avec des pathologies cérébrales. Tout d’abord, un cours récit, « Le premier qui dort réveille l’autre » de Jean-Edern Hallier. Il s’agit probablement du meilleur livre de cet écrivain que beaucoup ne connaissent que par ses éclats médiatiques. Cet ouvrage décrit la maladie et la mort, à Paris durant la deuxième guerre mondiale, d'Aubert Tanguy, 11 ans, atteint d'un médulloblastome qui va l'emporter après un an de maladie, malgré une intervention neurochirurgicale et une radiothérapie. Le narrateur est son frère cadet Paul, qui décrit de manière remarquable les relations de complicité entre eux deux, modifiées puis brisées par le cancer. Le texte alterne les séquences oniriques, qui traduisent à la fois la vision qu’a Paul de la maladie de son frère, mais peut être aussi les hallucinations directement engendrées par la maladie elle-même. Premiers indices, diagnostic, opération, conséquences rythment cette chronique poétique d'une enfance, biographie rêvée aux curieux et bouleversants détours.

Le deuxième est  « Le scaphandre et le papillon » de Jean-Dominique Bauby. Journaliste, rédacteur en chef du magazine féminin « Elle », père de deux enfants, il est victime en décembre 1995, d'un locked-in syndrom, conséquence d'un accident cardio-vasculaire. Prisonnier de son corps/scaphandre, il est hospitalisé à 44 ans, à l'Hôpital Maritime de Berck. Mais son esprit reste libre comme un papillon et lui permet avec le seul moyen de communication qui lui reste, les mouvements de sa paupière gauche, d'écrire lettre à lettre, avec l'aide d'une orthophoniste, ce témoignage d'un esprit à l'œuvre. Pendant un an et demi, il mena une existence de grand handicapé selon les uns, de mutant selon lui. Une très belle leçon de vie. Peu de temps après la parution de son livre, le 9 mars 1997, l'auteur décédait.
Le film est sorti le 23 mai 2007 avec Mathieu Amalric.



Conseil numéro 13 [retour haut de page]

Nous allons cette fois nous intéresser à la « Saga médicale » à travers deux romans d’un auteur américain : Noah Gordon. Une saga est une histoire qui se déroule sur une longue période ou sur plusieurs générations. Dans ces deux romans, on retrouve le Dr Rob J. Cole, mais dans le premier l’action débute en 1021 à Londres et dans le deuxième en 1839 dans l’Illinois !  Il existe aussi un troisième volume avec le Dr Cole qui est cette fois une femme médecin de campagne.

Le Médecin d'Ispahan

Noah Gordon

Livre de poche, 6,95 euros

« Rob J. Cole vivait ses derniers moments d’insouciance et de sécurité »…
Première phrase de cette saga. Robert J. Cole a neuf ans, dans l'Angleterre du XIe siècle, quand il découvre, au chevet de sa mère mourante, qu'il possède un étrange et terrifiant pouvoir : il peut, en tenant les mains d'une autre personne, sentir sa force vitale et donc savoir si elle va vivre ou mourir... À cette époque, les orphelins londoniens allaient à qui en voulaient bien. Ses frères et sœurs, plus petits que lui, semblent être plus chanceux, car ils sont accueillis par des voisins. Quant à Rob, il devient l'apprenti d'un barbier-chirurgien ambulant (ils sillonnent toute l’Angleterre), qui l'élève comme son fils et lui transmet tout son savoir : la discipline, l’art du spectacle et le pouvoir de soulager la souffrance des autres grâce à certains « remèdes ». Ainsi, Rob va découvrir sa vocation : il veut soulager les souffrances des autres, il veut devenir un médecin. Mais pas un charlatan comme tant de médecins de son époque ; il veut étudieConseil numéro 1r la vraie médecine au côté des plus grands praticiens du monde. A vingt ans, à la mort du maître barbier, Rob décide donc de partir à Ispahan, en Perse, dans la seule faculté de médecine arabe reconnue dans le monde et où enseigne le célèbre Ibn Sina (Avicenne). Comme dans cette école, on n’admet pas les chrétiens, Rob n’hésite pas à se prétendre juif pour réaliser son rêve. Il traverse donc toute l’Europe et gagne l’Orient au prix de multiples aventures, d’autant plus qu’à cette époque on a vite fait d’être considéré comme un sorcier.

En traversant le monde, de l'Angleterre à l'Inde et de la Perse à l'Ecosse, ses péripéties l'amènent à découvrir les populations de l'époque et leur mode de vie : à chaque peuple ses moeurs, ses coutumes, ses croyances et sa culture. Les trois grandes religions monothéistes viennent aussi s'imbriquer dans le récit comme un obstacle de plus sur la route du jeune Rob. A Ispahan, aux côtés des plus grands, il accédera à l'enseignement de la philosophConseil numéro 1ie, apprendra ce qui se fait de mieux en médecine au XI siècle, et deviendra un disciple du grand Avicenne.

Dans un style très agréable, fluide, coloré et vivant, Noah Gordon nous livre une formidable épopée, des plus captivantes. Le riche contenu historique donne à ce roman un surprenant parfum d'authenticité et on ne peut qu'être admiratif devant le travail de recherche et de documentation que l'auteur a réalisé pour écrire ce roman. La partie médicale est particulièrement réussie en ce qui concerne l’école de médecine d’Ispahan et les connaissances d’Avicenne.

Extraits :

« « On croit que cette cécité est causée par une humeur corrompue qui se déverse dans l’œil, dit al-Juzjani. Aussi, les premiers médecins persans l’ont-ils appelée nazul-i-ab, ou « descente d’eau », ce qu’on a vulgarisé en « maladie de la chute d’eau » ou cataracte. La plupart commencent par une petite tache dans la lentille qui gêne à peine la vision, mais qui s’étend progressivement jusqu’à rendre toute la lentille d’un blanc laiteux, ce qui entraîne la cécité.»

Le maître opéra les yeux d’un chat mort, puis ses assistants distribuèrent aux étudiants des cadavres d’animaux. Rob hérita d’un cabot brunâtre au regard fixe, qui n’avait plus de pattes de devant. Il se rappela, pour se donner du courage, comment Merlin avait opéré Edgar Thorpe, après avoir suivi des cours ici, peut-être dans cette même salle. Al-Juzjani vint se pencher au-dessus de lui.

« Place ton aiguille sur la tache, là où tu veux inciser, et fais une marque. Ensuite, déplace la pointe vers l’angle extérieur de l’œil, au niveau et un peu au-dessus de la pupille : la cataracte glissera en dessous. Si tu opères l’œil droit, tiens l’aiguille dans ta main gauche, et vice versa. »

Rob suivit ses instructions, en pensant aux hommes et aux femmes qu’il avait vus venir derrière son paravent de barbier, avec leurs yeux opaques qu’il ne savait pas guérir. Au diable Aristote et le Coran ! C’était pour cela qu’il était venu jusqu’en Perse, se dit-il avec exaltation. »

Shaman

Noah Gordon

Livre de poche, 7,50 euros

En 1839, un jeune médecin écossais idéaliste, Rob J. Cole, s'installe dans l'Illinois, aux limites du territoire des Indiens Sauks persécutés. Il leur vient en aide, et particulièrement à la guérisseuse Makwa .Il s'éprend de cette Indienne que sa condition de shaman voue à la chasteté. C'est elle qui donnera le surnom de « Shaman » au fils que Rob a d'une autre femme. Malheureusement s’abat sur sa famille une avalanche de mauvaises nouvelles : Shaman est sourd, puis Makwa se fait sauvagement assassiner. Rob, mobilisé dans la guerre de Sécession, est contraint de partir et ne reviendra pas. Malgré le handicap de sa surdité, son fils Shaman entreprend des études de médecine afin de poursuivre l’œuvre de son père. Comme son père, il possède le « Don des Cole », celui de percevoir la mort prochaine d’un malade. C'est à lui qu'il incombera de venger la mort de Makwa. Ce n'est qu'à force de courage et de ténacité qu'il deviendra médecin à son tour.

En même temps que l’épopée d’une médecine héroïque et de ses progrès, Noah Gordon nous donne ici une extraordinaire saga de l’Amérique des pionniers. Shaman retrace une part importante de l'histoire des États-unis : le refoulement vers l'Ouest des tribus indiennes, la colonisation, la montée de l'intolérance face aux immigrants («L'Amérique aux Américains»), laquelle aboutit à la guerre de Sécession. Encore une fois, la partie médicale est passionnante et nous donne une idée exacte des connaissances médicales de cette époque.

Extraits  :

« C’est le sixième samedi que le Dr Meigs donna à l’école polyclinique une leçon sur le stéthoscope. Le professeur avait été formé en France par des docteurs qui avaient eux-mêmes connu l’inventeur. Il raconta aux étudiants qu’un jour, en 1816, un praticien français du nom de Laennec avait hésité, devant la gêne de la patiente, à placer son oreille directement sur sa poitrine. Il avait eu l’idée de rouler une feuille de papier et de la maintenir enroulée en y nouant une cordelette. Quand il avait appliqué le tube sur la poitrine, il avait été étonné de constater que son instrument ne diminuait pas les bruits du cœur mais que, bien au contraire, il les amplifiait.

Meigs possédait un stéthoscope plus moderne : le tube était en soie tissée, et les écouvillons en ivoire. Pendant la consultation qui suivit la leçon, le Dr Meigs utilisa un stéthoscope en ébène équipé d’un second tube. L’étudiant pouvait ainsi entendre les bruits en même temps que lui. Tous les élèves écoutèrent les battements de cœur, à l’exception de Shaman :

- Ce n’est pas la peine, je n’entendrai rien.

Le Dr Meigs fit une moue de mécontentement.

- Essayez tout de même.

Mais après une vaine tentative, Shaman secoua la tête.

- Je suis désolé, dit le professeur.»

 

En France, nous avons aussi quelques grandes sagas médicales dont la plus connue est certainement « Les hommes en blanc » d’André Soubiran (6 volumes : Tu seras médecin, La nuit de bal, Le Grand Métier, Un grand Amour, Le témoignage, Au revoir, docteur Roch ! 1949-1958). Cette fresque romanesque existe aussi en film avec Raymond Pellegrin et Jeanne Moreau (1955).

Plus récemment, il faut noter également, « Les Princes du sang » de Gilbert Schlogel (1992, Livre de poche). Ce roman retrace l’histoire de la chirurgie depuis le XVIIIe siècle jusqu’aux années 90 à travers la vie de cinq chirurgiens d’une même famille.


Le + d'internet A noter un grand oubli en ce qui concerne la France, la grande Sage de Robert Merle et les 13 volumes de la série "Fortunes de France" qui donne une idée de la médecine au XVIème siècle avec en particulier la langue de l'époque. Si Robert Merle est  connu pour "Week-end à Zuitcoote", il faut surtout lire "Derrière la vitre" (qui reprend les événements de Nanterre qui ont déclenchés Mai 68) et "La mort est mon métier" qui retrace la vie du directeur du camp d'Auschwitz comme celle d'un simple fonctionnaire qui trouve normal de mettre au point un procédé simple et économique d'extermination massive. Ce roman a été écrit en 1952 et donc bien longtemps avant "Les bienveillantes" de Jonathan Littell.

Une autre saga médicale française, "Le serment d'Hippocrate" de Noëlle Loriot au Livre de Poche. L'histoire d'une famille de médecins sur deux générations de 1940 à nos jours. Deux périodes sont particulièrement développées, celle de l'occupation et de mai 68.

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Site édité par le Docteur Christophe TRIVALLE

Cette page est dédicacée à ma grand-mère Paulette 

qui est décédée le 8 juillet 2007

et qui adorait la lecture