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gerontoprevention.free.fr
Conseils
de lecture
Ces articles sont parus dans la
revue NPG
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Dans cette
rubrique, nous vous proposerons régulièrement
une sélection d’ouvrages littéraires
(romans, policiers, essais, récits
biographiques, bandes dessinées…), dont la
publication n’est pas forcément
récente, mais qui ont tous un rapport avec la
médecine. A chacun d’y puiser
selon ses centres d’intérêts.
Page 5
Conseil numéro 25 : Terrorisme
Conseil numéro 26: Introspection
Conseil numéro 27: Urgences
Conseil numéro 28: Ouvrages de références
Conseil numéro 29: Les Simpsons
Conseil numéro 30 : Théâtre nouveau
Retour sommaire
Nous allons
aborder cette fois-ci le thème du « Théâtre ».
Il existe de très nombreuses pièces
ayant un sujet médical, y compris dans le théâtre contemporain, mais nous avons
choisi deux pièces très classiques et fort célèbres, « Knock » de
Jules Romain et « Le médecin malgré lui » de Molière.
Jules Romain
Knock
Folio, 4,50 euros
Cette farce
en trois actes sous-titrée « Ou le triomphe de la Médecine » a été jouée
pour la première fois en 1923. L’interprétation de Louis Jouvet et sa version
cinématographique (1933 et 1950) en ont fait un immense succès. Aujourd’hui,
tout le monde connaît le célèbre passage « Est-ce que ça vous chatouille,
ou est-ce que ça vous grattouille ? ». De même que « Les gens bien portants
sont des malades qui s’ignorent. ».
Le Docteur
Parpalaid, qui, pendant les vingt-cinq ans de son séjour à Saint-Maurice, n’a
pas cru à la médecine ni fait fortune, vient de revendre au Docteur Knock un
cabinet sans clientèle (acte I). Ce dernier, joignant la ferveur du
missionnaire à l’énergie de l’homme d’action, spécule sur la peur de la maladie
et révèle le besoin de se soigner à la population du canton en commençant par
une consultation gratuite le jour du marché (acte II). Knock se révèle un homme
d’affaires avisé. Il a d’ailleurs fait ses premières armes dans le négoce des
cravates et de l’arachide. Désormais la maladie sera son gagne-pain. Très vite
on accourt pour se faire examiner. Fin psychologue, il a tôt fait de découvrir
les petits travers de ses patients ou de ses associés et il les exploite sans
vergogne : altruisme et orgueil intellectuel de l’instituteur, insatisfaction
du pharmacien, vanité du tambour... Le Docteur Knock, qui a su fédérer leurs
intérêts, a rapidement assuré la fortune de ses alliés. Mais sa vraie passion,
c’est la volonté de puissance. Au bout de trois mois, il peut montrer au
Docteur Parpalaid un paysage « tout imprégné de médecine » sur lequel
il règne sans partage. Le Docteur Parpalaid finit même par le consulter pour sa
propre santé (acte III). Ainsi la minable escroquerie de ce petit docteur de
campagne met-elle en valeur les talents de Knock qui, rapidement, a su assurer
"le triomphe de la médecine".
Plus qu’une
critique des médecins, « Knock »
est surtout une leçon politique, c’est une mise en garde contre les techniques
des dictateurs de toutes époques, contre ceux qui en enrobant leurs propos parviennent
à annihiler les volontés, qui déstabilisent les esprits les plus critiques
comme le docteur déstabilise les bien-portants en leur faisant croire qu’ils ne
le sont pas.
Ce très
beau rôle du répertoire a aussi été interprété par Fabrice Luchini, Michel
Serrault et même Bourvil.
Extrait :
« « Tomber malade », vieille notion qui ne
tient plus devant les données de la science actuelle. La santé n’est qu’un mot,
qu’il n’y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part,
je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins
nombreuses à évolution plus ou moins rapide. Naturellement, si vous allez leur
dire qu’ils se portent bien, ils ne demandent qu’à vous croire. Mais vous les
trompez. Votre seule excuse, c’est que vous ayez déjà trop de malades à soigner
pour en prendre de nouveaux. »
Molière
Le Médecin malgré lui
Bibliocollège, Classiques Hachette, 2,95 euros
Le problème de Molière est qu’il est
tellement étudié au collège, que très souvent les adolescents le voient comme
une contrainte et ne veulent plus en entendre parler le reste de leur vie.
Comment étudier les classiques sans en détourner les futurs adultes ?
« Le Médecin malgré lui »
est une comédie-farce de Molière en trois actes représentée pour la première
fois le 6 août 1666 au Théâtre du Palais-Royal. Dans cette pièce qui passe pour
une farce sans conséquence, Molière mêle le thème du couple à celui de la
médecine. La relation de couple est présentée dans ses trois états: la mésentente
(Sganarelle et Martine), la résignation, le doute et la tentation (Lucas et
Jacqueline) et la période initiale de l’ « Amour-Toujours » (Léandre
et Lucinde). Tout au long de la pièce, il y a en permanence un chassé-croisé
entre la parodie médicale et les aventures des trois couples.
« Le Médecin malgré lui »
est une plaisanterie énorme, pleine d’imbroglios, de pots de chambre qu’on hume
et de coups de bâton. L'humour est présent dès le départ. La scène de ménage
qui ouvre la pièce est une des plus célèbres du théâtre classique. On passe
insensiblement des reproches divers aux injures les plus variées et des injures
aux coups. Un voisin qui vient au secours de la femme battue sert de bouc
émissaire. « Je te pardonne mais je me vengerai » murmure Martine
quand son mari s'en va couper du bois.
Le Médecin que Molière nous donne à
voir n'est pas un vrai médecin, c'est Sganarelle, un bûcheron plein de ressources
et d'astuces, déguisé « malgré lui » en médecin. On peut donc rire de
lui, de son diagnostic, de ses explications, de ses remèdes. Ivrogne patenté,
roublard grandiloquent, intéressé et lubrique, Sganarelle est un rêveur
impénitent. Forcé de revêtir malgré lui l’habit de médecin, il ne tarde pas à
s’identifier à sa robe. Consultations burlesques, abus de pouvoir, délires scatologiques,
il ne nous épargne rien. On s’aperçoit peu à peu que cette parodie de la
médecine n’est pas si loin de ce qui se passe à notre époque. La blouse blanche
a remplacé la robe noire, les virus et les microbes ont pris la place des
humeurs et des vapeurs, mais la relation du malade au médecin est restée la
même. La peur de la maladie et de la mort mettent le médecin sur un piédestal.
Le discours médical, incompréhensible par définition et par fonction, ne répond
jamais à la question du malade qui est : « pourquoi suis-je
malade? »
Extrait:
« Sganarelle. – Non, vous dis-je; ils m’ont fait médecin malgré mes
dents. Je ne m’étais jamais mêlé si savant que cela; et toutes mes études n’ont
été que jusqu’en sixième. Je ne sais point sur quoi cette imagination leur est
venue; mais, quand j’ai vu qu’à toute force ils voulaient que je fusse médecin,
je me suis résolu de l’être aux dépens de qui il appartiendra. Cependant, vous
ne sauriez croire comment l’erreur s’est répandue, et de quelle façon chacun
est endiablé à me croire habile homme. On me vient chercher de tous les côtés;
et, si les choses vont toujours de même, je suis d’avis de m’en tenir toute ma
vie à la médecine. Je trouve que c’est le métier le meilleur de tous; car, soit
qu’on fasse bien, ou soit qu’on fasse mal, on est toujours payé de même sorte.
La méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos; et nous taillons comme il
nous plaît sur l’étoffe où nous travaillons. Un cordonnier, en faisant des
souliers, ne saurait gâter un morceau de cuir, qu’il n’en paye les pots cassés,
mais ici l’on peut gâter un homme sans qu’il en coûte rien. Les bévues ne sont
point pour nous, et c’est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de
cette profession est qu’il y a parmi les morts une honnêteté, une discrétion la
plus grande du monde; et jamais on n’en voit se plaindre du médecin qui l’a
tué.
Léandre. – Il est vrai que les morts sont fort honnêtes gens sur cette
matière. »
Clinic - Le spectacle qui soigne
Il s’agit là d’un spectacle à aller
voir. C’est une pièce de théâtre contemporaine dans laquelle les spectateurs ne
sont pas embarrassés par le texte… puisqu’il n’y en a pas. Ici, pas de longues
phrases ni de mots, la communication est basée sur de multiples onomatopées
mais aussi sur un langage inventé et incompréhensible, et pourtant bien
intelligible ! Parfois un mot est compréhensible et vient ajouter au gag
visuel. Il n’y a pas de décor en dehors d’un écran sur lequel sont projetés des
images illustrant la situation.
Du
bloc opératoire au service
psychiatrique en passant par la pouponnière, ce ne sont que gags
d’une
surprenante inventivité servis par des comédiens
impeccables sur un mode «
dessin animé » que Tex Avery n’aurait sans doute pas
renié. L’heure est au burlesque,
au décalé, à l'absurde… En
résumé, du sang, des boyaux, des trachéos…
Mieux
vaut donc avoir le cœur bien accroché. Certaines
scènes sont vraiment trash et
gore et on rit jaune.
Cathy Puech, Stéphane Joly, Jean-Lou
Chaffre, Jean-Lou De Tapia et Sarah Gellé, qui ont écrit et interprètent ce
spectacle, s'en donnent à cœur joie ! La mise en scène est d’Eric Métayer.
Conseil numéro 29 [haut de page]
Nous allons
cette fois-ci aborder un thème particulier puisqu’il s’agit de la série « Les
Simpson », un dessin animé très
populaire. Si vous n’en n’avez pas entendu parlé, c’est que vous n’avez pas
d’enfant de moins de 15 ans. La vie - souvent politiquement incorrecte - de
cette famille, s’adresse non seulement aux enfants, mais aussi (surtout ?)
aux adultes, du fait des très nombreuses références politiques, artistiques,
culturelles ou cinématographiques. L’aspect médical y est souvent abordé, et un
livre italien paru récemment analyse les très nombreux éléments scientifiques
présents dans cette série.
Les Simpson
Série disponible en DVD
"Les
Simpson" est une série américaine télévisée de dessins animés créée par
Matt Groening en 1987. L’intégrale de la saison 12 paraîtra en France en
septembre 2009. Aux Etats-Unis, ils en sont déjà à la 20ème saison.
Chaque épisode comporte en moyenne 15800 dessins. Il faut 20 semaines pour en
réaliser un et le travail d'environ 150 personnes. Cette série, dont le dessin
peut paraître grotesque et simpliste, les dialogues parfois grossiers et
vulgaires, est en fait extrêmement riche. L’apparition régulière de personnages
réels (président des Etats-Unis, groupes de rock, acteurs, scientifiques…) joue
un rôle important dans son succès.
Springfield est
une petite ville typiquement américaine, avec son épicerie, son école, sa
mairie, son poste de police, son bar, son centre commercial, sa télévision, ses
hamburgers, sa centrale nucléaire… et sa famille Simpson. Caricature de la
famille américaine moyenne, ils vivent au 742 Evergreen Terrace, un pavillon de
banlieue tranquille. La famille Simpson est composée de cinq membres : Homer,
Marge, Bart, Lisa et Maggie.
Homer, est un père
de famille fainéant, inconscient, stupide et totalement immature. Sa principale
occupation est de regarder la télévision en buvant une Duff, sa bière fétiche.
Il est également obnubilé par la nourriture, notamment par les donuts. Il
travaille à la centrale nucléaire de Springfield en tant que responsable de la
sécurité mais passe ses journées à dormir.
Marge, son
épouse, est une femme au foyer consciencieuse à la voix éraillée. Plus calme et
plus réfléchie, elle assure un équilibre avec le côté impulsif de son mari.
Bart leur fils,
est un petit garçon de 10 ans, plus intéressé par les bêtises que par les
études. Il joue les pires tours à son père et au personnel de son école.
Charmeur, enjôleur et meneur, il est le contraire de sa sœur avec qui il est
souvent en conflit.
Lisa leur fille
de 8 ans est surdouée et possède un très grand sens moral. Assoiffée de
connaissance, elle est également passionnée de musique et joue du saxophone.
Écologiste, bouddhiste et féministe, ses convictions politiques sont clairement
démocrates et plutôt libérales. Lisa incarne la voix de la raison dans la
série, mais elle n’est que rarement écoutée. Elle rêve d'être la première femme
présidente des Etats-Unis.
Enfin, Maggie
est l'éternel bébé de la famille. Elle suce tout le temps sa tétine. Âgée de 1
an, elle ne sait pas parler, mais elle est cependant parfaitement consciente de
tout ce qui se passe autour d'elle. Elle a également montré à plusieurs
reprises un certain talent dans le maniement des armes à feu.
Il y a bien sûr
de très nombreux personnages récurrents, faciles à identifier et ayant chacun
leurs travers, qui reviennent d’un épisode à l’autre.
La plupart des épisodes
sont émaillés de références cinématographiques, picturales ou musicales, et les
décors, certaines scènes, certaines musiques sont tirés de films ou séries
télévisées connus. Il faut être très attentif pour les découvrir. Il y a
également de nombreuses références picturales (tableaux, dessins, photographies
célèbres). De plus, la série n’hésite pas à revisiter le passé (mythologie,
histoire de France…) et même à se projeter dans le futur (d’ailleurs, Matt
Groening est aussi l’auteur d’une série de science-fiction en dessin animé :
« Futurama »).
Sur le plan
médical, il y a 2 médecins à Springfield et un psychanalyste. Nick Riviera est médecin
généraliste, chirurgien, chirurgien esthétique, cardiologue… C’est en fait un
véritable escroc, il pratique la médecine sans aucun diplôme et est la honte du
corps médical. Il ira jusqu’à pratiquer une opération au coeur à Homer. Le
Docteur Julius Hibbert est médecin généraliste, il soigne toute la famille Simpson
et a accouché Marge de ses trois enfants. Il se caractérise par son rire et les
blagues qu'il raconte à ses patients quand ils sont malades. Ces plaisanteries
ne font rire que lui mais ont peut-être des vertus thérapeutiques. Enfin, Marvin
Monroe est le seul psychanalyste de Springfield, et il préfère s'occuper
essentiellement de gens riches.
En 2003, la BBC a fait un sondage sur
Internet afin d'élire "le plus grand Américain de tous les temps" et c’est
Homer Simpson qui est arrivé en tête avec 47 % des 37 000 votes exprimés sur le
site. Suivi, dans l'ordre par Abraham Lincoln, Martin Luther King, Thomas Jefferson,
Georges Washington… chacun d'eux n'ayant pas obtenu plus de 10 % des suffrages
!
Marco Malaspina
Les simpson et la science
Vuibert, 16 euros
A travers cet
ouvrage l’auteur essaie de nous expliquer en quoi la série « Les
Simpson » peut nous permettre de
mieux comprendre les grands problèmes scientifiques contemporains. Dans ce
livre d’abord paru en Italie en 2007, un chapitre entier est consacré à la
médecine : le chapitre 3 intitulé « Tant qu’on a la santé ». Le
dessin de couverture de Jul (qui travaille à Charlie Hebdo), pour l’édition
française, rend bien sûr hommage à l’humour d’Albert Einstein.
La science est très
souvent abordée dans la série « Les Simpson », d’autant plus qu’Homer
travaille (si l’on peut dire…) dans la centrale nucléaire de Springfield, ce
qui a pour conséquence de nombreuses catastrophes. Les dangers de l’énergie
nucléaire justement, les batailles de l’écologie, l’économie de la santé,
l’industrie de la malbouffe, la médiatisation de l’astronomie (avec Stephen
Hawking en guest-star), l’enseignement des sciences, la résurgence du
créationnisme sont autant de thèmes dont Marco Malaspina - qui est
astrophysicien, chroniqueur et animateur d’une émission de vulgarisation
scientifique à la radio - montre l’acuité critique de leur traitement dans
cette série.
En
fait,
l’auteur montre tout au long du livre qu’à chaque
fois que les Simpson évoquent
quelque chose de vraiment scientifique, souvent à travers la
parole de Lisa, «
les scénaristes ont l’habileté
d’accélérer le rythme des dialogues,
jusqu’à les
rendre presque inintelligibles, réduisant de ce fait
pratiquement à zéro le
danger que les téléspectateurs apprennent quoi que ce
soit. ». En clair, «
personne ne pourra qualifier les Simpson de dessin animé
didactique. »
Pourtant,
Malaspina prend la peine de nous expliquer à quel point les Simpson jouent un
rôle sociétal important. Dès les premières lignes il nous rappelle que Le Time
l’a qualifié de meilleur programme télévisuel des années 90, et que parmi tous
les prix que la série a remportés on compte le Peabody Award - reconnaissance récompensant
le plus souvent un journaliste d’investigation - attribué à la série en 1996
pour « son acerbe satire sociale ». Tout au long de cet ouvrage, il nous montre
que d’un strict point de vue scientifique, la série Simpson s’avère être une
véritable mine d’or.
Ainsi,
ce livre
permet de lever quelques énigmes sur les anecdotes
placées dans les épisodes
des Simpson. Par exemple, le mot écrit par Maggie avec ses cubes
« EMCSQU » est
en fait la traduction en lettres de la célèbre
équation E=Mc² (EMC square). De
même, dans l’épisode où Homère est
perdu dans la troisième dimension, il croise
des égalités telles que 1+1=2, mais aussi
1782²+1841²=1922². Cette dernière
égalité n’a pas été choisie au
hasard, il s’agit de l’illustration du
théorème
de Fermat selon lequel il n’existe pas de solutions
entières positives à
l’équation an + bn = cn pour n > 2. Pourtant, si on la
vérifie à la
calculatrice, l’égalité choisie par les auteurs
semble juste. L’erreur
provenant du fait que notre calculatrice ne peut afficher suffisamment
de
caractères. Rien n’est laissé au hasard, même
la théorie d’un monde en forme de
donut évoqué par Homer renvoie réellement à
un fait scientifique, la théorie
dite du modèle toroïdal. Tout ça parce que
l’équipe de scénaristes des Simpson
comprend de nombreux scientifiques diplômés
d’Harvard. Ce qui explique aussi la
présence de nombreux scientifiques en guest dans la série
comme Dudley Herschbach
qui déclara que son passage dans les Simpson a été
plus marquant sur son CV que
son prix Nobel de chimie (1986).
Enfin, pour
Malaspina « Le punching ball des scénaristes des Simpson est sans l’ombre d’un
doute le système médical américain ». D’ailleurs, comme l’indique Homer avec
patriotisme : « T’en fais pas, Marge. Le système de santé américain est
seulement second derrière le Japon… le Canada, la Suède, la Grande-Bretagne…
toute l’Europe. On peut remercier notre bonne étoile, on ne vit pas au
Paraguay. » La critique du système de santé est particulièrement bien mise en
valeur par la rivalité entre les deux médecins de Springfield. Le docteur Hibbert
qui a inscrit sur la porte de son cabinet « organisation à but lucratif » et le
docteur Riviera qui prend des cours sur cassette vidéo avant chaque
intervention qu’il réalise pour seulement 129$99. Malaspina montre aussi que beaucoup
de sujets médicaux contemporains sont traités dans les Simpson: que ce soit la
repousse des cheveux, l’infertilité, la marijuana médicinale, le trafic de
médicaments dans les pays pauvres ou les pilules pour calmer les enfants au
comportement antisocial.
Extrait :
« En décembre 1998, les médecins
canadiens, en feuilletant le numéro de Noël du Canadian Medical Association
Journal, revue scientifique qui existait déjà depuis un siècle, tombèrent sur
un article au titre inhabituel : « D’oh ! An analysis of the medical care provided to the family of Homer J.
Simpson”. Et
il ne s’agit pas d’une homonymie: l’article,
signé de
Robert Patterson et Charles Weijer, respectivement chirurgien et
professeur de
bioéthique, fait bien référence à la plus
célèbre famille de Spingfield. Il s’agit
plus précisément d’une comparaison entre les deux
médecins des Simpson, Julius
Hibbert et Nick Riviera. Une comparaison qui vise à
déterminer lequel de ces
docteurs animés incarne le mieux le modèle que tout bon
médecin du XXIe siècle
devrait suivre pour adhérer au standard de l’assistance
sanitaire
contemporaine, c’est-à-dire savoir allier
efficacité du management, limitation
des coûts et satisfaction de la clientèle. La cible du
sarcasme de Patterson et
Weijer est le modèle d’entreprise de santé publique
qui se répand aussi bien au
Canada qu’en Italie [sans parler de la France], avec son cortège pompeux d’excellence,
d’apprentissage constant, d’efficacité, de pratiques innovatrices, de risques
d’entreprise, sans oublier l’immanquable mission, entre l’enthousiasme de
nombreux managers et politiques et le malaise de tout aussi nombreux ouvriers
et patients. »
Le film
Un
film avec les
personnages de la série est sorti en 2007 (disponible en DVD).
Dans le film,
suite à une pollution du lac de Springfield provoquée par
Homer Simpson avec
des déchets toxiques, le gouvernement américain (le
président des Etats-Unis
étant Arnold Schwarzenegger qui, lorsqu’il doit choisir
parmi différents plans,
prononce cette phrase : « On m'a élu pour agir,
pas pour lire. »)
décide que la ville entière est devenue une menace
globale pour l'environnement
du pays et recouvre donc Springfield d'une immense cloche dans
l'intention d'y
éradiquer toute forme de vie. Il faut noter que l’une des
chansons du film,
« Spider-Cochon » a eu un franc succès et
a été souvent téléchargée
comme sonnerie de téléphone.
Conseil numéro 28 [haut de page]
Nous allons
cette fois-ci aborder le thème des « Ouvrages
de référence ». Pour la médecine, il s’agit bien sûr de l’œuvre
médicale d’Hippocrate. Pour la chirurgie, nous avons choisi Ambroise Paré qui
peut être considéré comme le père de la chirurgie moderne et qui a essayé de
vulgariser son savoir en écrivant en français et non pas en latin.
Hippocrate
De l’art médical
Livre de poche, 9,95 euros (sur Internet)
Il s’agit
d’une édition qui date de 1994 et qui reprend une traduction d’Emile Littré.
Né dans la
confrérie médico-religieuse des Asclépiades, qui étaient les descendants
présumés des dieux de la
Médecine, Hippocrate est éduqué par sa famille avant de
compléter sa formation à Athènes. Lors de nombreux voyages, il parfait ses
connaissances et donne des cours qui seront largement diffusés par ses disciples.
Hippocrate a donné son caractère scientifique à la médecine qui jusqu'alors
détenait un caractère profondément sacré. En effet, c'est le premier en
Occident à voir dans tous les symptômes des causes uniquement naturelles et à
définir le but de la médecine : seconder la nature et avant tout ne pas nuire.
Aujourd'hui encore, la profession médicale reste fidèle aux devoirs édictés par
Hippocrate dans son célèbre « Serment ». Pour Hippocrate, « La
vie est courte, l’art est long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse, le
jugement difficile. »
Il met en
place les bases de la médecine rationnelle, qu’il ne dissocie pas de la
pratique dont il célèbre la valeur fondamentale. Ainsi Hippocrate pose-t-il les
bases d’un véritable art médical où il dégage l’intérêt des techniques du
diagnostic et des soins, qu’il associe également à une vision philosophique et
éthique du vivant. La médecine dispose d’un langage spécifique et elle peut
mettre en avant des réalités, ce qui lui permet (à l’encontre des détracteurs
du médecin qui considèrent sa pratique incertaine et aléatoire) de guérir ou
d’atténuer les maux. Le médecin est celui qui est capable de raisonner sur les
cas présents en se référant aux cas passés auxquels ils ressemblent. Les
ressources qui caractérisent l’art médical sont au nombre de trois : 1) Opposer
les maladies visibles auxquelles il s’attaque aux maladies invisibles ; 2)
Souhaiter une alliance entre le malade et son médecin ; et 3) La médecine
est un art qui connaît ses limites, et qui est raisonnable en ce qu’elle refuse
de prendre en charge les cas désespérés.
Même si
tous les malades ne guérissent pas, même si certains guérissent sans médecin,
Hippocrate pose qu’en médecine, le hasard n’existe pas. L’art médical est donc
ce qui permet de « plus prouver par des faits que par des paroles ».
Cet art est par ailleurs bien attesté par l’adresse et l’habileté du médecin
qui est en même temps un praticien. Ce même médecin peut donc prêter le fameux
serment : s’engager envers les malades à chercher toujours leur bien,
c’est-à-dire à sauvegarder la vie actuelle et à venir, à respecter leur
personne et leur intimité. Il y a bel et bien un engagement moral de la part du
jeune médecin. Cette expression d’une déontologie de la médecine veut éviter
les critiques et les accusations répandues contre la médecine et son
inefficacité. Par le serment, le médecin s’engage dans son art à s’interdire
toute interprétation douteuse, il s’engage à protéger les intérêts du malade
qui sont inséparables des siens propres.
Extrait :
« La règle du médecin doit être d’avoir une
bonne couleur et de l’embonpoint, suivant ce que comporte sa nature ; car
le vulgaire s’imagine que ceux dont le corps n’est pas ainsi en bon état ne
sauraient soigner convenablement les autres. Puis il sera d’une grande propreté
sur sa personne, mise décente, parfums agréables et dont l’odeur n’ait rien de
suspect ; car, en général, tout cela plaît aux malades. Quant au moral,
l’homme sage non seulement sera discret, mais aussi il observera une grande
régularité dans sa vie ; cela fait le plus grand bien à la
réputation ; ses mœurs seront honorables et irréprochables, et, avec cela,
il sera pour tous grave et humain ; car se mettre en avant et se prodiguer
excite le mépris, quand même ce serait tout à fait utile. Qu’il se règle sur la
licence que lui donne le malade ; car les mêmes choses se présentant
rarement aux mêmes personnes sont bienvenues. Quant à l’extérieur, il aura la
physionomie réfléchie, sans austérité ; autrement il paraîtrait arrogant
et dur ; d’un autre côté, celui qui se laisse aller au rire et à une
gaieté excessive est regardé comme étranger aux convenances ; et cela, il
faut s’en préserver soigneusement. La justice présidera à toutes ses relations,
car il faut que la justice intervienne souvent ; ce ne sont pas de petits
rapports que ceux du médecin avec les malades ; les malades se soumettent
au médecin, et lui, à toute heure, est en contact avec des femmes, avec des
jeunes filles, avec des objets précieux ; il faut, à l’égard de tout cela,
garder les mains pures. Tel doit être le médecin pour l’âme et pour le corps. »
Amboise Paré
La manière de traiter les plaies
Presses Universitaires de France, 35 euros
Cette
édition en fac-similé est présentée avec en illustration de couverture une main
artificielle imaginée par Ambroise Paré pour remplacer le membre manquant.
C’est un très bel objet à feuilleter qui reproduit l’édition originale avec de
nombreuses illustrations en couleur (en particulier le rouge sang des plaies)
et qui vaut surtout par l’admirable préface de Marie-Madeleine Fragonard,
Professeur de littérature à Paris III. En effet, le texte d’Ambroise Paré étant
en ancien français avec les caractères d’imprimerie de l’époque, il est
pratiquement illisible pour un lecteur non spécialisé. On peut donc regretter
que l’éditeur n’ait pas mis en fin d’ouvrage une version en français moderne
des passages les plus significatifs.
Ambroise
Paré est le chirurgien des champs de bataille, le père de la chirurgie moderne.
Autodidacte ne sachant ni le grec ni le latin, il publia à dessein ses ouvrages
en français. C’était un chirurgien en lutte contre les médecins, un homme formé
sur le terrain que le roi a du imposer, un homme humble devant l’inconnaissable
et les difficultés de son art. Il se bat contre les idées toutes faites, au nom
de l’expérience et de l’observation. On pourrait résumer sa philosophie par :
« J’ai vu, j’ai fait, j’ai déduit ».
L’usage
nouveau des armes à feu conduit à de nouvelles plaies que l’on cautérise au fer
rouge ou à l’huile bouillante au risque de tuer le blessé. Ambroise Paré a mis au
point la ligature des artères, qu'il substitue à la cautérisation, dans les
amputations et il est l'inventeur de nombreux instruments qui figurent en
illustration dans son texte.
Le
thème des
plaies par armes à feu a déjà été
traité à l’époque par Jean de Vigo,
chirurgien du Pape Jules II, dans un ouvrage édité
à Rome en 1514 et traduit en
français en 1525. C’est d’ailleurs lui que
réfute Paré lorsqu’il écrit que les
plaies ne sont pas vénéneuses. Après ce premier
ouvrage de 1545, Ambroise Paré
a écrit des ouvrages plus ambitieux, mais il s’agit ici du
texte fondateur dans
lequel il réfute les pratiques admises. La manière de
traiter les plaies
illustre la science en français, compréhensible et
didactique : il faut que
l’utilité et le plaisir du lecteur
s’équilibrent.
Le fait
d’avoir ici une édition coloriée fait ressortir des éléments que la gravure en
noir et blanc laisserait presque inaperçus. Ces gravures n’ont pas la mise en
scène de celles de Vésale mais elles sont au contraire très réalistes, en
situation, en action : la balle retirée coincée entre les branches des
pinces, le doigt médian coupé par les cisailles, la jambe transpercée par les
flèches avec les différents types de tenailles pour pouvoir les extraire.
Extrait de la préface de Marie-Madeleine
Fragonard :
« Tant de loyaux services lui valent d’être
l’objet d’un passe-droit royal. Paré ne sait pas de latin ? Qu’importe,
qu’il en apprenne juste assez pour répondre aux questions prévisibles et, avec
un gros cadeau royal, le voilà prêt pour une réception gratuite au collège de
Saint-Côme. La demande faite le 18 octobre 1553, il est reconnu apte le 23,
bachelier le 27 malgré des barbarismes, le 8 décembre licencié, le 17 décembre
docteur en chirurgie… pour une soutenance en français qui viole horriblement
les coutumes. Le chirurgien du roi voit son savoir reconnu, par la protection
royale, et non du fait de sa seule science. »
« (…) Il fait face au cas extraordinaire et qui a
inspiré les gravures du XIXe siècle : l’accident du roi Henri II (…).Au
demeurant, ce n’est pas le premier accident de tournoi que soigne Paré, et il
semble n’y avoir tenu qu’un rôle objectivement mineur, aux côtés de tous les
médecins de Paris, voire de France et des monarchies voisines, assemblés au
chevet du roi, cette agonie royale encourageant elle-même la méthode
expérimentale qui consiste à utiliser des condamnés à mort pour reproduire la
blessure, donc les ravages, donc la façon de faire le moins possible de dégâts
supplémentaires en retirant le morceau de lance. Le roi Henri II mort, Paré
devient chirurgien de François II, puis de Charles IX (…). »
Autre ouvrage de référence
Pour la
gérontologie, on n’oubliera pas de citer le De Senectute ou « Savoir
vieillir » de Cicéron (106-43 avant JC). Ce court texte écrit sous la
forme de dialogues met en scène Caton l’Ancien (234-149 avant JC) alors âgé de
84 ans ce qui était tout à fait exceptionnel pour l’époque. Cicéron insiste
particulièrement sur le rôle de conseiller que peuvent jouer les vieillards et
il critique point par point « les quatre raisons possibles de trouver la
vieillesse détestable. 1) Elle nous écarterait de la vie active. 2) Elle
affaiblirait notre corps. 3) Elle nous priverait des meilleurs plaisirs. 4)
Elle nous rapprocherait de la mort. »
Nous allons
cette fois-ci aborder le thèmes des « Urgences »
à travers deux auteurs français. Tous deux sont médecins et ont travaillé aux
urgences de deux grands hôpitaux parisiens : Saint-Antoine et Tenon. Il
s’agit du très médiatique Patrick Pelloux et du plus discret Dominique Meyniel.
Tous deux ont raconté leur vision des urgences et des malades.
Patrick Pelloux
Urgentiste
Fayard, 18 euros
A distance de la canicule de 2003, il
est intéressant de lire ou de relire le livre de Patrick Pelloux (en faisant
abstraction du coté « moi je ») qui dissèque les événements qui ont
eu lieu cet été là. La question qui reste posée est : que se passerait-il
aujourd’hui en cas de situation analogue ? Malheureusement, il est fort
probable que notre système de santé serait à nouveau débordé.
L’auteur, qui est depuis 1998 à la
tête de l'Amuhf, l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France
est maintenant connu de tous les Français. Il travaillait à l’époque dans le
service des urgences de l’hôpital Saint-Antoine à Paris (1995-2008) et il a été
le premier à donner l'alerte, et à annoncer la menace d'une catastrophe
humanitaire pour le pays. Dans ce livre, il raconte la chronologie et les
événements quotidiens de l'hécatombe d'août 2003. Il évoque aussi ses relations
difficiles avec les conseillers du ministre de la santé de l’époque
Jean-François Mattei, les responsables de l'appareil de la santé publique, les
élus politiques et, bien sûr, les jeunes journalistes des médias, seuls
présents à Paris cet été-là. Dans la dernière partie, il dresse le constat de
la situation alarmante de l'hospitalisation publique, la privatisation à bas
bruit et le marasme qui se sont emparés des hôpitaux.
Depuis 2003, Patrick Pelloux a
continué de se distinguer par son implication dans la défense de l'hôpital
public et du service public qui y est rendu. Il est très actif dans les médias
et a plaidé la cause de l'hôpital public auprès des gouvernements successifs. Il
est régulièrement réélu à la tête de l'Amuf (le nom de l'association a perdu
son « H », ne se composant plus uniquement d'hospitaliers) qui compte 2 000
médecins urgentistes. Il est également vice-président de la Confédération des
Praticiens des Hôpitaux, une des organisations intersyndicales regroupant les
praticiens hospitaliers de toutes les disciplines médicales et pharmaceutiques.
En septembre 2008, il a été renvoyé de l'hôpital Saint-Antoine et muté au SAMU
de Paris.
Par ailleurs il tient une chronique
dans Charlie Hebdo où il raconte des histoires
vécues à son travail et dénonce les conséquences des décisions politiques
prises par les différents gouvernements sur l'hôpital public. Ces chroniques
sont parues en recueil sous le titre « Histoire d'urgences » aux éditions du
Cherche Midi (2007). Il a reçu un prix de l'Institut de France pour ses écrits
en 2005 (prix Cino Del Duca). Il intervient aussi comme chroniqueur dans
l'émission « Le Magazine de la
santé » sur France 5 et très souvent à la radio où il intervient comme
chroniqueur sur Europe 1.
Ce livre n’a pas été édité en format
poche et il faut le rechercher sur Internet.
Extrait :
« Désormais les enjeux
politiques autour de la question de l’hôpital sont débattus publiquement. Il
suffit, chaque jour, de consulter la presse pour juger de l’ampleur des
problèmes auxquels l’appareil de santé est confronté. Les marchandages entre
les élus et les institutions autour du maintien ou non des maternités locales,
des services d’urgence, de la fermeture de lits hospitaliers concernent tous
les Français. La Républiqueveut-elle
maintenir l’égalité territoriale des soins ?
La multiplication
des crises sanitaires – sang contaminé, vaccination contre
l’hépatite B, les
effets de la « vache folle », affections
nosocomiales, légionelloses
– finit par entacher la réputation de la santé
publique dans nos régions. Fort
ébranlés déjà par la mise à
l’encan des principaux services publics, les
Français, qui tiennent à la démocratie sanitaire
comme à la prunelle de leurs
yeux, se rendent compte que l’hôpital n’est
déjà plus l’hôpital. La pensée
économique unique
détruit lentement les principes de ce
patrimoine républicain. Si cet ultime espace
d’égalité était plus menacé
encore, une crise sociale sans précédent
s’ensuivrait. »
Dominique Meyniel
Le couloir des urgences
Le livre de poche, 4 euros 50
Dominique Meyniel qui était le chef
de service des urgences de l’hôpital Tenon (qu’il prend plaisir à appeler
l’hôpital de Ménilmontant) est depuis 2006 chef du pôle UMT (Urgences,
Médecine, Tête). Dans ce livre fait de petites histoires vécues, il entend ne
rien prouver, ni ne rien dénoncer. Il ne s’agit en aucun cas d’un livre de
polémique. Il raconte, il témoigne. Il nous rappelle que la meilleure médecine
du monde ne saurait oublier la compassion, l’écoute, l’attention à l’être
humain. Derrière chaque plainte et derrière chaque situation qui peut sembler
surprenante, il faut discuter avec le malade et sa famille pour mieux les
comprendre. Il considère que le chef de service des urgences est un peu le bouc
émissaire de l’hôpital et qu’il est chargé de recevoir et de répondre à toutes
les plaintes des malades et des familles. Il se compare au Malaussène de
Pennac. Le texte est donc composé de nombreuses lettres répondant à des
plaintes adressées à l’hôpital. Ces lettres sont toujours pleines d’humour. Cet
humour traduit l’absurdité de beaucoup des situations vécues aux urgences. De
l'horreur à la tendresse, en passant par la dérision, elles expriment avec
éloquence le quotidien d'un lieu où s'entrecroisent des destinées en
déséquilibre. Un témoignage pour une réflexion sur notre société et ses exclus:
malades, psychotiques, SDF, personnes physiquement ou moralement seules. Il
s’agit d’un quotidien presque banal, loin de ce que l’on peut voir dans la
série américaine « Urgences ».
Les exemples donnés en quatrième de
couverture donnent bien le ton du livre : « Pourquoi cet Africain
veut-il un certificat qui établisse qu’il n’est pour rien dans la mort de son
épouse ? Pourquoi l’infirmière Rose pousse-t-elle le dévouement jusqu’à venir
travailler hors de son temps de service, au point de se rendre importune ?
Pourquoi la famille absente d’un patient mort du sida accuse-t-elle soudain les
médecins de non-assistance à personne en danger ? »
L’extrait que nous avons choisi
montre bien les dérives actuelles de notre
société et le ton plein d’humour du livre.
Extrait :
« Monsieur le Directeur,
Je vous remercie de m’avoir transmis
le courrier de Monsieur X., adressé au ministre de la Santé et au président de la
république, exprimant son profond mécontentement quant aux conditions de sa
prise en charge aux urgences. Monsieur X. a été conduit aux urgences par les
pompiers de Ménilmontant, à la suite d’un malaise sur la voie publique,
révélateur d’un infarctus du myocarde antéro-septal. A son arrivée dans le
service, il était en arrêt cardio-respiratoire et a été intubé , ventilé et
massé pendant 10 minutes au cours desquelles ont été pratiqués 3 chocs
électriques externes et l’injection d’une dose cumulée de 10 mg d’adrénaline. A
la reprise d’une hémodynamique compatible avec un transfert, nous avons adressé
Monsieur X. dans le service de soins intensifs où il a bénéficié d’une
angioplastie. Les suites ont été simples et Monsieur X. a pu regagner son
domicile au 10e jour.
Il est possible que ce soit au cours
des manœuvres de réanimation initiales qu’ait malheureusement été égarée la
pipe de Monsieur X. auquel je vous demande de transmettre toutes nos
excuses… »
Leur actualité
Patrick Pelloux vient de sortir un
nouveau livre « Urgences pour l’hôpital » (14 euros) dans lequel il
développe le débat sur l’avenir de l’hôpital public. A signaler aussi le livre plus
amusant « J’aime pas la retraite » (10,50 euros) avec le dessinateur
Charb et rédigé entièrement dans l’esprit Charlie Hebdo.
Il est intéressant de noter que les
deux urgentistes ont le même éditeur : le cherche midi. Dominique Meyniel
vient d’y publier un ouvrage qu’il a dirigé sur « Tenon, l’hôpital de
Ménilmontant » (30 euros). Il s’agit d’un ouvrage historique, très
richement illustré, reprenant l’évolution médicale et architecturale de
l’hôpital Tenon depuis son ouverture en 1878. Verlaine y a séjourné et
l’appelait le « littéral palais ». Le chapitre sur la tuberculose,
basé sur les registres des décès conservés depuis l’ouverture de l’hôpital est
particulièrement intéressant. On y voit bien le fléau qu’a été cette maladie
jusqu’en 1952 et la découverte de l’isoniazide (Rimifon).
Conseil numéro 26 [haut de page]
Nous allons
cette fois-ci explorer le domaine de l’ « introspection » à travers 2 romans, l’un irlandais et l’autre
américain. Les deux concernent des hommes âgés qui approchent du terme de leur
vie et qui font le point avec plus ou moins d’honnêteté. Même s’ils sont issus
de milieux très différents, il y a finalement de nombreux points communs entre
les personnages de ces deux romans, en particulier, ils ont commis beaucoup
d’erreurs et finissent pas se retrouver seuls. Au final, ces deux ouvrages
donnent une vision très pessimiste de la vieillesse.
Robert McLiam Wilson
La douleur de Manfred
10/18 domaine étranger, 7,80 euros
Ce roman publié en 1992 en
Grande-Bretagne, n’a été traduit en français qu’en 2003. Une phrase résume bien
le style concis et souvent plein d’humour de cet auteur né à Belfast ouest en
1964 : « Il était né en février, ce mois
rabougri. »
Dans ce livre, l’auteur décrit les
derniers jours d’un vieillard solitaire et brisé, Manfred, qui souffre d’un
certain nombre de douleurs qu’il revendique et même qu’il accepte comme une
sorte de rédemption. Il sait qu’il va mourir sous peu. Il y a d’abord une
douleur physique, lancinante qui lui tenaille le ventre, le détruit à petit feu
et qu’il refuse de confier aux médecins : il ne veut pas qu’on le soigne.
Mais surtout, il abrite des souffrances plus intimes : celles liées au souvenir
de la Seconde Guerre
mondiale et, principalement, celles de son mariage avec Emma, une rescapée des
camps de la mort. Et cette souffrance pernicieuse, c’est le remord d’avoir
battu sa femme. C’est pourquoi Manfred s’accommode parfaitement de sa mort
programmée, qu’il préfère de loin au suicide. Convaincu qu’il mérite son triste
sort, il refuse de prendre les médicaments qui pourraient peut être apaiser sa
douleur.
Robert McLiam Wilson décrit avec une
précision clinique les principaux événements qui ont marqué la vie de Manfred,
en particulier son adolescence pendant l'entre-deux-guerres, son éducation dans
une modeste famille juive et les humiliations antisémites dont son père fut
victime. Pendant la
Seconde Guerre mondiale, Manfred est envoyé en Afrique, puis
en Italie. Il connaît l’horreur des champs de bataille, l’odeur putride des
corps qu’il faut déblayer. Puis vient l'après-guerre à Londres et le bonheur
des premières années de vie commune avec Emma, une Tchèque rescapée de la Shoah. Sans qu’on ne
sache vraiment pourquoi, à la naissance de leur fils Manfred devient jaloux,
d’une jalousie pathologique. Le long déclin de Manfred commence alors, le jour
où il bat sa femme pour la première fois. Puis vint la deuxième fois. Puis la
troisième. Puis la quatrième. Puis la cinquième. Le jour où la brutalité de son
époux a atteint son paroxysme, Emma décide de lui dévoiler les détails sordides
de son passage à Birkenau, où elle a perdu toute sa famille. Manfred comprend
alors que ses actes sont définitivement impardonnables et qu’il n’a plus
d’autre choix que de quitter le domicile conjugal.
L’auteur nous fait partager les
affres physiques et morales, les tourments, les joies et les indignations d’une
«fin de vie» où le tragique et souvent le burlesque s’entremêlent. En tout état
de cause, ce roman dérange parce qu'on s'attache à Manfred, un personnage hors
du temps, à la politesse exquise et surannée. Mais cette compassion devient
plus difficile à assumer au fur et à mesure du livre en raison des actes qu’il
a commis sur sa femme.
En médecine, lorsqu’on prend en
charge un malade âgé, on le voit à un temps t avec ses problèmes actuels. Pourtant
ce livre montre bien qu’un tableau clinique isolé est difficile à interpréter
si on n’a pas toute l’histoire de vie du patient.
Extrait :
« Mais
son cou le déprimait. C’était un sac de bourrelets, de plis et d’affaissements.
Son menton lâchait une voile bulbeuse de chair et de chaume sur sa gorge. Quand
il tournait la tête, son cou oscillait et s’allongeait pour le faire ressembler
à une volaille lugubre, dissipée. Il s’étonnait que les gens ne manifestent
aucune révulsion à la vue d’un tel délabrement, mais il comprenait alors qu’il
n’avait rien d’exceptionnel. Voilà exactement comment les gens imaginaient les
vieillards.
Manfred fut surpris de se trouver vieux. Ce constat évoquait une
évolution impossible, improbable. Comment était-ce arrivé ? Il n’avait pas
remarqué la venue de la vieillesse. Comme d’autres, il avait compté les années
et elles s’étaient présentées à lui avec la régularité implacable de son
déclin, mais un jour les preuves constatées par ses yeux lui tendirent une
embuscade imprévue. Il soupçonna quelque injustice. Il se demanda si d’autres
gens de son âge se considéraient comme étant vieux. Sans doute que non. Le
territoire commun partagé par tous ces gens était celui de leur jeunesse, et
non l’accident de leur décrépitude. »
Philip Roth
Un homme
Gallimard, 15,50 euros
Il s’agit du 27ème roman
de Philip Roth. En début du livre, une citation de John Keats qui commence par
« Ici-bas, où les hommes ne s’assemblent
que pour s’entendre gémir », donne le ton.
Il s’agit de conter l'existence d'un
homme ordinaire, en utilisant le fil conducteur de ses séjours à l'hôpital,
rares dans sa jeunesse, puis annuels, puis quotidiens, puis plus rien. Il ne
porte pas de nom. Il est « un homme ». Tous les hommes. «Everyman», comme l'indique le titre original du livre. Un homme
comme les autres, fils d'un bijoutier, devenu publicitaire reconnu dans une
agence de New York, puis peintre retraité talentueux. Un homme dont la vie
amoureuse fut un échec : trois mariages, trois divorces. Une première femme par
convenance ; une seconde par amour ; une dernière, mannequin de vingt-quatre
ans, pour le sexe. De son premier mariage, il a eu deux fils qui le méprisent
et du second, une fille Nancy qui l'adore. Il est le frère bien-aimé d'un homme
sympathique (Howie) dont la santé vigoureuse lui inspire amertume. Sa vie est faite
de souvenirs d’hospitalisations et de maladies : amygdales, hernie,
appendicite, pontages, angioplastie, stents coronariens, stent rénal,
défibrillateur, endartériectomies… Sans parler de toutes les pathologies de son
entourage ! Entre une péritonite aiguë et un quintuple pontage coronarien,
l'auteur aborde les questions essentielles de la fin de vie. Car avec la
maladie et la solitude viennent les interrogations sur la vie, sur sa vie. Les
choix non assumés, la culpabilité d'avoir été un mauvais père ou un destructeur
de bonheur.
Philip
Roth traque le vieillissement
inéluctable de son personnage, les opérations successives
qu'il subit, la
retraite, l'ennui, l'absence d'illusions, les derniers espoirs si
désespérément
vains et pathétiques pour séduire, lui qu'affolait le
moindre jupon, la plus
prévisible des secrétaires, la plus aguicheuse des
mannequins, et surtout le
gâchis de la vie, des mariages ratés et la mort au bout de
la route... La mort
surtout, qui ouvre ici le roman, car tout commence
précisément par cette mort,
par les obsèques du héros, dans un petit cimetière
juif quasiment à l'abandon,
quelque part près de Newark, au bout d’un aéroport.
Le livre s’achève sur un lit
d’hôpital où la mort prend le relais d’une
anesthésie générale, réclamée par le
« patient » à l’approche d’une nouvelle
opération qui semblait plutôt banale. Ce
roman est assiégé par la mort, la vieillesse, la maladie
et ses corollaires :
la souffrance physique, l'affaiblissement, la décadence du
corps, l'aigreur. Il
décrit admirablement combien, passé un certain âge
qui coïncide avec la fin de
l’activité, l’oppression de la douleur physique peut
tourner à l’obsession. Combien
cette soumission à l’état incertain du corps
devient une aliénation. Combien la
mémoire sape le moral. Perclus de souvenirs, bons ou mauvais, la
vie s’achève,
dans l’impuissance, entre regrets et remords, avec un
pathétique besoin de
réconfort que rien ne parvient vraiment à rassasier.
Extrait :
« A
l’intérieur du bloc, une demi-douzaine de personnes
évoluaient sous la lumière
aveuglante. Il ne put distinguer le chirurgien des autres soignants.
Son visage
sympathique l’aurait rassuré, mais il n’était
pas encore là, ou alors il
s’était mis dans un coin où il ne pouvait pas bien
le voir. Plusieurs des
jeunes médecins avaient déjà passé leur
masque, qui leur donnait des allures de
terroristes. L’un d’entre eux lui demanda s’il
souhaitait une anesthésie locale
ou générale, sur le même ton qu’un serveur
lui aurait demandé s’il préférait du
vin rouge ou du blanc. Il fut désarçonné –
il était bien temps de se préoccuper
de ce choix ! « Je ne sais pas, répondit-il,
qu’est-ce qui vaut mieux ? – Pour
nous, l’anesthésie locale. On suit bien mieux le
fonctionnement du cerveau sur
le moniteur si le patient est conscient. – Vous me dites que
l’anesthésie locale
est plus sûre, c’est bien ça que vous me dites ?
Alors, va pour l’anesthésie
locale. »
Ce fut une erreur. Une erreur à peine supportable : l’opération dura deux
heures, qu’il dut subir en suffoquant, la tête emmaillotée dans un linge ;
l’artère sectionnée et grattée se trouvait si proche de son oreille qu’il
entendait le moindre mouvement des instruments comme dans une chambre d’écho.
Mais il n’y avait rien à faire ; pas question de se débattre. Serrer les dents.
Ne pas donner prise à la douleur, attendre que ça passe. »
Autre ouvrage de Philippe Roth
Il faut surtout évoquer le très
célèbre « Portnoy et son complexe ».
Le roman apparaît comme une longue confession,
un long monologue qu’Alexander Portnoy livre sans pudeur à son psychanalyste. Il
raconte sa vie de fils d'immigré juif dans un style littéraire provocateur qui
fit grand bruit à la sortie du livre en 1969. Tout est dit au début du
roman : Portnoy, qui a 33 ans, a un problème avec les femmes. Trouble
caractérisé par un perpétuel conflit entre de vives pulsions d'ordre éthique et
altruiste et d'irrésistibles exigences sexuelles, souvent de tendance perverse.
Il doit ce "problème" à son éducation maternelle et à sa religion. Sa
mère est excessive comme seules savent l'être les mères juives. Son père Jack
vit terrifié par la constipation qui menace sans cesse ses entrailles. Portnoy,
lui, prend conscience de sa sexualité avec excès. Adolescent, il se masturbe
avec délectation ; adulte, il multiplie les conquêtes féminines, incapable de
se fixer, incapable de se limiter à une seule compagne. Portnoy aime la
variété, il savoure chaque nouvelle partenaire sexuelle en collectionneur. Les
titres des chapitres sont évocateurs, comme « la branlette » et « fou
de la chatte » par exemple, et en disent long sur les tendances sexuelles
du personnage.
Conseil numéro 25 [haut de page]
Nous allons
aborder cette fois-ci le thème du « Terrorisme »
à travers 2 romans très différents. Dans le premier, l’univers médical est
secondaire, même si le personnage principal est médecin ; ce qui compte
c’est d’essayer de comprendre comment on peut en arriver à un geste aussi
extrême que de se faire sauter avec une bombe. Le second est un roman policier
qui explore une technique médicale très particulière pour faire passer des
messages secrets dans le milieu du terrorisme international. Même si le thème
traité est grave, il y a une très grande part de fantaisie et d’humour dans ce
deuxième ouvrage.
Yasmina Khadra
L’attentat
Pocket, 6,46 euros
Yasmina
Khadra est en fait un homme qui est né dans le Sahara algérien en 1955. De son
vrai nom Mohammed Moulesseshoul, il a pris un pseudonyme lors de ses premiers
romans pour des raisons de sécurité, car il était encore dans l’armée algérienne.
Depuis il a toujours conservé ce nom qui l’a rendu célèbre.
Le roman
commence par un attentat (dont la description minutieuse saisie d’emblée le
lecteur) et finit par un autre attentat. Amine, chirurgien israélien d'origine
palestinienne, a toujours refusé de prendre parti dans le conflit qui oppose
son peuple à son pays d'adoption et s'est entièrement consacré à son métier et
à sa femme Sihem. Dans un restaurant, une jeune femme se fait exploser au
milieu de dizaines de clients. À l'hôpital, Amine opère à la chaîne les
survivants de l'attentat. Dans la nuit qui suit le carnage, son ami Naveed qui
est policier, le rappelle d'urgence pour examiner le corps déchiqueté du
kamikaze. Tout s’écroule alors autour de lui lorsqu’il découvre qu’il s'agit de
sa propre femme. Comment admettre l'impossible, comprendre l'inimaginable,
découvrir qu'on a partagé, des années durant, la vie et l'intimité d'une
personne dont on ignorait l'essentiel? Pour quelles raisons sa femme, cet être
doux, dénué de haine et de mystère, s'est-elle fait exploser dans un restaurant
bondé d'enfants ? Pourquoi ne lui a-t-elle rien dit ? Et comment lui, qui
l'aimait tant, qui lui avait donné toute sa vie, n'a-t-il rien vu venir ?
Débute
alors pour Amine une descente aux enfers entre déni et résignation. Il part
dans une sorte de quête pour comprendre pourquoi son épouse, qu'il pensait
aussi heureuse que lui, a pu devenir une terroriste qui ôte la vie, alors que
lui la rend à ses patients. Dans cette enquête désespérée pour approcher les
raisons qui ont pu motiver un tel acte, Amine va devoir affronter d’un côté son
milieu et ses amis israéliens et de l’autre sa famille et belle-famille
palestinienne et les intégristes islamiques. Il devient la brebis galeuse, on
tente de le lyncher, ses collègues pour la plupart se détournent de lui. L’Arabe
israélien modèle redevient le fils de Bédouin naturellement suspect. De
découvertes en péripéties, Amine en apprend plus sur sa femme sans pour autant
la comprendre. Il ne connaîtra pourtant jamais la vérité puisqu’il sera victime
d’un tir d’un drone israélien, lequel prend pour cible la voiture d’un imam
dont Amine soupçonne les prêches incendiaires d’avoir endoctriné Sihem.
Le sujet
des kamikazes palestiniens n'est pas évident à traiter avec objectivité et sans
prise de position. L'auteur essaye d’emmener le lecteur dans les méandres de la
conscience humaine. Le sujet est très intéressant de même que la situation des
personnages, mais l’enquête d’Amine est parfois un peu mécanique et à la fin,
on n’a malheureusement pas plus d’explications sur ce qui a poussé Sihem à
devenir kamikaze. Et on ne voit pas non plus beaucoup d’espoir en ce qui
concerne ce conflit.
Ce livre a
eu de nombreux prix et doit être adapté au cinéma : prix des libraires 2006,
Prix Tropiques 2006, Grand Prix des lectrices Côté Femme….
Extrait :
« En l’espace d’un quart d’heure, le hall des
urgences se transforme en champ de bataille. Pas moins d’une centaine de blessés
s’y entassent, la majorité étalée à ras le sol. Tous les chariots sont
encombrés de corps disloqués, horriblement criblés d’éclats, certains brûlés en
plusieurs endroits. Les pleurs et les hurlements se déversent à travers tout
l’hôpital. De temps en temps un cri domine le vacarme, soulignant le décès
d’une victime. L’une d’elles me claque entre les mains, sans me laisser le
temps de l’examiner. Kim me signale que le bloc est saturé et qu’il va falloir
orienter les cas graves sur la salle 5. Un blessé exige que l’on s’occupe de
lui immédiatement. Il a le dos écorché d’un bout à l’autre et une partie de
l’omoplate à nu. Ne voyant personne venir à son secours, il saisit une
infirmière par les cheveux. Il faut trois solides gaillards pour lui faire
lâcher prise. Un peu plus loin, coincé entre deux chariots, un blessé hurle en
se démenant comme un beau diable. Il finit par tomber de son brancard à force
de s’agiter. Le corps tailladé, il se met à assener des coups de poing dans le
vide. L’infirmière qui s’en occupe paraît dépassée. Ses yeux s’illuminent
lorsqu’elle m’aperçoit.
-Vite, vite, docteur Amine….
D’un seul coup, le blessé se raidit ; ses râles, ses
convulsions, ses ruades, tout son corps s’immobilise et ses bras s’affaissent
sur sa poitrine, pareils à ceux d’un pantin auquel on vient de trancher les
ficelles. En une fraction de seconde, ses traits congestionnés se défont de
leur douleur et cèdent la place à une expression démente, faite de rage froide
et de dégoût. Au moment où je me penche sur lui, il me menace des yeux et
retrousse les lèvres sur une grimace outrée.
-Je ne veux pas qu’un Arabe me touche, grogne-t-il en
me repoussant d’une main hargneuse. Plutôt crever. »
Kleinmann-Vinson
Bistouri Blues
Le masque, 6 euros.
Philippe Kleinmann et Sigolène Vinson
forment un tandem d'auteurs qui signe avec « Bistouri Blues » un premier roman échevelé et palpitant qui a
obtenu le Prix du roman d’aventures 2007. Il s’agit d’un genre original à type
de comédie d’espionnage à caractère chirurgical. Chaque chapitre débute par une
citation médicale ou un schéma décrivant un geste chirurgical. A la fin du
livre, le lecteur connaît tout sur la chirurgie abdominale.
Pour avoir une petite idée de
l’histoire et du coté ubuesque des situations, il suffit de lire la quatrième
de couverture : « Lorsque Benjamin Chopski, chirurgien mélomane, se
rend à l'hôpital Lariboisière ce matin-là, il ne se doute pas encore de
l'aventure extraordinaire qui l'attend au bloc opératoire. Alors qu'il pratique
une ablation de la vésicule biliaire, un homme-grenouille, armé d'un harpon,
surgit brutalement dans la salle d'opération et exige qu'on lui remette
l'organe, pourtant en piteux état. Le commissaire Cush Dibbeth, dépêché sur les
lieux pour ouvrir l'enquête, n'en croit pas ses oreilles. Et pourtant il va
assister à un bien curieux trafic d'organes. Les patients ont parfois transité
par Karachi, de là à recouper les voies du terrorisme international il n'y a
qu'un pas que Cush Dibbeth se refuse à franchir trop rapidement. D'autant que
dans cette histoire, tout finira par défier les lois du genre... »
Voici donc un roman d’espionnage
plutôt atypique, avec tous ses ingrédients, rebondissements, chausse-trappes,
dénouement inattendu. L’action est immédiate dès le premier chapitre avec l’irruption
d’un homme-grenouille dans une salle d’opération - où officie au son de son
walkman un chirurgien bardé de piercings - dans le but de s’emparer d’une
vésicule lithiasique ! D’emblée, le ton est donné, même si l’explication
en rapport avec l’architecture de l’hôpital Lariboisière est très cohérente. En
partant de cet homme-grenouille et en passant par les techniques chirurgicales
les plus modernes et les « body mails » ce roman en arrive – lui
aussi - aux menaces des terroristes islamistes.
Le dernier message caché et qui clôture le livre est : « Al-Quaeda, 11,
New York ».
Enfin, pour bien donner le ton de ce
livre, une citation typique de l'humour carabin : « A la fin de mon
clinicat, j'avais touché un kilomètre de vagin et un kilomètre et demi de
rectum » ; et une vérité que tout bon chirurgien se devrait de mettre
en pratique : « Il ne faut jamais opérer un malade la veille de sa
mort ».
Extrait :
« Benjamin
expliqua à Cush que le patient était arrivé de l’aéroport Charles-de-Gaulle
d’où il avait débarqué d’un long-courrier en provenance de Karachi. D’après le
médecin régulateur, il souffrait d’une jaunisse, diagnostic confirmé dès son
arrivée à Lariboisière. Mais Benjamin avait trouvé quelque chose de plus grave.
Le patient était bouillant et frissonnait. Sa fièvre culminait à 41°. Il était
d’une pâleur inquiétante. Il était en état de choc septique. Un homme de
couleur qui devient gris, parce qu’il était de couleur, c’est indéniable, il
est au plus mal.
-J’ai palpé son ventre. La gravité de l’infection et la nécessité d’une
intervention n’ont fait aucun doute. L’abdomen était dur comme du bois et
extrêmement douloureux. Sais-tu que lorsqu’un ventre se défend
involontairement, il n’y a pas besoin de scanner ou d’examen coûteux pour
affirmer que la péritonite est là et qu’il faut ouvrir ?
-Non, je l’ignorais. Donc, tu l’as incisé illico ?
-Ouais. Et ça, malgré les trois cicatrices toutes fraîches parsemées sur
son abdomen.
-Il venait d’être opéré ?
-Malgré son état, il m’a confirmé être passé entre les mains d’un
chirurgien il y a trois semaines de cela dans une clinique de Karachi. Il a
subi une cholécystectomie sous coelioscopie. Les trois incisions abdominales
corroborent d’ailleurs cette hypothèse.
-C’est quoi une cholécystectomie ?
-Une ablation de la vésicule biliaire. Et c’est bien ça le problème. Il
me dit ne plus avoir de vésicule. Or, c’est cet organe que je lui ai retiré du
ventre et que j’ai vu partir entre les mains d’un homme-grenouille.
L’anatomopathologiste l’attend toujours. »
Les autres romans de Yasmina
Khadra
C’est un
très grand auteur qui publie maintenant pratiquement un livre par an. Il faut
lire en particulier la trilogie du commissaire Llob (« Morituri », « Double blanc » et « L’automne des chimères ») qui l’a
fait connaître et qui décrit la vie et les conflits politiques et religieux en
Algérie. Il faut aussi citer (toujours avec le commissaire Llob) « La part du mort », et pour faire
écho à « Bistouri blues »,
un polar intitulé : « Le dingue
au bistouri ».
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Site édité par le Docteur Christophe TRIVALLE
Cette
page est dédicacée à ma
grand-mère Paulette
qui
est décédée le 8 juillet 2007
et
qui adorait la lecture
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